— Euh… je…
— Rien à voir avec le modèle naturel, pas vrai ? Mais attends de les voir s’agiter au-dessus de ta tête. Allez, viens, la petite maison que j’ai louée est juste au coin de la rue. Je t’avertis, les domestiques vont te faire la gueule – Mrs. Herrera est adorable, mais c’est une vingtiémiste pur jus, et son mari Tomás ressemble davantage à un jardinier qu’à un valet – aucune complicité de ce côté, si tu vois ce que je veux dire…
Il se laisse emporter, incapable de définir les sentiments qui l’habitent. Il a l’impression que des papillons volettent dans son estomac, comme s’il était sur le point de vomir, il a les jambes en coton, mais d’un autre côté, jamais il n’a eu une telle trique de sa vie.
Il se dit soudain qu’il suffit peut-être de plusieurs années de programmation pour le pousser à désirer ça plutôt qu’une vraie femme ; s’il avait le temps de réfléchir ne serait-ce qu’une minute, peut-être déciderait-il de prendre ses jambes à son cou…
Mais une petite voix lui souffle qu’il ne doit pas laisser passer une telle occasion s’il ne veut pas mourir idiot.
La « petite maison » qu’elle loue abriterait facilement quatre familles aisées de Tapachula ; en fait, il l’a déjà aperçue en se promenant dans le quartier et l’a prise pour un immeuble collectif. La porte s’ouvre devant eux dès qu’ils s’en approchent – apparemment, le petit homme musclé et bien vêtu qui les accueille n’a rien de mieux à faire que de regarder l’allée.
Contrairement à ce qu’elle lui a laissé entendre, son domestique ne semble ni surpris ni fâché.
— Miss Waterhouse, dit-il. Désirez-vous…
— Nous serons dans la chambre principale, señor Herrera, et peut-être que ce gentleman restera pour dîner.
Après avoir gravi un escalier de marbre au-dessus duquel il semble flotter, Jesse découvre une immense chambre qui lui évoque un décor de cinéma. Le velours cramoisi y figure en abondance et cette touche, qui était sans doute jadis considérée comme sensuelle, lui rappelle plutôt les salles de cinéma restaurées à l’intention des touristes que l’on trouve à Oaxaca et à San Cristóbal. Il a la tête qui tourne – peut-être est-il plus ivre qu’il ne l’a cru, et ils ont monté cet escalier un peu trop vite.
Un des avantages de la tenue des filles gauchistes, c’est qu’elle s’enlève en un tournemain et qu’elle ne présente aucun obstacle aux mains baladeuses. Synthi Venture (si c’est bien elle) met environ un quart de seconde à ôter ses sandales, à déboutonner son chemisier, à dégrafer son soutien-gorge et à se défaire de sa jupe et de son slip.
Jesse est stupéfait : non seulement ses cheveux sont rouge vif, mais en outre leur texture infirme l’hypothèse d’une teinture, et sa toison pubienne, qui dissimule à peine sa vulve rose pâle, est d’une nuance légèrement plus vive. Elle a un petit rire de gorge et, pour la première fois, il se rend compte qu’elle est complètement bourrée, ou alors défoncée (sans doute a-t-elle les moyens de s’offrir les drogues dernier cri), à moins que le centre de plaisir de son cerveau ne soit passé dans la zone rouge – il paraît que les stars de la XV sont programmées pour ça.
Elle exécute une petite pirouette, et il aperçoit de fines cicatrices sur son cul et ses cuisses, altérés pour acquérir une impossible perfection, et lorsqu’elle se retourne, il distingue une étrange plaque sous son ventre et comprend qu’on l’a pourvue d’une gaine sous-cutanée pour pallier les défaillances de sa paroi abdominale.
Et à présent qu’ils sont bien visibles, ses seins démesurés laissent eux aussi apparaître des cicatrices, traces des opérations destinées à les rendre conformes aux fantasmes mammaires de la gent masculine. Vue de loin, dans l’obscurité, ou à travers le filtre de la XV, elle semblerait d’une perfection quasiment magique ; mais ici, en pleine lumière, dans ce décor un peu kitsch, Jesse n’a aucune peine à la voir sous toutes les coutures, et la magie se dissipe.
