— Euh… vous êtes encore… euh… très belle…
— J’apprécie le compliment, mais n’en faites pas trop, s’il vous plaît.
Soudain, elle tire sur les pans de son chemisier pour lui donner une meilleure idée de son tour de poitrine ; ce geste un peu trop provocant à son goût le fait redescendre sur terre.
— Alors, ils sont plus beaux qu’à la XV ?
— Euh… je…
— Vous êtes censé répliquer : « Je les adore. » Ensuite, vous devez me suggérer de vous suivre dans un coin tranquille.
Elle lui lance une œillade et s’humecte les lèvres ; puis elle lisse sa jupe, faisant ressortir son bas-ventre, et Jesse se retrouve complètement désemparé. Elle s’approche encore et dit :
— Vous appréciez le spectacle, pas vrai ?
Il acquiesce, confus et totalement déboussolé.
— Alors pourquoi n’allons-nous pas baiser chez moi ?
Il se dit alors qu’il a affaire à une prostituée qui s’est fait bio-altérer pour devenir le sosie de Synthi Venture, puis réfléchit et conclut que la ressemblance est assez bonne pour qu’il lui sacrifie un mois de salaire. D’un autre côté, il est peu probable qu’une pute de haut vol ait échoué dans ce coin du Mexique, et jamais une pute ne l’aurait abordé avec un tel manque de finesse – elle est encore plus vulgaire que les adolescentes qui tapinent près de chez lui, bon sang.
Mais s’il s’agit vraiment de Synthi Venture – et plus elle s’approche, plus il en est convaincu…
Elle se colle contre lui, lui prend le visage en coupe, plaque ses lèvres contre les siennes et lui accorde un baiser goulu dans les règles de l’art, ouvrant grande la bouche pour lui insinuer la langue dans le palais. Comme il n’était pas tout à fait prêt, il n’est pas certain d’apprécier, en particulier lorsqu’elle se frotte le bas-ventre contre sa cuisse, mais il sent son pénis se durcir sous son jean. Il rend les armes et la laisse faire tout ce qu’elle veut ; elle glisse une main sous sa chemise, lui pince un mamelon, puis retire sa main pour la poser sur sa ceinture, puis plus bas, sur son membre douloureux. Il presse son bas-ventre contre le sien et elle lui murmure :
— Maintenant, tais-toi. On va aller chez moi. Tu vas me faire tout ce que tu as toujours rêvé de me faire, et ensuite on parlera. Ou peut-être pas. Si tu souhaites seulement me baiser, ça m’est égal.
Elle le prend par la main et il la suit comme un zombie ; on dirait qu’il est passé de la réalité à la XV sans même s’en rendre compte. C’est le genre d’aventure qui arrive à Rock, ou qui lui arrivait dans sa jeunesse – en fait, Rock a vécu plus ou moins la même chose dans Mission à Singapour, le long documentaire dans lequel il enquêtait incognito sur la nouvelle traite des Blanches. Mais à l’époque, il faisait équipe avec Starla, celle dont la carrière a pris fin le jour où elle s’est fait tuer en plein show, donnant naissance à la fameuse « bande interdite » que tout le monde prétend connaître sans jamais l’avoir vue.
De plus en plus troublé, il scrute les alentours, comme en quête d’un quelconque détail irréel qui lui prouverait sans l’ombre d’un doute qu’il est en train de rêver. La chaussée est couverte de poussière – il n’a pas plu depuis un ou deux jours – et l’air est imprégné de la chaleur du soir. Les maisonnettes blanches de ce quartier modeste, bâties à une certaine distance de la rue, lui rappellent certains coins de Los Angeles – mais les soirées ne sont jamais aussi calmes à LA, et on n’y aperçoit jamais les étoiles dans le ciel.
Elle l’encourage à lui poser une main sur l’épaule, et il a presque l’impression de se balader avec Naomi ou avec l’une de ses anciennes copines – sauf qu’aucune d’entre elles ne lui a mis la main au panier comme ça. Il a un mouvement de recul, mais elle se colle un peu plus contre lui et sa main se retrouve posée sur un sein.
