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Il paraît que quand un couple se sépare tout le monde doit rester ami, et Jesse a l’occasion de vérifier par lui-même si c’est bien vrai. En outre, il veut voir s’il ne peut pas éveiller la jalousie de Miss Valeurs.

Malheureusement, celle-ci ne s’est pas montrée à sa petite fête.

À présent que Naomi n’est plus pendue à son bras pour le piloter et clarifier les choses, il parle à pas mal de ses amis et fait quelques observations. La première est qu’il y a parmi eux des types apparemment sincères qui ne croient à rien de précis. La deuxième est qu’il y en a d’autres qui semblent incapables de se lever et de s’habiller tout seuls ; tout le monde sait bien que la Gauche unie est un style de vie plutôt qu’un parti politique, mais quand il pense qu’on a pu accuser ces mecs ou leurs semblables d’être à l’origine du Flash… c’est tout bonnement grotesque.

Mais la plus réjouissante de ses observations, c’est qu’il s’entend à merveille avec les filles. Jusque-là, il n’avait pas conscience de tout ce qu’il avait absorbé de Naomi : il n’a guère de peine à suivre les discussions de nature politique et, à condition de rester suffisamment vague dans ses réactions, il reçoit un maximum d’attention de toutes les jeunes femmes souhaitant le convaincre d’adopter leur point de vue.

Il se demande soudain si Naomi ne lui a pas rendu un signalé service en le larguant.

Certes, les filles qui l’entourent ne sont pas du genre de celles qui le faisaient fantasmer quand il était lycéen. Elles ressemblent toutes à des fossiles vivants datant du milieu du XXe siècle ; un jour, en cours de socio, le prof a expliqué que lorsqu’un mouvement finissait par être obnubilé par des causes perdues ou par des problèmes dont la majorité de la société se désintéressait, il adoptait la forme d’une communauté religieuse, voire d’une secte, jusques et y compris dans le style de discours et d’habillement. À ce moment-là, se rappelle-t-il, deux ou trois filles aux cheveux longs, vêtues de jupes informes et chaussées de sandales, ont soudain quitté la classe.

Il remarque à présent que personne n’est maquillé, mais Naomi l’a habitué à ce phénomène, tout comme c’est grâce à elle qu’il a appris à deviner des formes féminines sous une djellaba. La plupart des filles qui l’entourent sont super bien foutues… et elles s’empressent de l’inviter à diverses réunions pour faire son éducation politique. Il soupçonne que d’autres que lui aimeraient bien voir Naomi verte de jalousie.

Et dans une subculture où le flirt est interdit, elles sont beaucoup plus franches que ses copines de lycée. Elles se collent à lui, prennent des poses, le fixent des yeux et lui sourient. S’il n’y prend garde, il risque de s’y habituer.

Il a plus de difficultés à parler avec les mecs, bien que ceux-ci restent toujours polis. Ils ne s’intéressent pas au sport et ne mettent jamais les pieds dans le désert (Jesse ne supporte pas les expéditions dans la nature par le biais de la XV : il a l’impression de faire une rando en compagnie de profs de fac trop bavards). Et puis la plupart d’entre eux ont tellement peur de dominer leurs copines qu’ils ne disent jamais ce qu’ils pensent en présence d’une femme. Ils n’abordent que des sujets consensuels : c’est la technologie qui est responsable de l’ARTS car c’est grâce à la technologie qu’on a pu survivre au SIDA, et elle est aussi responsable de la SPM car c’est grâce à l’évolution des antibiotiques que la syphilis a muté en un suppresseur de symptômes. Doug Llewellyn et Passionet sont coupables d’avoir irrémédiablement dégradé la conscience collective. Les électeurs sont tellement démotivés que la Gauche unie a une chance réelle de l’emporter, même si elle ne désignera son candidat qu’après les élections.

Il est surpris de l’attention que lui porte Gwendy, mais pas au point de ne pas en profiter. Au bout d’un moment, ils se retrouvent dans un coin de la pièce et elle se rapproche de plus en plus de lui. Quand il lui parle de Tapachula et de sa mission pour TechsMex, elle lui accorde encore plus d’attention.

