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Le temps d'enfiler des pantoufles, de jeter une mante sur sa chemise de nuit et Marie courait elle aussi vers l'arrivant, pleurant à la fois de joie et de soulagement. Enfin, il était là !

Il la reçut dans ses bras, la gronda de sortir si peu vêtue par le froid qui cette nuit mordait, l'enleva de terre et l'emporta jusque dans sa chambre en lançant à Biret :

- Prépare-moi quelque chose ! Je meurs de faim !

Certes, il avait faim, il avait soif, il avait froid mais que c'était bon d'enfouir son visage gelé dans la soie vivante d'une chevelure, de sentir le cour de Marie battre contre le sien! Depuis Boulogne où l'avait jeté plus que déposé une mer devenue hargneuse, il pensait à elle, à son sourire, sa douceur, son corps. Et quand il l'eut contre lui, ce corps si tendre, il ne songea plus qu'à se fondre en lui dans le bienheureux anéantissement où s'effaçaient lassitude, déception, souffrances de toutes sortes. Il lui fit l'amour en affamé, avec une violence qui la surprit et l'enchanta parce qu'elle pouvait y mesurer le besoin qu'il avait d'elle...

- Je suis une brute, confessa-t-il, contrit. En plus je dois sentir le cheval... le bouc ! Pardonne-moi !

- Quelle que soit la façon, l'important c'est que tu m'aimes ! Et je n'ai pas trouvé cela si déplaisant ! fit-elle en riant. Puis-je te rappeler à présent que tu as faim?... et que le plateau qu'a dû apporter Biret doit être froid?

- Aucune importance ! La discrétion est une trop grande vertu chez un serviteur pour se plaindre du résultat...

Le plateau était là, en effet, déposé devant la porte, mais aucun plat chaud n'y était disposé près de la bouteille de vin de Champagne : une terrine de lièvre, du fromage, du pain et des confitures devraient réussir à rassasier le voyageur qui mit le plateau sur le lit après avoir rempli de bulles savoureuses les deux flûtes accompagnant ce petit repas.

- Mmmm! Que c'est bon! savoura Marie les yeux clos en buvant son vin à petits coups.

- Le Champagne est fait pour la joie, mon cour, et encore plus pour l'amour. Il donne toujours envie de recommencer. Et comme cela, c'est encore plus délicieux, ajouta-t-il en faisant tomber sur la gorge de la jeune femme quelques gouttes que ses lèvres recueillirent; mais elle se défendit contre d'autres entreprises.

- Mange d'abord, et puis raconte-moi ! C'est une honte d'être si heureux quand d'autres sont malheureux !

- Je n'y vois rien de honteux ! Que nous goûtions cet instant ou non ne changera rien au sort de ceux qui sont en danger. D'ailleurs, il se peut que nous le soyons nous-mêmes un jour prochain. Alors, vivons autant que nous le pourrons !

Il se mit à dévorer, avec l'appétit d'un homme qui avait des heures de cheval dans les jambes et, pendant un moment, Marie se contenta de le regarder.

Enfin, elle demanda :

- L'expédition a été satisfaisante ?

- En tous points... enfin presque ! William Gray, le joaillier de New Bond Street, a oublié son flegme en voyant ce que je lui apportais. Il n'a même pas discuté le prix. Pour l'excellente raison qu'il a su tout de suite à qui le vendre...

- A la Couronne d'Angleterre, je suppose ?

- Tu supposes mal. Ce serait risquer une très mauvaise affaire, tandis qu'il doit avoir dans sa manche un client extrêmement fortuné. Il a payé. J'aurais pu recevoir la somme en bonnes guinées sonnantes et trébuchantes, mais j'ai préféré des lettres de change sur... plusieurs banques. Nous avons à présent, outre une fortune, de quoi préparer des évasions augustes...

- Oh, j'en suis très heureuse ! A présent, parle-moi de Laura et Pitou. Ils te suivent en diligence depuis Boulogne, j'imagine ?

Batz considéra le morceau de brie piqué sur sa fourchette comme s'il lui en voulait personnellement.

- Non. Si j'ai dit que le voyage m'avait presque satisfait et pas tout à fait, c'est Laura qui en est la cause. Oh, bien involontaire! Je ne l'ai pas vue depuis qu'elle nous a quittés ici même. Elle est restée en Bretagne et c'est Pitou qui a apporté le diamant. Jusqu'à Jersey seulement.