Il réprime à grand-peine son fou rire quand il constate qu’elle a les seins aussi gros que la tête. C’est si grotesque qu’il s’en veut d’être excité.
— Tu n’as jamais pincé un nichon de star ? lui demande-t-elle.
— N… non. Pour… pourquoi…
— Chut. Pas encore. Tu vois ces deux types ?
— Oui.
Deux ouvriers ordinaires de cette ville ordinaire ; ils ont fini leur journée, ils sont rentrés chez eux pour jouer un peu avec leurs enfants, bavarder un peu avec leur femme, et à présent ils vont manger un morceau et boire un coup…
Il espère qu’elle n’a pas l’intention de les inviter à se joindre à eux.
Une petite voix dans son crâne lui fait remarquer qu’elle ne le menace en aucune manière, qu’il pourrait parfaitement lui dire : « Euh… Synthi… ou miss Waterhouse, peu importe… ça devient trop bizarre pour moi et je crois que je vais vous laisser…»
C’est ce qu’il devrait faire, et il le sait. Ce genre de fantasme est okay sur la XV, mais premièrement, et même s’il est à jour de ses rappels, le SIDA, l’ARTS et la SPM mutent tous les cinq ou six mois, et s’il y a une partenaire susceptible de lui refiler le modèle dernier cri, c’est bien celle-ci. En outre, vu sa conduite, elle est sûrement à moitié cinglée, et Dieu sait ce qu’elle va faire quand ils se retrouveront tout seuls – le blesser, sortir son Self-Defender, son rasoir ou autre chose. Comment réagiraient les flics en découvrant un Gauchiste tué par balle et une star de la XV porteuse d’échantillons de son sperme et affirmant avoir été violée ? Est-ce que les flics du coin sont équipés pour répondre au signal radio d’un Self-Defender ?
Il frissonne et elle en profite aussitôt pour glisser sa main sous le soutien-gorge. À son grand étonnement, il découvre que le sein qu’il est en train de palper n’est ni doux au toucher, ni rebondi comme ceux de Naomi, mais qu’il évoque un pneu légèrement sous-gonflé. Il sent sous la peau de fins câbles plutôt souples : les ligaments artificiels qui assurent le maintien de l’ensemble.
Elle lui donne un coup de hanche, et les deux hommes ouvrent de grands yeux étonnés en voyant son manège. Sans cesser de se trémousser, elle chuchote : « Vas-y, vas-y à fond. » Comme hypnotisé, Jesse glisse sa main sous le tissu, enfouissant son visage dans la masse de cheveux roux – une drôle d’odeur monte à ses narines, et il comprend qu’elle a un peu forcé sur le parfum –, et se retrouve à caresser un mamelon aussi gros qu’une balle de ping-pong.
Elle glapit, se cambre, gémit, hoquette. Sa main se referme sur celle de Jesse, et elle se frotte de bas en haut, haletante et grognante.
Les deux hommes continuent de les regarder. Jesse a envie de garder les yeux baissés, mais s’il le fait, son attention sera fixée sur les gémissements de Synthi, sur le sein qu’il empoigne. Il dirige son regard vers les deux témoins, découvre leurs souliers cirés, leurs pantalons au pli impeccable, leurs chemises d’un blanc immaculé… et leurs yeux fascinés. Ils ne semblent ni excités ni jaloux – le spectacle qui s’offre à eux, se dit Jesse, n’est ni plus ni moins que celui d’un couple de gringos mal élevés.
Synthi semble en proie à un orgasme de première grandeur ; les deux hommes la contemplent comme si elle n’était qu’un phénomène de foire, et l’un d’eux fait un petit signe à Jesse, comme pour le féliciter d’une telle conquête. Il a envie de leur dire que ça ne lui ressemble pas, qu’il n’est pas du genre à s’exhiber ainsi… mais ils se sont déjà éclipsés.
Elle se calme, lui retire la main de sa poitrine et la pose sur son épaule.
— Bon Dieu, ça fait du bien de feindre l’orgasme sans être espionnée par dix millions de branchés à qui on ne la fait pas. Alors, que dis-tu de mes nichons de synthèse ?