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Ramsès était mort, effondré en tas derrière le bureau. Photos. Josie était étalée, les jupes remontées, en plein milieu de la petite pièce. On en voyait une grosse masse de cheveux poisseux, une main intacte — et toute l’intimité, pour ceux qui ne l’avaient pas connue de son vivant.

Perrier se passa la main sur la figure.

Charlie Catala attendit que le photographe en eût terminé pour lui rabattre la jupe sur les cuisses. Comme à chaque fois, ils s’étaient munis de quelques sacs poubelle de vingt litres et bien leur en avait pris, car pour évacuer le corps de la femme, ils durent lui soulever la tête (la tête) et tout glisser tant bien que mal dans un sac pâle transparent.

Dans le bureau, il resta la tache au mur (cerclée de craie blanche), et les deux silhouettes dont les contours étaient tracés également à la craie sur la moquette, ce qui ne rendait pas les corps moins absents, mais tout de même un peu plus abstraits, et vaguement plus supportables. Ils marquèrent et photographièrent l’impact du 357 dans le classeur métallique, après qu’il eût frappé Josie. Les quatre charlots de la Criminelle « B » s’abstinrent de tout commentaire, de toute allusion à la personnalité de la victime. C’était une salope et une coriace, mais tout de même, ils avaient du mal à admettre ce qu’ils avaient vu. On ne pouvait pas leur faire grief d’une excessive sensiblerie, mais ils estimaient qu’il y avait des limites ; seulement, allez donner le sens des limites à un rouleau compresseur ou à une avalanche.

La mort de Mayer, maintenant, c’était quelque chose de lointain pour eux, un événement presque dépourvu de consistance, la faible lueur d’une bougie dépourvue de portée à l’autre extrémité d’un long tunnel étroit. Ils avaient trois autres refroidis sur les bras, des tout frais, et fallait-il les leur emballer, ils avaient aussi l’auteur, ils avaient tout, de l’itinéraire aux armes ayant servi à la commission des trois crimes, ils n’allaient pas tarder à recueillir des aveux détaillés, de quoi établir une procédure en béton, inattaquable, une manière de Fort Knox de la procédure à l’usage du plus chinois, du plus aguerri, des avocats d’assises, mais ils ne débordaient pas d’allégresse, ils ne manifestaient ni la moindre joie, ni la plus petite marque de contentement.

C’est qu’ils n’étaient pas payés pour jouer les borgnole’s brother et qu’ils ne se considéraient pas comme des fournisseurs attitrés du dépositoire municipal. En langage administratif (neutralité teintée d’hexagonal énarchique édulcoré), on appelait ça le dépositoire municipal, mais la Rue n’avait pas peur des mots et l’appelait la morgue.

Les trois corps avaient rejoint celui de Mayer à la morgue.

Le bureau puait la merde et la poudre et il y faisait beaucoup trop chaud, ils avaient fini la perquise et ils fumaient et l’expert de Fichet-Bauche requis par Schneider terminait d’ouvrir le gros coffre désuet qui occupait un coin du bureau.

La porte pivota lentement. Ils avaient affaire à un humoriste désabusé qui leur avait offert en prime un cours élémentaire à l’usage des demeurés qu’ils étaient censés représenter, de débridage de coffiot. La porte pivota lentement et les rayons apparurent aux yeux de tous — y compris à ceux de Jethro, afin qu’il n’ignorât pas l’existence de la terre promise, même s’il ne devait jamais y mettre les pieds.

Il y avait des piles de billets.

Des billets de cinq cents francs, parfaitement neufs.

Chaque liasse de dix billets était soigneusement ceinte à la taille d’une bande de plastique vert de quatre à cinq millimètres de large. Bien que le tout présentât un aspect quelque peu monotone ou à tout le moins répétitif, car rien ne ressemble autant à une pile de biffetons neufs qu’une cinquantaine d’autres piles de biffetons neufs identiques, il n’y en avait pas pour moins de quatre à cinq millions lourds.

— Ah ! merde, nom de Dieu, dit l’homme de chez Fichet-Bauche.

