Выбрать главу

Elle était déjà debout. Elle écrasa la cigarette dans le cendrier devant le policier et Schneider regarda les poignets entravés par les bracelets d’acier, des poignets carrés et robustes, qui ne cadraient pas avec les courbes voluptueuses du corps. Il fronça les sourcils. Il essayait de cerner la personnalité de la fille, et il était bien contraint de reconnaître qu’il n’y entravait « queue d’alle ». Il n’était plus vraiment équipé pour ce genre de faune.

Ils n’avaient ni les mêmes réflexes, ni les mêmes programmes. Il avait beau peser de toutes ses forces, ça ne donnait rien. Josie-la-Dingue avait tenu, en dépit des informations selon lesquelles elle se camait dur, et il n’avait pas vu la nécessité de se la faire au finish, et la belle « Nina Hagen » avait tenu les doigts dans le nez, elle à cause d’une certaine inadéquation des catégories mentales du policier et celui-ci devait convenir que les jeunes étaient devenus soudain beaucoup plus coriaces que leurs aînés, et qu’en outre, ils se mouvaient dans leur monde à eux, avec des tas de sas et de cloisons étanches.

Il avait ébranlé Josie, mais que nib pour la fille.

— Descendez-la en G.A.V., Charles, dit Schneider.

— O.K. ! dit le jeune homme. Ramène-toi, la marmite…

— J’suis pas une marmite, dit la fille.

— Ferme ta gueule où je saute dedans. Il se came pas ton Jules ?

— Non, cracha la fille. Il se came pas, connard.

Charles la poussa devant lui dans le couloir.

Bogart tapait avec quatre doigts, dans un bureau des pleurs. Ils avaient paumé Vitale vers les quinze heures : le jeune flic avait demandé et obtenu l’autorisation de voir Fozzi dix minutes, au C.H.R., mais les minutes avaient tout l’air d’être des minutes de coiffeur. Des gens de la P.J. stagnaient au niveau du secrétariat de la Sûreté. La routine.

Charlie regardait le beau et large cul se tortiller devant lui, bien moulé dans le tissu du jean, usé aux bons endroits. Il en avait des fourmis au bout des doigts, et il vota une motion de soutien aux estimables travailleurs qui bossaient chez MM. Levi et Strauss dans de la bonne toile de Nîmes. Nom de Dieu.

De ce fait — à cause du cul stationnaire devant la porte de l’ascenseur —, il pensa à filer un coup de bigot à la charmante Evita Banana. La femme lui avait proposé un petit triangle avec sa copine du moment — une autre valeur sûre. C’était immoral. Du moins, dans le temps, ç’avait été immoral. Maintenant, ça avait tendance à se banaliser, sans compter qu’il restait un petit bout de shit que le Chat avait saisi incidemment en palpant un famélique quelconque — bien content de s’en tirer sans procédure aux fesses, et que ça pourrait donner un tour plus chaleureux encore à leur entretien.

Lorsque le couple pénétra dans le local des geôles, le gardien de permanence fourra en vitesse son bouquin dans un tiroir, et sa large face placide arbora un sourire matois lorsqu’il reconnut Charlie.

— Bouquin de cul, hein, supputa le jeune homme.

— Hé ! dit le fonctionnaire en uniforme. Elle est chouette, la frangine.

— C’est une dure, dit Charles. Une vraie grande, supercoriace et tout…

Ils la remirent au trou et ils fumèrent une cigarette. Derrière la paroi de verre blindé, la fille regardait ses pieds, et le spectacle avait l’air de l’absorber totalement.

— La gonzesse à Jethro, hein ?

— Oui, dit Charles.

— Dans le temps, elle tapinait un peu avec la Josie, la pute à Ramsès. Après, elle a bossé aux Galeries, avec son autre frangine, une petite salope maigre qui se dope avec tout ce qui traîne. C’est la mère qui les a mis sur le turf, une vachasse vicieuse comme un rat borgne.

— T’as l’air de connaître, observa Charles.

Il pensait à Evita. Ça faisait quand même bien vingt heures qu’il n’avait pas donné, et ça commençait à lui peser sur les rotules. Il se passa la main dans les cheveux, comme s’il craignait soudain qu’ils se fussent fait la malle. Pas de risques.

