Выбрать главу

Il ne parla pas de Josie. Josie, c’était la surprise.

Perrier saisit le combiné de la radio. Il avait une cigarette à la bouche et son visage était dépourvu de toute expression. Il appela la salle de commandement. Schneider était en route pour le C.C.

— On a le loustic, annonça Perrier. On rentre.

Charlie Chan suivait au volant de la Mercedes, en tripotant tout un tas de boutons et en pensant — en même temps — au lieutenant Claude Schneider, à Shadrack qui avait élu domicile sur le radiateur de la cuisine et à Evita. Dans l’ordre, il essayait de suivre la 4 L devant, et de mettre un peu d’ordre dans ses pensées, en s’essuyant les doigts sur le blue-jean.

Le branle-bas, dans une affaire criminelle, est un phénomène qui se produit plus ou moins à l’improviste et qui laisse parfois des traces à peu près indélébiles, mais pendant un bon moment, ça a tout l’air d’être le boxon avec tout un tas de flics qui galopent dans tous les sens, c’est la chasse aux clés de bagnole, des grandes glissades dans le hall d’accueil — et on a un peu l’impression, de l’extérieur, que les gens ont tendance à en remettre un peu, mais c’est que les flics chargés de l’affaire sont tenus par le temps : ils savent qu’ils ont vingt-quatre heures de garde à vue, puis à nouveau vingt-quatre heures de prolongation accordée par le proc’, et dans bien des cas, c’est short.

Alors, ils foncent.

Leurs confidences, si toutefois vous parvenez à en obtenir, se réduisent alors en général à quelques monosyllabes jetées entre deux portes — et encore, si vous tenez le battant vous-même. Ça va vite et ça fait fort.

C’était le branle-bas.

Deux flics aux yeux rougis par le manque de sommeil et la fumée des cigarettes, le visage gris de barbe, avaient ramené Jethro au Commissariat central. En sortant de l’ascenseur au rez-de-chaussée, ils avaient rencontré Schneider qui avait fini de prendre connaissance du registre de main courante dans le local affecté à la permanence.

Schneider avait allumé une cigarette tout en examinant leur prise sans mot dire. Un grand type costaud dans les vingt-six ans, tout en longs muscles bien déliés, aux longs cheveux raides et graisseux, et qui ressemblait en effet beaucoup à Jethro Steelfingers dans ce vieux Blueberry que Charles avait amené au bureau. Tout le monde s’était entassé dans l’ascenseur et avait gagné les somptueux bureaux de la Criminelle « B ».

Une équipe de l’identité judiciaire passait la voiture de Mayer au peigne fin, dans le garage en sous-sol.

Si Jethro ne leur avait pas bourré le caisson (et pourquoi l’aurait-il fait, grand Dieu, pourquoi se serait-il accusé de meurtres qu’il n’avait pas commis ?), il allait falloir rappeler du monde à l’identité judiciaire pour procéder aux constats au Twenty Flight.

Schneider avisait le procureur de la République.

Il parlait peu.

Son dos le faisait terriblement souffrir. Il était froid, dur et vide intérieurement, vide comme un tambour et à peine moins sonore et il avait une longue journée devant lui, parce qu’il avait la certitude intime que Jethro ne leur avait pas balancé de craques. Il avait rectifié un des employés de Ramsès, et Ramsès, sec. Il leur manquait encore le jeune Momo Chevallier, mais dès qu’il apprendrait que ses acolytes étaient tombés, l’adolescent ne tarderait pas à rappliquer et d’une certaine façon (de la façon la plus tangible et la plus officielle) ils auraient bouclé l’affaire.

Il raccrocha, appela le chef de la Sûreté et il lui fit un bref résumé de sa conversation, ainsi que des premières déclarations de Jethro. Il fallait se rendre à la boîte, et prévoir une deuxième équipe d’I.J. pour les constatations. Il fallait…

— O.K. ! coupa Jack l’Éventreur. J’envoie chercher Meursault à son domicile. Il est en récupération, mais il n’a pas quitté la ville. Vous avez besoin de monde, autrement ?

— Non, dit Schneider. Pas pour l’instant.

— Vous me tenez au courant.

— Oui, promit Schneider.

Il raccrocha. Jethro fumait une Gitane. Perrier introduisait une liasse de procès-verbaux dans la machine. Dumont se curait les ongles en attendant la suite. Schneider déclara à leur client qu’il se trouvait en position de garde-à-vue, depuis le même jour, à compter de huit heures, moment de son interpellation par les policiers du service.

— Bon, dit Jethro.

— Comment était le boss ? s’enquit Charles.

— Presque aimable, ricana Schneider.

— Mauvais, ça, observa Dumont.

Les quatre policiers gardèrent le silence une seconde, puis la machine se mit à crépiter sous les grands doigts rapides de Perrier. Vingt minutes plus tard, ils avaient déjà fait un premier tour de l’affaire.

Sous la pluie, Jethro les amena à la Combe de la Demoiselle (constatations, photos, enlèvement du corps) où il avait nettoyé le gun fighter anonyme de Ramsès, un type assez jeune de type gitan, mais dont la gueule écrabouillée ne permettait plus de se faire une opinion de son faciès d’origine, et qui gisait sur le ventre dans une posture assez grotesque, qui aurait pu s’expliquer s’il avait tenté de se tirer à plat ventre en s’aidant des ongles pour gravir la butte mais personne n’a jamais tenté ce genre d’exploit avec le crâne défoncé — et personne ne l’a jamais réussi.

En gros, la posture faisait songer à une grenouille décérébrée jetée là par une main désinvolte. Les poignets liés, encadré par les flics, Jethro errait dans la pierraille sans prendre garde à la pluie qui lui ruisselait sur la figure. Il finit par découvrir ce qu’il cherchait, un caillou ovale, à la texture serrée, gros comme un beau cantaloup.

— Là, dit-il.

Le fonctionnaire de l’LJ. se pencha et un éclair de flash déchira la grisaille, et un sifflement s’éleva pendant que le condensateur se remplissait, et il doubla de plus près avant que Schneider saisît le caillou. Bonne prise en main. Un magma brunâtre adhérait encore dessous. Charlie Catala tendit un sachet de plastique ouvert et Schneider y déposa soigneusement le pavé en faisant attention que le magma fût le moins en contact possible avec l’emballage. On pouvait distinguer sans peine les cheveux qui s’y trouvaient mêlés.

Jethro leur désigna l’endroit où il avait vidé le barillet (photos générales, puis gros plan au grand angulaire), et ils saisirent six étuis percutés qu’ils glissèrent dans un autre sachet de plastique et, partant du principe que le caillou constituait le scellé numéro un, le sachet contenant les étuis de 357 devint le scellé numéro deux, et ils avaient tout lieu de penser, les flics, qu’il y en aurait encore.

Schneider fumait cigarette sur cigarette, les sourcils serrés et les mâchoires durcies. Perrier s’approcha de son collègue.

— J’suis pas sûr que ce connard se rend compte qu’il est en train de se passer la corde au cou, dit-il en fourrant les mains dans les poches de sa canadienne. Bordel de merde, qu’est-ce qui lui a pris ?

— J’en sais rien, déclara Schneider d’une voix revêche.

— Ramsès était bien dans le coup, en définitive.

— En définitive, releva Schneider avec un sourire en coin.

Un peu avant dix heures, ils pénétrèrent au Twenty Flight avec les clés que Jethro avait récupérées dans le costard de Ramsès. Ça sentait la poussière, la fumée de cigarettes blondes, et un inextricable cocktail de parfums plus ou moins lourds et capiteux — sur fond de cannabis. Constatations.