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— Dites-leur que je les aime et que je viendrai les voir dès que possible, répond Jesse.

— J’ai pensé que vous aviez le droit de savoir. Mary Ann et vous disposez encore d’une demi-heure d’intimité, mais je serai obligée de rétablir la liaison avec Passionet quand vous arriverez à Monte Albán.

— Que va-t-il se passer là-haut ? demande soudain Jesse. Et pourquoi vous intéressez-vous autant à nous ? Je veux dire, nous ne sommes pas les seules personnes sur place, et puis vous pourriez parler au monde entier sans notre intermédiaire. Que se passe-t-il donc ?

Carla a un petit gloussement.

— Louie et moi cherchons encore nos marques. Considérez que nous faisons brûler un buisson pour attirer votre attention.

Puis Mary Ann se retrouve seule dans son corps. Elle veut prendre la main de Jesse, mais son impatience la fait trébucher. Elle se retrouve les bras autour de sa taille, le sent qui la prend par les épaules pour l’empêcher de tomber. Il la regarde au fond des yeux, voit qu’elle est redevenue elle-même, qu’ils sont bien seuls tous les deux, et il l’embrasse sur le front, avec autant de gentillesse, se dit-elle, que s’il embrassait l’un de ses neveux.

Un vent tiède souffle sur eux, porteur de parfums inconnus ; elle colle ses lèvres à celles de Jesse, et leur baiser dure un long moment. Lorsqu’elle rouvre les yeux, elle découvre des parcelles de ciel bleu au-dessus de la montagne, et un rayon de soleil qui inonde les maisons blanches et les larges places d’Oaxaca tout en bas.

Elle voit aussi les premiers réfugiés qui ont fait halte au coin de la route et qui les applaudissent. Elle se tourne vers eux et leur fait un signe – priant pour qu’ils ne voient pas en elle une vedette, mais plutôt une vieille amie –, et quand elle se retourne vers Jesse, son visage est illuminé par un sourire radieux, tout le contraire d’une grimace hollywoodienne, qu’elle sent dans toutes ses fibres sans avoir besoin de le voir. Ils accélèrent l’allure, pas pour distancer la foule mais parce que leur but est tout proche, et même s’ils ignorent encore ce qui va se passer, ils ont suffisamment foi en Louie et en Carla pour être impatients de le découvrir.

Brittany Lynn Hardshaw a travaillé dur pendant des heures, elle est complètement épuisée, mais elle tient à savoir ce qui va se passer à Monte Albán. Il est impossible de joindre Mary Ann Waterhouse via le net – à en croire Carla, Mary Ann a besoin d’un peu d’intimité, et ensuite Louie et Carla l’utiliseront à plein temps.

Parmi les événements récents, il faut noter la réapparition de plusieurs agences onusiennes dispersées un peu partout sur le globe et prêtes à poursuivre leurs tâches en dépit de la disparition de leur autorité centrale ; Louie et Carla ont offert leur assistance à la plupart d’entre elles, et les messages qu’elles émettent témoignent d’un optimisme unanime. L’humanité ne s’attend certes pas à un redressement de la situation, encore moins à un « retour à la normale », mais l’immense majorité de ses représentants semble persuadée que la vie va continuer, ce qui les pousse à faire tout leur possible pour que tel soit le cas.

L’intercom de Hardshaw émet un ping et elle l’ouvre. Elle voit apparaître le visage d’une des jeunes stagiaires qu’elle a fait venir de la Maison-Blanche ; comme tous ses collègues, sa promotion accélérée l’a investie de l’arrogance et de l’irrévérence caractéristiques d’un vétéran de la politique. Dans quelques jours, elle insultera les membres du Congrès comme si elle avait fait ça toute sa vie.

— Nous recevrons un signal de Monte Albán dans dix minutes, dit la jeune femme en consultant son bloc-notes. Et j’ai une surprise pour vous : une demande d’interview émanant de Berlina Jameson, la journaliste qui publie Reniflements. Elle dit que ça ne prendra pas beaucoup de temps, qu’elle sait que vous êtes occupée mais qu’elle a besoin de vos commentaires pour sa prochaine édition – elle a déjà recueilli des déclarations du FBI et du ministère de la Justice.

