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- Tu avais bien besoin de venir la chercher pour assister à cette boucherie! gronda-t-il en le secouant comme un prunier avant de l'envoyer au tapis d'un maître coup de poing.

Après quoi soulagé, il était rentré rue du Mont-Blanc pour prendre ce qu'il fallait avant de courir à la prison où il passerait désormais le plus clair de son temps, ne rentrant à la maison qu'après avoir vérifié sur la liste affichée chaque soir que le nom de Laura n'y était pas inscrit.

Cette première journée à la Conciergerie ne fut pas trop pénible pour la jeune femme grâce à ses deux compagnes, mais c'était de Mme de Sainte-Alferine qu'elle se sentait proche. Son humanité, son courage et sa foi en Dieu conservée en dépit du calvaire enduré, sa sérénité aussi en faisaient l'appui le plus sûr pour les heures noires. Et puis elle connaissait si bien Batz ! Tandis que ses doigts agiles tricotaient une petite pèlerine de laine bleue pour la fille d'Emilie, elle pouvait parler de lui pendant des heures et c'était incroyablement réconfortant ! Surtout lorsqu'elle se récria avec indignation quand Laura lui parla de Michèle Thilorier et de sa grossesse :

- Il est incapable de ça ! Dites-vous bien qu'il n'a pas passé sa vie à collectionner les maîtresses. Avant Marie Grandmaison, je ne dis pas, mais depuis qu'elle est entrée dans sa vie il lui a été fidèle. J'en gagerais ma part de Paradis !

Mais, quand venait, avec le soir, le moment de la lecture fatale, il n'y avait plus de sérénité possible. La prison retenait son souffle jusqu'à ce que l'homme au chapeau noir replie son papier.

Ce premier soir, l'appel toucha dix-sept personnes dont une seule femme : l'épouse d'un modeste cordonnier, Pétremont, qui devait mourir uniquement parce qu'elle était son épouse, comme étaient mortes Lucile Desmoulins et Françoise Hébert. Cette liste avait d'ailleurs quelque chose d'invraisemblable et même d'insensé car, autour de l'ancien maire de Perpignan, Vacquié, et de Sézanne, président du département des Pyrénées-Orientales, on ne trouvait guère que deux nobles, des militaires. Les autres étaient laboureur, tapissier, limonadier comme le défunt Michonis, garde-champêtre et même mendiant ! Un pauvre hère qui se nommait Le Maule...

- Quel crime ont bien pu commettre ces malheureux? murmura Laura.

- Et moi, quel crime ai-je commis? s'écria Emilie Chalgrin, et notre amie Eulalie, et vous-même ? Pourtant nous allons toutes mourir !

Ce fut le quatrième jour que l'aboyeur laissa tomber un nom qui fit sursauter Laura :

- La citoyenne Adame, Laure...

- Mon Dieu! gémit la comtesse, c'est vous ma pauvre enfant! Le doute n'est malheureusement pas possible. Ces gens écorchent souvent les noms....

La jeune femme avait pâli, mais elle rassembla son courage pour aller vers l'homme :

- Cela ne peut pas être moi : je m'appelle Laura Adams...

- Ben, c'est ce que j'ai dit, il me semble ?

- Pas tout à fait ! Et de quoi suis-je accusée ?

- D'espionnage ! Tas même de la chance d'aller au Tribunal. Les gens de ta sorte, on les tue sans jugement...

- Eh bien, si je suis une espionne, je veux voir le citoyen Fouquier-Tinville... le plus vite possible, puisqu'il ne me reste plus beaucoup de temps !

- Tu t'imagines qu'il a que ça à faire ?

- Si le bien de la Nation lui est cher, il me recevra : j'ai des révélations à lui faire ! Dis-le-lui ! Et s'il ne veut pas qu'en plein prétoire je crée un scandale, il me recevra.

L'homme ne répondit rien, se contentant de hausser les épaules d'un air sceptique tandis que Laura revenait à sa place. Elle vit cependant l'homme écrire quelque chose sur un bout de papier et le donner à l'un de ses gardes avec un geste qui désignait l'extérieur. Ensuite, il reprit sa sinistre lecture et ce fut presque tranquillement qu'elle rejoignit ses compagnes désolées.

- Pourquoi vous être avancée ? reprocha Eulalie de Sainte-Alférine. Je voulais prendre votre place. Si l'on ne vous avait pas vue...

- Merci, merci de tout mon cour, comtesse, mais c'était irréalisable. Fouquier-Tinville me connaît et soyez sûre qu'il tiendra à me voir monter dans la charrette. Je lui ai d'ailleurs fait demander une entrevue...

- Vous voulez... rencontrer cet assassin?

- Oui. Je vais mourir, soit, mais je veux être certaine que Pontallec ne me survivra pas et qu'il paiera pour ses crimes. Vous devez comprendre cela, vous qui, avec Batz, avez si patiemment préparé la mort de votre ennemi ?

- Certes! Et je ne peux pas vous donner tort, bien au contraire ! Je vais prier pour que Dieu vous aide...

- Priez plutôt pour qu'il détourne les yeux, dit Laura avec l'ombre d'un sourire. Ce que je vais faire ne relève guère de la morale chrétienne. C'est à Lui que la vengeance appartient !

- J'ai toujours pensé qu'en cette matière, Dieu pouvait avoir besoin d'aide, remarqua Eulalie en faisant un signe de croix avant de s'agenouiller devant son lit.

Au-dehors il faisait encore clair mais, dans la prison, la nuit était venue et les trois femmes se disposaient à se coucher quand le geôlier entra, armé de sa lanterne, et fit signe à Laura :

- Tu viens avec moi ! Quelqu'un t'attend !

A sa suite, elle quitta le quartier des femmes pour traverser l'immense salle, voûtée en ogive, qui avait été celle des gardes de Philippe le Bel, et s'engager dans un étroit escalier conduisant directement au premier étage des deux tours jumelles - tour de César et tour d'Argent - qui encadraient jadis ce qui était alors l'entrée du palais. Là étaient les bureaux de l'accusateur public....

Laura fut introduite dans une grande pièce ronde dont les dimensions, cependant respectables, se trouvaient réduites par une accumulation de classeurs visiblement débordés et de dossiers accumulés un peu partout. D'autres encore formaient une belle pile sur le bureau où un homme, éclairé par une lampe-bouillotte, était assis, une plume à la main qu'il venait de tremper dans l'encrier mais qu'à l'entrée de Laura il laissa dégoutter sur le buvard ; cette encre était rouge et la jeune femme ne put retenir un frisson.

De sous les épais sourcils noirs, le froid regard glissa sur elle :

- Tu as des révélations à me faire, paraît-il? Prends garde à toi si elles ne sont pas intéressantes...

- Prendre garde ? A quoi ? fit-elle avec un haussement d'épaules. Demain je comparais devant le Tribunal révolutionnaire. Vous ne pouvez pas me tuer deux fois et je n'ai qu'une tête à vous donner !

Le regard de Fouquier-Tinville se fit plus aigu.

- Il faut reconnaître que tu ne manques pas de courage mais j'ai à faire, vois-tu, et mon temps est précieux. Alors dépêche-toi! Qu'as-tu à me dire?

- D'abord une question si vous voulez bien. L'homme qui m'a dénoncé comme espionne anglaise, le connaissez-vous ?

- Autant qu'on peut connaître un provincial qu'on n'a pas vu souvent. C'est le citoyen Pontallec. Il m'a été fort recommandé par mon ami Lecarpentier qui tient le Cotentin et une partie de la Bretagne, mais c'est Louis David qui me l'a fait connaître. ,