En fin de compte, il ne se couche pas cette nuit-là ; il s’avère que Naomi ne cache rien à ses copines et qu’elle représente aux yeux de Gwendy la conscience dont elle rêve. Si bien qu’elle a du mal à concilier la réprobation que lui inspire la Lectrajeep et l’envie qu’elle a de faire l’amour dans le désert en pleine nuit. Dans un sens, il a autant de mal à parvenir à ses fins qu’il en a eu avec Naomi ; mais quand finalement, à deux heures du matin, Gwendy se retrouve nue dans la Lectrajeep sous les étoiles, Jesse est en mesure de retrouver deux choses dont il avait presque oublié l’existence : le rire et l’enthousiasme.

Dommage qu’il ait dû lui parler de Tapachula pour l’impressionner ; à présent, il va être obligé d’aller dans ce trou perdu juste au moment où elle lui redonnait envie de rester à Tucson.

Carla Tynan commence à ressentir les effets du manque de sommeil. Mon Bateau file à toute allure et consomme plus d’antimatière que prévu – bien qu’il lui en reste assez pour faire le tour du monde si nécessaire. Sa vitesse est telle que la coque vibre de façon sensible. Mais le pilote automatique a la situation en main ; Carla n’a besoin d’intervenir qu’au moment de pénétrer dans un port, et comme six cents milles la séparent encore de Nauru, elle a encore le temps d’y réfléchir.

Elle a un peu honte d’avoir pris la fuite en constatant l’amplitude de la catastrophe à venir ; une véritable femme de science, se morigène-t-elle, aurait mis le cap au nord puis à l’est pour se diriger vers la zone de formation de cyclones située au large du Mexique. Mais elle pilote un bateau de plaisance, pas un navire de recherche, et les grandes puissances ont sans doute déjà dépêché une flotte dans le coin. Si elle avait décidé d’y faire un tour, elle aurait probablement été interceptée par la marine américaine ou mexicaine et se serait retrouvée en taule.

Et puis ce qui se passe autour d’elle est déjà assez grave. Une fois les données atmosphériques corrigées, elle obtient entre cinquante et cent cyclones, et Dieu sait quoi d’autre. Son potentiel informatique équivaut à celui de six antiques Cray (dire qu’il y eut un temps où on devait faire la queue pour utiliser ces monstres, alors que de nos jours les microsupers gèrent les demeures des richards), mais ça ne suffit pas pour faire tourner le modèle à une vitesse acceptable.

Si bien qu’elle est obligée de recourir à un expédient dont se dispense la NOAA (ainsi que la NSA, dont elle ignore les activités). Lorsque cela est possible, elle bricole une partie du modèle en utilisant ses graphiques et son intuition, en déduit des informations et applique celles-ci au reste du modèle. C’est une méthode des plus imprécises, qui risque d’aboutir à des résultats absurdes si son intuition est à côté de la plaque, mais c’est la seule dont elle dispose si elle veut faire vite.

Elle règle l’écran pour qu’il affiche les nouveaux isothermes du Pacifique. Un isotherme est une ligne imaginaire le long de laquelle la température est constante ; la plupart des gens les connaissent pour les avoir vus sur les cartes météo, avec les anticyclones et les dépressions.

Si vous vous intéressez aux cyclones, il existe un isotherme sur lequel vous devez tout savoir. Celui de 27,5o Celsius.

Un cyclone est une gigantesque machine thermique. Il convertit un différentiel de température en énergie mécanique, tout comme un moteur ordinaire – essence, diesel, vapeur, jet, fusée ou turbine. Mais là où un moteur diesel, par exemple, convertit (partiellement) en mouvement la chaleur de la combustion en expulsant (partiellement) cette chaleur dans un environnement plus froid, un cyclone fonctionne en déplaçant la chaleur de la surface de l’océan vers le plancher de la stratosphère – la convertissant au passage en vent violent.