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Le sous-marin est à peine sorti de Pearl Harbor que Di Callare et son équipe retrouvent Harris Diem pour répondre à cette question essentielle : que s’est-il passé à Kingman Reef ? Il est encore relativement tôt : Di a dû prendre la zipline à cinq heures du matin pour arriver à son bureau de Washington, où l’attendait un rapport qu’il a passé une heure à éplucher sans en retirer grand-chose.

— Vous voulez une hypothèse ? demande-t-il. Des spéculations pour alimenter un communiqué ? Okay, je crois que c’est une déferlante qui les a eus. La station était bâtie pour résister à un vent de degré 22 sur l’échelle de Beaufort, et le cyclone qui les a frappés n’atteignait que 19 ou 20. C’est un chiffre fluctuant, et peut-être qu’il a été dépassé à un moment donné et en un point donné, à moins que la station n’ait présenté un défaut de conception, mais je ne pense pas que nous puissions conclure dans ce sens. Quand vous avez affaire à un cyclone dépassant les vingt beauforts, il faut que l’œil vous passe dessus pour que vous en subissiez tous les effets, et même dans l’œil les creux ne dépassent jamais les trente mètres.

» Mais ils étaient très loin de l’œil – leurs rapports et les images satellite concordent sur ce point. Et cet œil est énorme, il bat tous les records. Supposons que ce n’est pas l’œil qui est anormal, mais bien la tempête elle-même…

Le petit homme assis à côté de Diem, que celui-ci s’est contenté de présenter comme « mon assistant » et qui n’a cessé d’observer les participants avec attention, émet un petit toussotement, et Di sent ses interlocuteurs se rétracter. Qu’ils aillent au diable ; il a bien l’intention de leur donner son avis autorisé, à eux de recoller les morceaux.

— Supposons que l’œil de ce cyclone atteigne les trente-cinq degrés sur l’échelle de Beaufort. Oui, je sais, c’est un chiffre qu’on associe plutôt à une tornade, et notre cyclone a un diamètre de cinquante kilomètres alors qu’une tornade moyenne ne dépasse jamais le kilomètre. Mais dans un tel cas de figure, les vagues émergeant de l’œil – qui s’en éloignent tout en restant proches de lui – pourraient atteindre des creux de cent quarante mètres, d’autant plus que le fetch est ici pratiquement illimité…

Le petit homme se tourne vers Diem et lui demande :

— Le fetch ?

— La distance sur laquelle le vent est susceptible de souffler, réplique Diem. Des creux de cent quarante mètres, docteur Callare ? Vous voulez dire que ce truc déclenche de véritables tsunamis ?

— Oui.

— Votre équipe approuve-t-elle ces conclusions ? demande le petit homme en parcourant l’assemblée d’un regard calculateur.

Jamais Di Callare n’a été aussi fier de ses équipiers ; ils acquiescent tous à l’unisson.

— Il suffit de considérer les températures relevées dans le Pacifique nord, dit Gretch, pour s’apercevoir que toutes les conditions sont réunies pour qu’apparaisse une tempête de cette amplitude.

Et elle fait suivre cette déclaration d’une prise de position que personne d’autre n’aurait eu l’audace de formuler.

— Si vous voulez une opinion sincère et réaliste plutôt qu’un discours en langue de bois, la voici. Ceci est la super-tempête que nous évoquions il y a quelques semaines. Et elle va filer sur l’Asie sans cesser de grossir.

Elle écarte une mèche de cheveux de son front, se redresse et regarde le petit homme droit dans les yeux.

Celui-ci fait comme s’il n’avait rien vu. Mais à présent que l’abcès est crevé, Peter, Talley, Mohammed et Wo Ping exposent tour à tour leurs conclusions, qui vont toutes dans le même sens. Le visage de Harris Diem demeure indéchiffrable – rien d’étonnant chez un politicien de son envergure –, mais de toute évidence, son « assistant » a cessé d’écouter ce qu’on lui dit (d’ailleurs, il est sans doute ignare en matière de météorologie). Tout ce qu’il remarque, c’est qu’on ne lui obéit plus.

La réunion s’achève sans que les politiciens se soient engagés dans un sens ou dans l’autre ; pour remercier ses équipiers de leur soutien, Di déclare à Diem et à son nervi qu’ils vont poursuivre leurs recherches en partant de l’hypothèse d’une déferlante et en supposant que ce cyclone est bien le plus puissant jamais observé de toute l’Histoire. Diem, le petit homme et leur secrétaire s’enfuient comme s’ils avaient peur d’en entendre davantage.

Il n’est que huit heures et demie, bien avant l’heure d’arrivée au bureau, et à présent que Diem et consorts se sont éclipsés, l’adrénaline a déserté les organismes. La journée s’annonce longue.

— Allons prendre un bon petit déjeuner, suggère Di. Vous autres, je ne sais pas, mais moi, je n’ai encore rien avalé à part ce café infect. Peut-être qu’on arrivera à trouver une idée géniale pour la suite des opérations.

Le quartier qu’ils traversent pour se rendre au restaurant n’a rien de pittoresque ; Di observe ses équipiers et remarque qu’ils ressemblent à une bande de copains grandis trop vite : tous mal attifés et tous ravis d’être ensemble. Il se demande l’espace d’un instant si cette comparaison n’est pas dictée par le désir qu’il a de gagner leur soutien, puis conclut par la négative : Talley a une démarche pleine d’assurance, Pete et elle parlent avec animation, Wo Ping et Mohammed sont eux aussi perdus dans leur discussion, et tous semblent mettre les passants au défi de les contredire.

— L’équipe est vraiment soudée, docteur Callare, commente Gretch.

— Cela risque de s’avérer utile, répond Di, incapable de dissimuler son pessimisme. Je pense que Diem a compris nos arguments et s’efforcera de les défendre, mais j’ignore de quelle influence il peut disposer – on dit que c’est un vieil ami de Hardshaw, on le qualifie même d’éminence grise, mais pour ce que nous en savons, c’est peut-être Hardshaw elle-même qui veut nous faire taire.

— Que se passera-t-il si nous refusons de nous taire ?

— Je crois qu’on ne va pas tarder à le savoir. Drôle de stage que le vôtre, pas vrai ?

Elle a un petit reniflement de dérision.

— Au moins je me fais une idée exacte de mon boulot. Euh… au fait… je pensais à demander une prolongation de mon stage si…

— J’appuierai votre démarche, naturellement.

Ils font halte à un feu rouge, et Di en profite pour écouter le reste de l’équipe. Talley adopte une position conservatrice et Pete une position radicale ; elle dit que cette tempête est peut-être la plus puissante jamais connue, mais c’est tout, alors qu’il affirme qu’elle leur réserve encore au moins une vingtaine de surprises. Bien : si ces deux-là continuent de bosser ensemble, ils ne tarderont pas à dresser la liste des surprises les plus probables.

Wo Ping et Mohammed se concentrent sur un point de calcul ; la question de savoir à quel moment la théorie du chaos entre en jeu et, par conséquent, quelles sont les phases du modèle à explorer par la méthode de Monte-Carlo. Voilà bien le genre de finasseries qu’ils préfèrent, pense Di… qui comprend soudain qu’ils évoquent le même problème que Pete et Talley, mais en termes de mathématiques pures. Faut-il prévoir des phénomènes connus se manifestant à grande échelle ou bien s’attendre à des phénomènes inédits ? Telle est la question.