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C’est exactement ce qui m’embête, se dit Diem.

Hardshaw hoche lentement la tête.

— Vous avez pris toute la mesure des conséquences, j’imagine.

— En effet. Et je pense que nous avons beaucoup de chance. Pas seulement l’ONU, mais la planète tout entière. Vous nous avez fourni une merveilleuse occasion.

Hardshaw arque un sourcil.

— Je ne saisis pas.

— L’occasion de prévenir la Seconde Émeute globale. Et quand la vérité sera révélée – car elle le sera sûrement, une fuite est inévitable… –, eh bien, qu’y a-t-il de plus crédible qu’une fuite ? Une fuite est toujours plus fiable qu’une déclaration officielle.

En dépit de l’heure matinale, le Secrétaire général est plus beau et plus élégant que jamais ; mais Diem n’avait jamais remarqué cette lueur de malice dans ses yeux.

— Vous voyez, poursuit-il, quand mes experts ont injecté ces données dans notre modèle, ils ont conclu qu’il y avait une chance sur dix pour que toute souveraineté ait disparu de l’hémisphère Nord dans un délai de un an. Par conséquent, il faut que les populations évacuent les zones côtières et apprennent à se débrouiller toutes seules. Et si nous voulons que les gens nous croient… eh bien, disons que ce sera délicat. Ils seront prêts à croire toutes sortes d’absurdités, mais même les arguments les plus rationnels ne les convaincront pas de déserter leurs foyers.

Au bout de quelques instants de réflexion, Diem se voit obligé d’approuver le point de vue du SG.

— Vous êtes donc d’avis que nous devons adopter une position médiane : nous efforcer de garder le secret tout en favorisant les fuites ?

— Exactement.

Diem jette un regard vers le Président ; celle-ci acquiesce.

— Eh bien, dit-il, autant que je me mette au travail sans tarder.

Huit minutes plus tard, de retour dans son bureau, il se rend compte qu’elle a réussi à dénouer une nouvelle crise et qu’il aura un mal fou à l’expliquer dans ses Mémoires. Il faudra bien que quelqu’un raconte cette histoire, mais ce ne sera sans doute pas lui.

Et le bourdonnement est plus intense que jamais.

Les archives de la police d’Austin ont tenu toutes leurs promesses, mais Randy découvre néanmoins qu’elles ne lui sont d’aucune utilité. Il y a trouvé cinq hommes qui lui étaient jusque-là inconnus, des criminels appartenant au réseau distribuant la bande montrant l’assassinat de Kimbie Dee, et ils étaient tous suffisamment haut placés pour être à un ou deux échelons de celui qu’il recherche. S’il ne les avait pas encore repérés, c’était tout simplement parce qu’ils n’étaient pas en possession de cette bande le jour de leur arrestation.

Mais tout devient clair à ses yeux après les vérifications d’usage. Ces types étaient tous en liaison avec sept ou huit distributeurs bien connus ; c’étaient eux qui leur vendaient la bande en gros. Et chacun d’eux a payé son écot pour qu’un maniaque sexuel atteint d’un cancer inguérissable viole et tue la petite fille de Randy ; il l’a piégée dans le vestiaire car elle était trop pudique pour se doucher avec ses camarades, et il l’a achevée en la pendant à un pommeau de douche.

L’ennui, c’est que ces cinq salauds sont tous morts. Exécutés conformément aux dispositions de la loi Diem.

Tout compte fait, il en est plutôt satisfait, mais pour la première fois il comprend le point de vue des adversaires de la peine de mort : il est tout proche du but, mais il a besoin d’un complice qui soit encore en mesure de parler.

Il le trouve au bout de plusieurs jours d’effort : Jerren Anders. On lui a épargné la peine capitale pour l’interner dans un hôpital psychiatrique de… qu’est-ce que vous dites de ça ? C’est l’hôpital de Boise. Là où tout a commencé. À une quinzaine de kilomètres du parc à caravanes où Randy habitait jadis.

