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Ils n’avaient pas eu le temps, les flics, d’exploiter les carnets que Jo Frontera avait remis spontanément à l’inspecteur principal Schneider, qu’ils ramassaient tout ce fatras sur la gueule. S’il y avait un autre dieu des policiers que la routine ou la chance, ses voies se révélaient des plus impénétrables.

Ils en étaient à essayer d’encaisser.

Le plus urgent, c’était le vendredi, et ils s’attaquèrent au vendredi. Outre la date dans la colonne d’extrême gauche, voilà ce qu’ils trouvèrent à la date du vendredi, heure par heure. Mayer avait ouvert les volets du rez-de-chaussée à sept heures dix (lundi, sept heures douze ; mardi, huit heures deux ; mercredi, sept heures une et jeudi, neuf heures vingt, c’était donc dans la norme). Il avait quitté son chez-lui à neuf heures vingt-six (MAY/DT 09 H 26’ MERSA 5622 PR…), il était rentré à onze heures dix (MAY/RT 11 H 10’ MERSA 5622 PR…) et dans la colonne « observations » on pouvait remarquer qu’il avait sorti deux valises du coffre de la voiture qu’il avait laissée devant la maison (Blondain avait inscrit dans cette colonne : deux grosses valises noires, genre Samsonite achetées aux NOGA. Valises vides). Il était reparti quelques instants plus tard, à onze heures vingt, il était revenu après déjeuner, avait passé l’après-midi sans sortir ni recevoir de visites, mais peu avant dix-neuf heures, une jeune femme était arrivée à pied et ils étaient sortis ensemble, et Mayer était rentré seul à dix-neuf heures vingt-six.

Les trois charlots étaient arrivés ensemble, à pied, à dix-neuf heures vingt-huit, ce qui laissait à penser qu’ils devaient l’attendre quelque part, planqués dans un coin. Pas de moto.

Schneider avait tombé la veste et entamé un paquet de Camel. Charles téléphonait à l’extérieur. Blondain parcourait la Revue de la Police nationale tout en répondant aux questions, avec son éternelle précision. Ça ne ressemblait pas vraiment à un interrogatoire, tout au plus à une conversation banale, sauf que Perrier tapait à la machine des dix doigts, en reprenant parfois tel ou tel propos afin de dissiper toute ambiguïté éventuelle.

Ils procédaient millimètre par millimètre, lentement, comme on ratisse un bout de terrain.

Les trois personnes étaient arrivées ensemble : Jethro devant, et, à quelques pas derrière, la fille (« Nina Hagen ») et le jeune homme. Ils avaient sonné à la porte de la maison, on leur avait ouvert et ils étaient entrés.

Blondain n’avait évidemment pas vu qui leur avait ouvert.

À vingt-trois heures vingt-sept précisément, le rideau du garage s’était ouvert, après que la lumière se fût éteinte dans les pièces du bas. Il avait alors vu la voiture de Mayer sortir du garage. Jethro conduisait et il était évident qu’il n’avait pas la machine en main, car il avait calé au milieu de l’allée. Dans sa lunette, Blondain avait eu tout le loisir de reconnaître la fille sur le siège avant droit, et le jeune homme derrière.

— Je pense, dit Schneider, que vous mesurez l’importance de vos déclarations, monsieur Blondain. Je pense que vous savez que vous aurez à les répéter devant le magistrat instructeur, puis ensuite en Cour d’assises…

— Je sais tout cela, sourit Blondain. Cette lunette m’a coûté fort cher, évidemment, mais elle se comporte comme un amplificateur de lumière et je suis absolument certain que ce que je vous déclare est exact, ou alors je ne pourrais jamais plus me fier de ma vie à ce que mes yeux me permettront de découvrir.

— Oui, dit Schneider. Rien ne vous permet d’affirmer que Mayer se trouvait dans la voiture.

— Absolument rien, monsieur l’inspecteur. Absolument rien. En tous cas, il ne se trouvait pas assis dans l’habitacle. Peut-être se trouvait-il aux pieds du jeune homme, entre les sièges avant et la banquette, encore que je ne le croie pas : le jeune homme était assis normalement, le buste penché en avant…

— Reste le coffre…

— Reste le coffre, reconnut Blondain. Je ne peux rien ajouter d’autre, à ce propos. Ils sont sortis en voiture, le conducteur a calé et a redémarré, mais personne n’est descendu du véhicule.

— Pas trace des valises ?

— Aucune, dit Blondain.

— Ensuite ?

— Ramirez est arrivé. Il était…

— Trente… dit Schneider. Vingt-trois heures trente.

— Oui, vingt-trois heures trente. Il est passé une première fois devant la maison, mais il ne s’est pas arrêté.

La porte du garage s’était refermée automatiquement et il a fait le tour du pâté de maisons, ce qui a dû lui prendre une minute à une minute trente, puis il est revenu au même endroit et il est entré dans le parc. Il a laissé la voiture devant les marches de l’entrée, il a coupé les lumières, ce qui fait qu’il était invisible de la rue, et il est entré dans la maison. Il n’y est resté que quelques instants…

— Il en est sorti à trente-quatre, lut Schneider. Il avait une clé ?

— Non, dit Blondain. Il est entré directement, sans utiliser la moindre clé. Lorsque vous utilisez une clé, il y a un temps d’arrêt, lorsque vous cherchez le trou de serrure, le temps de faire tourner la clé.

— Selon vous, la porte était restée ouverte, alors, dit Perrier.

— Ouverte, non pas : simplement on ne l’avait pas verrouillée avant le départ des trois jeunes gens. Mayer n’avait peut-être pas tourné la clé derrière eux à leur arrivée, ou alors ils ont rouvert…

— Ou alors, releva Schneider. Ça fait beaucoup d’inconnues, tout ça.

— Oui, en convint Blondain.

— Ramirez est revenu dix minutes plus tard…

— Oui, dit Blondain. Il est entré directement dans le parc, mais cette fois il a manœuvré pour placer l’avant de la voiture dans le sens de la rue et le coffre en direction de la maison. Il ne conduisait pas sa BMW : le chauffeur était un jeune homme mince, vêtu d’un blouson d’aviateur, une espèce de manouche avec des moustaches sombres et épaisses, mais bien taillées. Il est sorti de la voiture et s’est mis en faction derrière le pilier gauche de l’entrée. Il avait un fusil à pompe à la main. Ramirez est retourné dans la maison, il est resté une quinzaine de minutes à l’intérieur, puis il est ressorti en portant une des deux valises et il l’a mise dans le coffre. Ensuite, il est allé chercher la seconde et il l’a mise avec l’autre dans le coffre qu’il avait laissé ouvert. Il est retourné refermer la porte, l’autre s’est replié vers la voiture, sans se presser, et s’est remis au volant et ils sont partis.

— Il était minuit dix, lut Schneider.

— Oui, dit Blondain.

— Vous ne l’avez pas vu refermer la porte. J’entends, la verrouiller ?

— Absolument pas, affirma Blondain. Il a tiré la porte derrière lui, il a descendu les trois marches et a vérifié la fermeture du coffre, puis il est remonté dans la voiture et ils sont partis, en roulant presque au pas. Le conducteur a allumé les feux de position de son véhicule plus bas dans la rue, mais je suppose que ses yeux avaient eu le temps de s’accoutumer à la pénombre pendant tout le temps où il avait monté la garde à l’entrée du parc, et qu’il n’avait pas besoin de beaucoup de lumière pour se diriger…