L’espace d’un instant, il se dit qu’il va débander, et puis il la regarde au fond des yeux. Dans ses iris bleus, qu’encadrent des pattes d’oie presque totalement effacées, il perçoit une lueur de désespoir, et une idée prend forme dans son esprit : elle le veut, Dieu sait pourquoi, mais elle le veut, elle a tellement faim de lui qu’elle ferait n’importe quoi pour lui – elle s’effondrerait si jamais il décidait de la planter là, elle pleurerait pendant des heures, elle est prête à devenir sa chose s’il le faut.
Si elle s’est conduite comme la plus vulgaire des putes, ce n’est pas parce que ça lui plaisait mais parce qu’elle voulait savoir s’il allait la repousser. Il comprend tout cela en un éclair, sans savoir comment il y est parvenu.
Il aimerait se croire doué d’empathie, capable de percevoir ses craintes parce que Naomi a fait naître les mêmes dans son cœur, mais c’est faux. S’il a compris tout ça, c’est parce qu’il sait que Naomi désapprouverait sa conduite, qu’elle serait humiliée d’apprendre que ce vieux débris va lui donner plus de plaisir que n’ont pu lui en procurer sa gentillesse et sa sensibilité.
Et il se sent investi d’une soudaine puissance : même s’il traitait Synthi de vieux débris, elle se mettrait en quatre pour assouvir tous ses désirs. Et par-dessus le marché, il sait que cette femme peut se payer en un mois plus de choses qu’il n’en possédera durant toute sa vie, qu’elle peut faire sur un coup de tête plus de choses qu’il ne pourrait en accomplir au prix de plusieurs années d’efforts… et si elle le peut, c’est grâce à lui, grâce à des gogos comme lui qui fantasment sur son corps refait à neuf. Il a envie de le lui faire payer, rien qu’une fois, de lui infliger tout ce qu’il a rêvé de lui infliger quand il se branchait sur Rock, sur Quaz ou sur ses autres partenaires.
Même s’il ne les formule pas consciemment, ces sentiments sont profondément ancrés en lui. Il a envie de lui faire mal et ça lui plaît. Il l’agrippe par les cheveux et plaque ses lèvres sur les siennes en un baiser brutal auquel elle ne résiste même pas ; elle s’empare de sa main libre, la glisse entre ses cuisses, et il lui enfonce le pouce dans le vagin, violemment, espérant qu’elle sera sèche et qu’il lui arrachera un cri…
Mais elle est déjà mouillée, déjà ouverte, et elle se coule autour de son doigt et gémit de plaisir. Elle déboucle la ceinture de son jean, l’abaisse, libère son pénis, et elle est brutale, elle aussi, elle lui fait mal, mais il est trop excité pour s’en soucier. Elle se dresse sur la pointe des pieds, puis s’empale lentement sur lui, et leur première étreinte ne dure qu’une minute – il n’a même pas eu le temps doter son pantalon.
Elle ne lui accorde aucun répit, ne lui laisse même pas le temps d’examiner son corps meurtri ; en moins d’une seconde, elle le prend en bouche et lui abaisse jean et slip sur les chevilles, si vivement qu’il manque tomber par terre.
La demi-heure suivante reste floue dans son esprit ; elle se montre violente, brutale, et il ne dispose pas d’un seul instant pour reprendre son souffle. Il a les larmes aux yeux tellement son pénis lui fait mal, tellement ses testicules sont épuisés ; pour se venger, il frappe ses seins grotesques, la prend à la hussarde et, sur la fin, pour voir jusqu’où elle est prête à s’abaisser, il lui enfonce le poing dans l’anus.
Et puis vient le moment où elle tente pour la énième fois de le faire bander et où la douleur devient insoutenable. Il a mal à la tête, il a mal au ventre, et si ça continue comme ça, il va sûrement se mettre à vomir. Il se tourne vers elle, désormais vide de tout désir – et de toute colère –, et il ne voit en elle que la faim et le désespoir, et il l’écarte brusquement, sans ménagement.