Schneider se pencha sur le coffre, les genoux vaguement fléchis. On avait bourré des liasses dans tous les interstices de piles. Il tendit la main, en saisit une et la feuilleta. Il manquait les deux valises pour que le compte fût bon.

— Au boulot, dit le policier. Charles, il vous reste des sacs ?

— Vaudrait mieux des cartons, objecta Perrier.

— Envoie un gardien, dit Schneider. Personne ne sort, mais par contre… (Il se tourna vers le technicien ès lance thermique.) Il faudrait un second témoin, à part les policiers ici présents. Vous avez un type en bas, dans votre voiture ?

— Oui, dit l’homme. Il assure une permanence radio, au cas où…

— Pour le « kazoo », ricana Schneider, c’est fait. (Ils se tourna vers Perrier.) Tu demandes au gardien de nous récupérer le second employé de Fichet et ça fera l’affaire.

En présence constante des deux hommes, requis comme témoins de l’opération, le staff Schneider compta neuf cent onze liasses de dix billets de cinq cents francs, ce qui fait que pas moins de quatre millions cinq cent cinquante-cinq mille francs leur passèrent entre les doigts, soit quatre cent cinquante-cinq briques, qui émigrèrent de la panse ventrue du meuble antédiluvien à trois cartons ayant contenu chacun douze bouteilles d’un litre et demi d’eau minérale naturelle jaillie des volcans d’Auvergne.

Lorsque tout fut terminé, ils récupérèrent Jethro qu’ils avaient confié à la surveillance de deux gardiens dans une pièce à côté, et ils embarquèrent tout le monde, les uns pour signer les procès-verbaux relatant les opérations effectuées, depuis l’ouverture du coffre jusqu’à la saisie du fric, et l’autre pour s’en occuper tout à loisir dans la tiédeur calme des bureaux du C.C.

Entre-temps, une équipe de la S.O.S. avait retrouvé la BMW de Ramsès, sur la berge du canal. Ils n’auraient pas eu de raison d’y prendre garde s’ils n’avaient remarqué les veilleuses allumées et procédé ensuite aux vérifications rituelles lorsque les policiers ont le sentiment d’avoir affaire à un véhicule volé.

La salle de commandement n’avait pas manqué de réflexe en leur enjoignant de garder la bagnole sous cloche, puis en passant un message radio à la voiture de Schneider. En fin de compte, et très logiquement au sens de ce dernier, ils n’avaient pas eu à chercher bien loin. Le trousseau que Jethro avait emprunté comportait une série de clés de voiture — et un écusson BMW.

Dans la même matinée, Charlie Catala eut le privilège de conduire deux somptueuses voitures étrangères, et lui qui ne jurait que par sa Coccinelle Jeans dut se battre avec deux engins bourrés de chevaux, des trucs de malade avec lesquels il était vain et illusoire de tenter de rivaliser avec des Renault 4 fatiguées — et il décida aussi sec d’investir toutes ses maigres économies dans l’acquisition d’une Alfetta GTV, ou d’une quelconque Twin-Cam, histoire d’être (au moins dans le civil) à la hauteur des types d’en face.

On avait beau dire, mais quatre cents briques, ça n’avait pas de gueule. Pas de gueule du tout.

Ça ne représentait pas beaucoup plus, en une seule fois, que dix ou quinze fois ce qu’il gagnerait dans toute sa vie, mais à sa grande surprise, le Chat, tout en bataillant à la fois avec le compte-tour et l’embrayage, dut convenir que cette constatation le laissait vraiment froid.

Il se concentra sur la conduite, en essayant de ne pas enquiller le pare-chocs arrière de la caisse à Schneider. C’était déjà assez dur sans se faire chier en plus à des réflexions moroses.

Jeudi matin — dix heures trente

Johnny était revenu en ville pour braquer le Casino, le temple allongé et tonitruant de la consommation populaire locale, il était venu se faire un maximum à l’aise sur un coup à la Parker, un coup simple comme une épure et doux comme le vent du soir malgré les cow-boys de la S.G.S., des grands balèzes patibulaires avec leurs casquettes plates et leurs .357 Magnum sur la hanche droite et qui se donnaient volontiers l’air mauvais et un peu suffisant des pigs new-yorkais.