Elle reste figée, haletante, les yeux fous, puis lui demande :
— Tu te sens bien ?
Il ne s’attendait pas à ça. Il examine son pénis et le découvre couvert d’hématomes et d’estafilades, parsemé de taches de sang. Et il prend conscience de sa douleur, le palpe prudemment.
— Oh, mon Dieu.
— Je suis navrée.
— On ne t’a jamais dit que tu étais complètement barjo ?
Il y a eu échange de sang, ce qui fait qu’il a de grandes chances d’avoir attrapé une saloperie quelconque contre laquelle il n’a pas été vacciné, il a l’impression que sa bite a été passée à la moulinette, et il n’arrive pas à croire que c’est à lui que ça arrive. Il doit filer d’ici et se trouver un toubib.
Et aussi aller pisser. Il paraît qu’on peut éliminer pas mal de saletés en pissant tout de suite. Il regarde autour de lui, localise la salle de bains, s’y précipite et pisse un long jet – parfumé à la bière et à la terreur – qui le brûle comme de l’acide.
— Nom de Dieu, avec combien de mecs as-tu fait ce numéro ? Qu’est-ce que tu as dans le crâne ?
Elle se met à sangloter.
— Il n’y a eu que toi. Rien que toi.
— Tu me prends pour un crétin ? dit-il en enfilant sa chemise. Nom de Dieu, mais qu’est-ce qui m’a pris de faire une telle connerie ? Je n’arrive pas à y croire…
Elle pleure à chaudes larmes.
— Je n’ai rien, je te le jure, tu es le premier mec que je rencontre depuis que je suis ici, et le net nous oblige à passer des tests tous les trois jours. Je suis navrée de t’avoir fait mal, mais je ne t’ai pas tué, je ne t’ai pas…
Son visage est carrément hagard.
Il a ramassé son pantalon et cherche à y retrouver son slip, mais il hésite un instant ; elle semble sincère.
— Je suis en dessous de tout, dit-elle. Je ne t’ai même pas demandé ton nom.
— Jesse Callare, répond-il alors qu’il réussit à dénicher son slip. Tu n’aurais pas de la pommade quelque part ? J’ai vraiment mal.
— Oh, merde, je suis vraiment navrée, Jesse.
Elle file dans la salle de bains et en ramène un tube d’onguent pour les hémorroïdes, un vaporisateur d’antibiotiques et une serviette jetable.
— Laisse-moi au moins te désinfecter et te panser. Je te promets de faire ça en douceur. Je ne voulais pas te blesser.
Elle s’agenouille devant lui et, avant qu’il ait eu le temps de réagir, elle lui applique la serviette. Il pousse un petit cri de douleur, mais elle fait preuve d’autant de douceur que d’efficacité pour nettoyer son pénis, puis elle l’asperge d’antibiotique.
— Mon Dieu, j’espère que ça ne saignait pas quand tu m’as enculée, sinon il y aura de sérieux risques d’infection… Tu as un médecin traitant ? Je peux te recommander le mien et je paierai la note…
— Tu sembles vraiment regretter ce que tu as fait.
La douleur s’est un peu atténuée, et Jesse ne peut s’empêcher d’être ému par la sollicitude dont elle fait preuve. Quand elle lui applique la pommade, le soulagement est tel qu’il finit par se détendre.
— Jesse, je n’arrive pas à croire que j’aie pu agir comme je l’ai fait. Est-ce que ça va mieux ?
— Ça peut aller.
Il se dégage doucement et achève de se rhabiller. Sa souffrance et sa terreur se sont dissipées.
— Tu vas me trouver idiote, mais j’aimerais vraiment que tu restes pour dîner. J’aimerais t’expliquer ce qui m’a pris et me réconcilier avec toi.
Les sentiments qui habitent Jesse ont changé de nature, mais encore une fois il hésite à se tirer : il meurt de curiosité, voilà tout.
— Okay. De toute façon, personne ne me croira si je raconte ce qui m’est arrivé, alors autant aller jusqu’au bout du délire.
