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La TV et la XV savent que le cyclone Clem est un événement majeur, qu’elles se doivent de le couvrir, mais elles sont incapables de le rendre passionnant.

La nuit du 21 juin, la couronne extérieure de Clem effleure Saipan vers deux heures du matin. Lance, un reporter d’Extraponet, est sur les lieux et cherche fébrilement un abri quelconque – son net l’a lâché en pleine tempête pour qu’il transmette ses impressions, il a perdu ses gardes du corps et ne sait plus où il se trouve. Son rédac-chef cherche à le localiser par transpondeur, mais le vent est si fort que l’antenne directionnelle est totalement inopérante. Ils restent quand même en liaison et Lance cherche désespérément à se repérer. Il tombe à deux reprises, est heurté par une planche emportée par le vent, et se retrouve en train de ramper dans une mare de boue agitée de tourbillons.

Puis il aperçoit une lueur orangée et réussit tant bien que mal à fixer ses yeux sur elle.

— Conrad Hotel, dit-il.

— Ah ! fait la voix du rédac-chef dans son oreille. On sait où tu es !

— Formidable. Maintenant, appelle-moi un taxi.

— Plus personne ne circule, Lance. Tu ferais mieux de te réfugier là-dedans. La zipline a déraillé et toutes les routes sont inondées – regarde si tu peux louer une chambre.

— J’espère que ce n’est pas complet, marmonne-t-il.

La mare dans laquelle il avance à quatre pattes est glaciale. Il se demande s’il n’a pas perdu un soulier.

— Ce n’est pas vraiment un hôtel, plutôt une résidence du troisième âge, dit le rédac-chef. Mais peut-être qu’ils te donneront une chambre. Ils vont sûrement t’accueillir à bras ouverts, les vieux adorent la XV et, d’après l’annuaire, ceux-là sont en majorité américains.

Quand Lance arrive sous la marquise, il se retrouve à l’abri du vent et de la pluie ; il a l’impression qu’il vient d’émerger d’un fleuve en furie. Il reste quelques instants bouche bée, comme un poisson à l’air libre, puis se relève non sans effort. Il frappe à la porte, tente de la pousser. Elle s’ouvre sans problème.

Il y a une centaine de personnes dans le hall ; Lance constate au bout d’une seconde que le personnel a dû s’enfuir. Deux ou trois vieillards semblent surpris, comme s’ils le reconnaissaient. Il referme la porte derrière lui.

L’édifice est vieux d’au moins un siècle, et il le sent vibrer de partout.

Un vieil homme portant jaquette et nœud papillon s’approche de lui.

— Êtes-vous un représentant de la direction ?

— Je suis journaliste. Je travaille pour Extraponet. Je suis venu me mettre à l’abri.

— Vous ne le resterez pas très longtemps, déclare une vieille dame en jean et sweater.

Le vieil homme ne lui prête pas attention.

— Nous envisagions de nous réfugier dans la cave, dit-il. Elle n’est qu’à quelques mètres au-dessous du sol, mais nous y serons plus en sécurité qu’ici. Il y a encore plein de gens qui refusent de sortir de leur chambre – nous ne pouvons rien pour eux, j’en ai peur –, et certains d’entre nous ont peine à se déplacer. Nous allions voter pour savoir si nous devons enfoncer la porte de la cave – elle est fermée à clé.

Lance hoche la tête. On entend un coup de tonnerre, et l’immeuble tremble sur ses fondations.

— Euh… au diable la démocratie, dit-il. Je vais m’occuper de cette porte.

On lui ouvre la voie. La porte a l’air solide, mais son chambranle beaucoup moins.

Quatre coups de pied, comme on lui a appris lors de sa période d’entraînement, et la porte cède. Il a droit à des applaudissements nourris.

Comme l’électricité n’a pas été coupée, il actionne l’interrupteur. Il y a trente centimètres d’eau dans la cave.

— J’hésite, dit une vieille dame.

Sa chevelure évoque irrésistiblement une perruque fabriquée à partir de fibres métalliques.

— Ça n’a pas l’air très propre.

— Oh, tais-toi, Kristin, dit l’homme qui l’accompagne en descendant les premières marches. Les chaussures, ça sèche.

— Toujours aussi grincheux, dit-elle en le suivant.

Ils descendent le petit escalier en se tenant par la main.

Lance se rend compte que le groupe est partagé entre la peur de voir le bâtiment s’effondrer et le dégoût que lui inspire la cave inondée ; il se dirige à son tour vers l’escalier. Au moins pourra-t-il…

Aucun ingénieur ne se souciera d’analyser ce qui se passe ensuite ; la structure de cet édifice est bien moins intéressante que ne l’était celle du site de lancement. Mais le principe est tout simple ; une surface irrégulière, qui serait en outre pourvue d’ouvertures, est plus vulnérable au vent qu’une surface lisse. Que le toit s’envole, qu’une fenêtre se brise, qu’une porte s’ouvre, et cette vulnérabilité augmente de façon spectaculaire.

En une fraction de seconde, les dégâts se multiplient, et la surface présente de plus en plus d’irrégularités, de plus en plus d’ouvertures. Et la fraction d’après, la force s’exerçant sur l’hôtel est multipliée plusieurs fois.

Le Conrad Hotel s’effondre comme un château de cartes, se réduit à un tas de poutres et de briques. Lance n’a même pas le temps de réagir, et il est de loin le plus agile des occupants. On entend des hurlements et des bruits de fracas.

Il se retrouve prisonnier des ténèbres. Autour de lui, des cris et des gémissements. Quelques personnes appellent leurs proches, d’autres se contentent de hurler.

Il tente de dégager son bras gauche, mais il est cassé. Son bras droit est plaqué contre son flanc. Une masse invisible pèse sur son torse et il respire à grand-peine.

Peu à peu, l’eau monte dans la poche d’air où se trouve sa tête. Lorsqu’elle atteint ses oreilles, il cesse d’entendre les cris qui résonnent autour de lui ; une éternité s’écoule avant que son visage ne soit englouti, et il en passe les ultimes secondes à tenter de soulever la masse qui pèse sur son torse.

Le rédac-chef n’en perd pas une miette ; une des meilleures séquences XV de l’année, estime-t-il. Huit cents millions de personnes en font l’expérience, en direct ou lors d’une des deux rediffusions de la journée.

Deux jours plus tard, les détectives employés par divers nets découvrent que ce vieux bâtiment pourri appartenait à un consortium de médecins hawaiiens et qu’il présentait toutes les infractions possibles au code de la construction. En plus de Lance, il a vu périr trois cents personnes originaires de l’Amérique profonde qui avaient sacrifié leurs économies pour se payer une retraite au soleil.

Une aubaine pour ces salauds de toubibs, car l’immeuble, son équipement et ses occupants étaient tous assurés.

Une aubaine encore plus juteuse pour la XV. Soudain, voici que se manifestent un millier de parents affligés, voici qu’on a des images de cadavres du troisième âge, des cadavres originaires du pays qui a créé la XV et qui en consomme plus que le reste du monde.

Passionet tente de convaincre Synthi Venture d’abréger ses vacances. Elle s’y refuse, mais ce n’est pas très grave. Deux ou trois jours plus tard, Rock et Quaz sont sur place, peinés de son absence mais fascinés par sa remplaçante, Surface O’Malley, une nouvelle rouquine conçue pour séduire le marché japonais, avec laquelle ils enquêtent sur les « médecins escrocs » responsables du « foyer transformé en piège mortel » dans le plus pur style Spéciale première. Les branchés se gavent du juste courroux de Rock, de la froide détermination de Quaz et du courage et du professionnalisme de Surface.