L’escalier métallique donnait sur une petite plateforme d’un mètre carré, située à une dizaine de mètres du sol, et il avait gravi chacune des marches mouillées l’une après l’autre, lentement, sans le moindre bruit, et il se trouvait maintenant sur la plate-forme en ferraille rouillée à attendre que son cœur se calme.
En bas, il faisait noir comme un four. D’en haut, la pluie tombait droite comme des lames d’acier. À sa droite, il avait une porte en bois compressé, fermée par une serrure ordinaire.
Il sortit la clé de son gant gauche.
Ramsès ne savait même pas que la clé existait. Le gros con était certainement un fortiche, et il avait des couilles au cul, mais il n’était pas très malin, ni très prudent, et il avait déjà fait une belle connerie en lui lâchant ses chiens de garde aux fesses. Il avait aussi fait une belle connerie en ne changeant pas la serrure. D’un autre côté il n’avait eu aucun intérêt à le faire, jusqu’à présent. Il n’avait eu aucun intérêt et il n’en n’aurait plus besoin.
Plus jamais besoin.
Jethro introduisit la clé dans la serrure et la porte s’ouvrit. Il faisait froid et humide dehors, dedans, il faisait tiède et moite, ça sentait la cigarette blonde et la poule de luxe. Et la poussière. C’était presque enivrant, comme odeur.
Il sortit un crayon-torche de sa botte droite et l’alluma en s’adossant à la porte qu’il avait refermée. Dans la pièce, il y avait un grand lit dévasté et un vieux bureau métallique poussé contre le mur, et c’était tout. Il pouvait y aller plein pot, mais cependant il se déplaça lentement et sans bruit et longea le couloir étroit, semblable à une coursive de bateau, en visitant chaque pièce l’une après l’autre, le long Magnum dans le poing gauche. En fin de compte, il procéda méthodiquement et un flic n’aurait pas mieux fait. Il cherchait quelqu’un (Ramsès, pour ainsi dire, et pas précisément pour lui faire la bise, mais pour lui demander où il avait mis le fric, et pour le tuer), et il cherchait les valises. Il cherchait Ramsès et le fric, en se demandant à quoi ça pouvait ressembler, sept ou huit cents briques, et si ça tenait beaucoup de place.
En billets de cinquante mille balles.
En même temps, il avait la trique.
Il cherchait Ramsès, mais en attendant, il aurait bien aimé tomber sur une gonzesse, histoire de s’amuser un peu avant. Avant de la tuer. Le plus trapu, ça serait de buter Josie. Il n’avait jamais baisé avec, mais ça devait quand même pas être mal, seulement il fallait aussi qu’il la bute.
Il savait qu’il ne faisait pas plus de bruit qu’une ombre en se déplaçant le long de la double piste en forme de haricot, mais il avait l’impression que son cœur cognait contre les murs, et dans le faisceau de la lampe, il se rendait compte à quel point la salle était cradingue sans la lumière trompeuse des projecteurs. Il en avait mal de voir ça, tout ce putain de badigeon bleu dégueulasse contre les murs et le plafond, cette moquette râpée, usée, trouée de brûlures de cigarettes. Il n’aimait pas voir la merde.
Il claqua des mâchoires.
À cause de ce que le gosse lui avait refilé pour tenir le coup sans dormir. Il ne serrait pas vraiment la crosse du revolver, il avait les doigts soudés autour. Il n’avait pas envie de boire ou de manger. Il avait envie qu’il arrive.
Il savait qu’il allait le tuer.
Il se coula dans un fauteuil, d’où il avait les deux entrées dans le champ de vision, il étendit les jambes sur une table basse. Et il éteignit la lampe. Il posa le bras sur l’accoudoir gauche et laissa prendre l’arme. Il avait le temps.