— Laisse-moi le temps d’enfiler quelque chose. J’espère que tu n’as rien contre les gros pulls et les pantalons lâches : c’est la tenue que je préfère et j’ai laissé toutes mes robes du soir en Alaska.
Elle s’habille tout en parlant. À présent qu’ils sont tous deux vêtus et qu’ils se sont présentés dans les règles, Jesse s’aperçoit qu’ils n’ont plus grand-chose à se dire.
Suit donc un long silence, puis elle dit :
— Agneau tacos oaxaqueños, ça ira ?
— Pardon ?
— Pour la cena. La señora Herrera est originaire de la province d’Oaxaca, quelque part dans les collines, et c’est une adepte de la cuisine locale. Je lui ai commandé de l’agneau tacos oaxaqueños avant de sortir et j’ai dit à son mari que tu resterais peut-être pour dîner – tu te rappelles ?
— Oui, dit-il en souriant. Okay, ça a l’air alléchant. Euh… je peux te demander si…
— Demande-moi tout ce que tu veux, mais après le dîner. Imaginons que nous venons tout juste de nous rencontrer et faisons connaissance.
— C’est plat, réplique-t-il.
Elle le prend par la main, et il est surpris de la timidité dont elle fait montre.
Le président Hardshaw n’a pratiquement pas dormi de la nuit, et Harris Diem comprend que la situation est grave lorsqu’il la voit arriver de bonne heure. Mais il continue de travailler dans son bureau. Le bourdonnement est plus irritant que jamais, mais la veille il a résisté à la tentation de descendre à la cave. Cet exploit ne lui procure aucun plaisir.
Ça fait vingt minutes que Hardshaw est entrée dans le Nouveau Bureau ovale, sans communiquer avec quiconque, lorsqu’il entend un bip. Il attrape son portable, le branche sur son écran et constate que c’est elle qui l’appelle.
— Oui, patron ?
Elle semble légèrement hagarde ; que diable a-t-elle pu lui cacher ?
— Viens me rejoindre, Harris, nous avons du boulot.
— J’apporte du café.
Il fait signe à ses assistants de préparer une cafetière et deux tasses. Pour une raison qui lui reste inconnue, c’est toujours lui qui apporte son café au Président et ce rituel ne manque jamais de le rassurer.
Mais son inquiétude reprend le dessus quand Hardshaw saisit sa tasse, le prie de s’asseoir et lui dit :
— J’ai arrêté ma décision ce matin, Harris, de sorte qu’il ne sert plus à rien de discuter. J’ai pensé à ces centaines de millions de morts, j’ai pensé à l’espèce humaine… et je me suis rappelé que l’Amérique devait vivre avec les autres nations du globe.
Il sent son estomac se nouer. Il sirote une gorgée de café.
— Tu as donc tout dit à Rivera ? L’ONU sait quels sont les vrais chiffres ?
— Elle sait aussi que nous aurions pu les lui dissimuler et que le premier rapport de la NOAA était truqué. Elle sait tout.
Le bourdonnement qui lui taraude le crâne est si intense qu’il se demande pourquoi les autres ne l’entendent pas. Il s’imagine en train de descendre à la cave, de sélectionner une bande… puis chasse cette image de son esprit.
— Alors… euh… si tu as déjà agi, pourquoi m’as-tu convoqué ? Tu sais que j’étais opposé à cette décision.
— J’ai besoin de toi à mes côtés quand Rivera me rappellera, et par conséquent le pays a besoin de toi. Le SG ne va pas tarder à me contacter.
Comme pour confirmer cette impression, le téléphone sonne ; Hardshaw le décroche et sa secrétaire lui annonce :
— Le Secrétaire général Rivera, madame le Président.
— Passez-le-moi.
Le visage de Rivera apparaît sur l’écran.
— Madame le Président, permettez-moi d’abord de vous féliciter pour votre habileté, et de vous remercier ensuite d’avoir mis cette habileté à notre service – si vous ne l’aviez pas fait, vous vous seriez sûrement jouée de nous.