La vieille voiture s’engage sur l’autoroute, et Randy constate avec émotion qu’il a reçu beaucoup plus de messages que d’habitude : des messages de félicitations. Pour l’instant, il ne répond qu’à ceux émanant des familles des victimes – parents, frères, sœurs, maris, fiancés – qui souhaitent en savoir davantage sur sa découverte ; il leur transmet toutes les informations recueillies à Austin.

Durant cette longue nuit, pendant que sa voiture quitte le Colorado pour gagner le Wyoming et y rejoindre l’I-80, il rêve de Kimbie Dee. Elle est aussi pâle que le jour où il l’a vue à la morgue, mais elle se redresse, secoue sa queue de cheval comme elle le faisait de son vivant et lui dit :

— Fais attention, papa. Fais attention. C’est peut-être plus dangereux que tu ne le crois.

— Je le retrouverai, lui dit-il.

— C’est peut-être très dangereux.

Elle lui dépose un petit baiser sur la joue, comme elle le faisait chaque matin en partant pour l’école, et il constate avec horreur que ses lèvres sont glaciales.

Il se réveille en frissonnant, se prépare du café et s’installe sur la banquette arrière pour le boire. Lorsque le soleil se lève, sa voiture pénètre dans Salt Lake City. Il décide de s’arrêter pour prendre une douche et un petit déjeuner complet, et aussi pour faire désinfecter la voiture. Il y règne une odeur de moins en moins supportable.

Plus tard dans la journée, il prend la direction de l’I-15. Ça fait deux ou trois ans qu’il n’a pas remis les pieds dans cette région. À sa grande surprise, il s’aperçoit qu’il est ravi de rentrer au pays.

Kingman Reef est quasiment une île ; à marée basse une langue de terre la relie au continent, à marée haute seuls surnagent quelques rochers ; en cas de grande marée, il n’y a plus rien. Les tours d’acier et de béton érigées par le North American Orbital Service ont achevé de faire une île de Kingman Reef, une île peuplée d’un millier de personnes dont une douzaine d’enfants.

Le vendredi 16 juin, vers 18 heures heure locale, aucune de ces personnes ne sort de la station. Le ciel a pris une inquiétante nuance gris-vert, la mer agitée est d’un noir d’encre parsemé d’écume blanche. Près de la tour la plus éloignée, qui se trouve à bonne distance du récif proprement dit, on aperçoit le Monstre aux réservoirs à moitié pleins, dont seul le quart supérieur émerge au-dessus des eaux. Si les réservoirs étaient pleins, le Monstre serait invisible : lors de son lancement, la gigantesque fusée se trouve à trente mètres au-dessous de la surface de la mer.

En fait, vu la proximité du cyclone Clem, vu la latitude et l’heure tardive, Gunnar Redalsen, chef des Opérations de lancement, serait dans l’incapacité de distinguer le Monstre, ce qui ne l’empêche pas de penser à lui en permanence. En ce moment, il discute avec les quatre personnes qu’il déteste le plus au monde : la première est à ses côtés, les trois autres sont au téléphone.

Akiri Crandall est assis à sa gauche, et il est presque devenu un brave type à ses yeux. Il aime qu’on l’appelle « capitaine Crandall », comme s’il était à bord d’un navire et non d’une station fixée au sol par des piliers de béton armé, mais on ne peut guère lui en vouloir de cette lubie qu’il cultive par orgueil ; Crandall est un enfant du ghetto, qui a gravi les échelons de la Navy à la force du poignet, et il tient à ce qu’on s’en souvienne. Non, ce qui l’irrite, c’est que Crandall semble oublier que le but de ce lieu est d’envoyer des fusées dans l’espace ; il insiste pour que tout le personnel de la base consacre ses efforts à sa construction et à son entretien, et s’il ne tenait qu’à lui, jamais on n’y procéderait à un lancement. De temps à autre, Redalsen se demande si Crandall ne le considère pas comme un banal officier artilleur coincé comme lui sur un navire en rade.