Ça se mélangeait un peu, la boîte et toutes les odeurs abrutissantes et il n’y avait pas que des relents de parfum, il y avait d’autres senteurs, moites et familières, comme s’il avait le nez fourré entre ses seins (vers dix heures du matin, et il pleuvait dehors), mais les flics l’avaient coxée et il était seul, ce qui provoqua en lui une espèce de spasme de détresse, la boîte et le fric, et le connard que Ramsès lui avait mis aux fesses.
Tout cela se mélangeait, et en même temps, il avait la certitude qu’il ne s’en tirerait pas. C’était sûr comme deux et deux font quatre. Il avait laissé la Mercedes derrière, dans une ruelle, et il attendait mais il ne savait pas pourquoi il n’avait pas planqué la voiture, ni pourquoi il attendait : il attendait pour piquer le pognon à Ramsès et pour le tuer après, ça c’était sûr, mais il ne savait pas pourquoi il faisait tout ça, ni pourquoi il avait fait sauter le caisson au type. Jusqu’à ce moment-là, il n’avait jamais tué personne et ça lui avait fait tout drôle, quand le bocal du type avait éclaté comme une pastèque trop mûre, en projetant des pépins de sang noir un peu partout à la ronde.
Les jambes maigres dans le blue-jean avaient fauché l’air d’une manière tout à fait grotesque. C’était vachement dingue, comme truc. Pas du tout, du tout, ce qu’il aurait pensé avant.
Avant…
Il se demandait pourquoi Ramsès lui avait envoyé un type avec un Riot Gun, au lieu de rester peinard dans son coin en attendant que ça se tasse pour tout le monde, parce que s’il n’avait envoyé personne, lui, Jethro, ne serait toujours pas au gaz, question pognon. D’un autre côté, il avait récupéré un Rio calibre 12, un truc super pour la bagarre. Tout ça, c’était plutôt bonnard, mais il avait beau se raconter des craques à toute berzingue, il entendait la petite voix dans sa tête et elle lui disait sans arrêt qu’il avait pas la moindre chance de s’en tirer, maintenant qu’elle était au trou.
Il était balèze, mais pas au point de la sortir de là où elle était. Si on lui avait dit comment s’y prendre, où il fallait aller et ce qu’il fallait faire, il y serait allé, mais il n’arrivait pas à s’imaginer le coup.
Alors, il attendait Ramsès, qui avait rencard avec son type à sept heures. Il attendait Ramsès, en espérant que Josie soit pas avec. Si elle était avec, elle y aurait droit aussi.
La bâtisse était silencieuse aussi, comme si elle attendait, elle aussi, en retenant son souffle et ses craquements. Jethro releva le chien du revolver.
La BMW musardait alentour.
On ne pouvait pas dire combien de personnes y avaient pris place, ni si elles étaient armées. Entre la BMW et le Twenty Flight, il y avait deux bagnoles banalisées dans lesquelles des équipages de flics s’emmerdaient comme des rats morts, en se gelant les couilles.
Ça compliquait passablement la situation, à moins que ça la rendît plus intéressante pour certains.
Le problème majeur, pour Ramsès, c’était de pénétrer dans les lieux sans se faire piquer par les schleus, parce que son type l’y attendrait à partir de sept heures. Il avait des trucs à récupérer dans le coffre mural, avant de se tirer pour de bon.
Le problème majeur, pour les flics, c’était de piquer Ramsès, si possible avant qu’il rentre au Twenty Flight, pour taper une perquise après, sans qu’il ait eu le temps de toucher à quoi que ce soit.
Le problème majeur, pour Jethro, c’était de buter Ramsès, fric ou pas fric.
Dans la Renault 14 bleue (fin de service, relève à sept heures trente, chef de voiture inspecteur divisionnaire Moretti, équipier inspecteur Francis Cabrial), l’un des deux flics dormait, la nuque appuyée à l’appuie-tête de la voiture, et l’autre, assis au volant, écoutait Johnny Cash à plein potard dans son walkman. Ils avaient l’entrée principale dans le collimateur.