Un nuage d'inquiétude assombrit les yeux clairs de la comédienne :

- Il ne lui est pas arrivé malheur, au moins ?

- Non, mais il lui est arrivé " un " malheur. Peu ordinaire d'ailleurs...

Batz restitua à Marie le récit qu'il avait entendu à la London Tavern. Il le conclut en disant que Pitou était reparti pour la Bretagne afin d'y retrouver Laura et de la ramener.

- Quelle histoire! soupira la jeune femme. Ce Pontallec me paraît une assez bonne imitation du diable ! Et la mère de notre pauvre Laura doit être folle!

Jean haussa des épaules désabusées.

- Crois-tu? Examinons-la avec lucidité. L'ex-Mme de Laudren a atteint la quarantaine et, pour ce que j'en sais, elle est encore belle. Depuis la mort d'un époux qu'elle aimait, elle a voulu étouffer sa douleur dans le travail en reprenant sa place à la tête d'une importante affaire d'armement naval. Elle ne s'est souvenue qu'elle était mère que sous le coup d'une nouvelle blessure : lorsqu'elle a appris que son fils Sébastien venait de périr en mer. Quant à sa fille, elle ne l'intéressait guère. Elle la laissait à ses serviteurs, à un couvent, à une marraine, un parrain.

- Je sais tout cela. Elle n'a même pas assisté à son mariage dans la chapelle de Versailles...

- Justement! Son gendre, elle ne le connaissait pas, ou presque pas. Peut-être même ne l'avait-elle jamais vu avant qu'il se présente à elle après la prétendue mort de sa fille et l'affaire de Somme-Tourbe où je lui ai mis quelques pouces de fer dans le corps : le mariage avait été arrangé par l'entourage de la Reine [v]. Or, si tu n'as jamais vu Pontallec, je peux t'assurer qu'il est très séduisant et qu'il n'a que huit ou neuf ans de moins que la dame. Il n'a pas dû avoir beaucoup de mal à conquérir ce cour solitaire, comme on dit dans les romans. Il paraît qu'elle en est folle !

En écoutant son amant, Marie, les bras croisés, s'était mise à marcher à travers la chambre. A la fin, elle dit :

- Je sais que Pitou ne pouvait pas agir autrement puisqu'elle tenait à s'occuper de cet homme à la dérive, mais je n'aime pas du tout l'idée de l'avoir laissée en arrière. Tu crois vraiment que cette charité soudaine est la vraie raison? A sa place...

- Eh bien ? Qu'aurais-tu fait à sa place ?

- Je crois... que j'aurais tenté quelque chose pour mettre un terme à ce scandale... et sauver ma mère - même si les liens n'ont jamais été étroits ! -parce que, avec un tel homme, cette femme est en danger si elle a réussi à garder une fortune.

- Oh, j'ai pensé à tout cela. Pitou aussi qui brûlait de rejoindre Laura...

Il se leva, prit Marie dans ses bras pour l'obliger à s'asseoir auprès de lui sur le lit :

- S'ils ne sont pas encore revenus à Paris, cela ne saurait tarder. Et j'ai pleine confiance dans Pitou... Il l'aime trop pour ne pas tout faire pour la protéger. Fût-ce d'elle-même!... Revenons à nous, ma douce, ma belle, ma tendre petite Marie !

La suite appartint à ces moments d'amour que Marie, au fond de sa bergère, revivait avec délices. Il y en avait eu beaucoup depuis le coup de passion qui les avait jetés dans les bras l'un de l'autre, depuis que Jean avait arraché Marie au théâtre des Italiens où elle rencontrait le succès pour l'installer dans cette jolie demeure de Charonne - achetée au nom de son frère, directeur des Postes à Beauvais, mais appartenant en réalité au baron de Batz comme plusieurs autres maisons dans Paris. Elle y était châtelaine, recevait avec grâce ceux qu'il lui demandait d'accueillir, mais c'était en fait le plus sûr comme le plus chaleureux repaire du conspirateur et, jusqu'à présent, seuls les fidèles du Roi, les vrais amis, en connaissaient l'adresse et s'y retrouvaient.

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Voir tome I.