— Le FBI ? J’ignorais qu’il était encore opérationnel. Mais cela semble relever de la justice criminelle… et je ne savais pas que nous avions des agents en activité.

— Il y en a huit, et ils travaillent à plein temps. Sans doute seraient-ils en train de se tourner les pouces si Carla ne leur avait pas transmis la liste des témoins à interroger dans le cadre des assassinats de Diem et des autres. C’était bien un coup des Sibériens, au fait – Carla nous a livré la moitié de la bande et l’autre moitié au gouvernement révolutionnaire.

Hardshaw émet un grognement de satisfaction quasiment animal ; le procureur qui sommeille en elle la pousse à déclarer :

— Veillez à ce que le gouvernement sibérien hérite des gros bonnets – ils n’ont pas encore de droits civiques dans leur Constitution et se montreront plus efficaces que nous.

— Okay, patron, dit la jeune femme en souriant. Que dois-je dire à Ms. Jameson ? Au fait, elle vous appelle depuis son véhicule, dans le parking de l’U d’Az à Tucson.

L’U d’Az. Hardshaw se promet de rédiger un mémo à l’intention de tout le personnel de la Maison-Blanche : toute personne utilisant une abréviation postale dans le cadre de la conversation se verra chargée des liaisons avec le gouverneur du Wy pour une durée de six ans[10].

Mais rien ne presse – en fait, le pays est tellement désorganisé, les informations qui lui parviennent sont si fragmentaires qu’elle dispose d’un peu de temps avant de pouvoir prendre des décisions fondées, et il est toujours utile d’avoir de bonnes relations avec la presse, quelle qu’elle soit.

— Okay, passez-moi Ms. Jameson… mais dites-lui que la communication sera interrompue dès qu’il se passera quelque chose à Monte Albán.

Moins d’une minute plus tard, la liaison est établie et Hardshaw a mentalement composé sa déclaration.

— En effet, tous les éléments du dossier nous ont été apportés sur un plateau, mais nous comptons poursuivre la procédure jusqu’au bout. Cela signifie plusieurs arrestations aux États-Unis, plusieurs demandes d’extradition et une coopération active avec les autorités de la Sibérie et de bien d’autres pays.

— Et avec les Nations unies ?

— Si elles existent encore. La survie de cette organisation n’est pas garantie, mais il ne fait aucun doute que nombre de ses agences poursuivront leurs activités, tout comme la plupart des structures de la Société des Nations ont jadis été intégrées à l’ONU.

Jameson hoche la tête et se fend d’un petit sourire ; Hardshaw et elle savent parfaitement que, si l’ONU émerge intacte de la catastrophe, elle ne causera aucun problème au Président, mais que si elle a bel et bien disparu, ce qui semble probable, alors elle la gênera encore moins.

Hardshaw profite de cette pause pour jauger la journaliste et décide qu’elle lui est sympathique – à en croire son dossier, c’est une Afropéenne, donc une nationaliste convaincue, et elle prend plaisir à répondre à ses questions aussi directes que polies ; si elle lui tend des pièges, c’est toujours de façon évidente.

Puis Jameson la gratifie d’un sourire modeste, qui lui donne l’impression d’avoir affaire à une amie. Hardshaw connaît bien ce sourire : elle l’a souvent vu sur les lèvres d’un de ses enquêteurs préférés quand il se préparait à porter l’estocade lors d’un interrogatoire. En fait, c’est le même genre de sourire qui fleurissait chez les journalistes politiques lors de l’âge d’or des infos TV. Heureusement qu’elle rend une bonne génération à Berlina, se dit-elle, et qu’elle a déjà eu affaire à ce genre de reporters par le passé, car aujourd’hui on ne voit plus ce genre de sourire nulle part, excepté sur les chaînes XV où officient de jeunes journalistes impertinentes.

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10

Jeu de mots intraduisible : Wy (abréviation de Wyoming) se prononce comme why, qui signifie « pourquoi ». (N.d.T.)