— Oui, je connais, dit le gardien. Quand j’habitais la Cité, y avait sans arrêt des sacs de nœuds avec elles. La mère, « la Péniche » on l’appelait, parce qu’il paraît qu’elle filait cinq nœuds à l’heure. Des sacs et des sacs…

Charles s’éclipsa.

C’était pas le stand des Arquebusiers du Roy, avec ses poutres en chêne, son club-house et ses Contenders, et ses parquets cirés, et nul gardien de la paix ne leur servait de rafraîchissements à l’entracte, non, c’était un Club de clodos, de flicards de deuxième zone, en attendant le moment qu’on en invente une troisième, et de fauchés, et un vieux frigo déglingué faisait tout son possible pour les dépanner, aussi tiraient-ils dans un stand de clodos fauchés à ciel ouvert, sauf les alvéoles de tir, et où il fallait, pour aller aux résultats, arpenter un petit arpent d’herbe qui vous montait presque aux mollets à la belle saison, en soulevant des nuages de criquets à chaque pas, ou en pataugeant quelque peu dans la boue, à force, lorsque la saison avait enfin cessé d’être belle.

En revanche, ils avaient monté un barbecue et stocké du petit bois, des sarments secs sous un appentis, avec deux ou trois sacs de charbon de bois obtenus par extorsion, et de temps en temps, en douce, ils se tapaient des merguez et des brochettes arrosées de Côtes du Rhône.

Il y avait des parpaings partout, parce qu’il restait toujours quelque chose à faire, le stand au plomb était loin d’être terminé, ainsi que les cibles mobiles de tir olympique, seulement ils étaient chez eux, ils avaient chiadé la sécurité, et le reste, ils s’en foutaient. La P.J. et la S.T. venaient s’entraîner régulièrement, et ça laissait à penser que pour des clodos, ils ne s’étaient pas trop mal démerdés.

Il y avait deux tireurs sur le pas.

En dépit du froid, Schneider avait tombé la veste et pris place sur la quatre, en relevant la tablette de tir. Il était allé auparavant disposer une cible réglementaire à quinze mètres, et Charles en avait fait autant à la six, et les deux silhouettes noires violemment éclairées semblaient leur braquer une arme en plein front. Le visage blanc et vide, il attendait, les bras le long du corps, que Perrier donnât le signal du tir. Ce dernier avait déjà débité toute la litanie habituelle — pour un tir de police de cinq cartouches à quinze mètres, approvisionnez (et il avait introduit cinq lourdes cartouches de .45 dans le chargeur du Colt, sans toucher à celui-ci et chacun de ses gestes avait été mesuré et précis, puis il avait introduit le chargeur dans la crosse de l’arme qu’il avait reposée devant lui), l’arme à l’étui (le torse immobile, il avait mis l’arme à l’étui sans actionner la culasse et relevé la tablette), et Perrier avait ajouté, ce qu’il ne faisait pas toujours : « feu au commandement », au lieu du « quand vous voulez » habituel.

À son emplacement, Charles avait déjà les chevilles écartées, le .38 dans son holster sous le bras gauche et le blouson ouvert, et il avait l’air de se dandiner en maugréant quelque chose entre ses dents, ce qui était sa manière à lui de se concentrer, tout en se frottant les mains l’une contre l’autre. Ses paumes émettaient un petit crissement sec, et le jeune homme paraissait aussi nerveux qu’une chatte sur une corde à linge.

Chacun s’accordait à dire que c’était un rapide.

Perrier souffla dans le sifflet à roulette, comme n’importe quel flicard à n’importe quel carrefour sur le coup des six heures, en pleine bourre.

Schneider parut se tasser sur lui-même, ses genoux fléchirent à peine et ses pieds se campèrent au sol, le .45 surgit dans son poing droit, la main gauche saisit le bloc de culasse, et en moins d’une demi-seconde, la lourde arme gronda dans sa main, le museau se releva de trente degrés et une longue flamme jaillit de la bouche. Entre les deux premières détonations, l’aboiement un peu rauque du .38 de Charles s’intercala de façon parfaitement audible, mais les autres détonations se confondirent inextricablement.