Выбрать главу

— Qu’est-ce qu’il cherchait ? demanda Milan, les mains devant la figure.

— Une bonne question, dit Schneider.

Il affectait d’avoir l’air indécis. Il affectait, mais Milan savait qu’il n’était pas indécis et que ça n’était plus la mi-temps, mais qu’ils avaient maintenant entamé la phase des négociations sur le dur. Schneider balançait le revolver par le canon. Il commençait à trouver qu’il traînait trop d’armes en ville, ces temps-ci.

Il regarda Milan.

— Pour moi, vous n’avez plus rien à vendre, dit-il les dents serrées. Vous ne m’avez rien vendu, sauf quelques racontars sans portée sur le Commissaire central. Vous vouliez savoir où était le fric, et quoi de plus simple que de le demander au flic chargé de l’enquête ?

— Rien, reconnut Milan.

— Je vais vous faire un cadeau, grinça le policier. Vous n’en faites jamais et moi non plus, mais je vais faire une exception. Vous ne m’avez rien vendu et je ne vous ai rien acheté, mais je vais tout de même vous faire un cadeau. Vous avez fait exécuter le Prophète parce qu’il devenait encombrant, avec ses petites orgies et ses photos à peine dignes d’un bal de sous-préfecture. Ce que vous ignoriez, c’est que Mayer finançait en sous-main. Parce que vous l’ignoriez.

— Oui, dit Milan.

— Vous avez incité le Prophète à quitter la ville, et pour faire bonne mesure, vous l’avez plus ou moins réduit en cendres histoire de s’assurer son silence.

Schneider glissa le revolver dans sa ceinture. De la main gauche, il sortit une mince liasse de photos couleur de sa poche de poitrine. Une vingtaine de clichés de format 9x13, et un crayon-torche. Il passa le tout à Milan.

— Les pinces, dit ce dernier.

— Démerdez-vous, Milan, grinça Schneider. En deux mots : Mayer voulait acheter le Twenty Flight et Ramsès et Gallien ne voulaient pas vendre. Mayer avait entrepris d’étrangler Gallien sur le plan bancaire et ça marchait plus que bien, parce que l’autre a trop tendance à flamber. En même temps, il avait ouvert un second front, en arrosant Ramsès de photos…

— Ça va, dit Milan. Ça vaut une bonne dérouillée.

— Ça n’était pas une dérouillée, dit Schneider.

— Je n’avais pas vu l’affaire sous cet angle, opina Milan.

Il en avait vu assez — et en gros plan — et il éteignit la lampe avec le gras du pouce.

— Je crois pas que vous la voyez encore sous le bon angle, dit Schneider avec une certaine férocité. La femme à Ramsès est une gouine de première et de surcroît, pour employer la forte définition d’un des inspecteurs de service, un garage à bittes au bout d’une route à trois voies — et Ramsès le savait.

Milan leva la tête, intrigué.

Schneider jeta sa cigarette, récupéra la lampe.

— Mayer aussi a fait une connerie, dit-il avec lassitude. Une seule, mais elle lui a coûté la vie. Le cul à Gisou, et le reste, no problem. Seulement, Gisou Ramirez n’était pas seule, sur les dernières photos. Il y avait une autre fille, une belle gosse d’une vingtaine d’années, et Mayer n’a pas percuté. Il n’a pas mesuré la dimension du coup, et il a manqué de bol : Ramsès en avait ras le cake et il est allé pleurnicher dans le paletot à Gallien. L’autre l’a envoyé au bain. En désespoir de cause, Ramsès a sorti les photos, et c’est à ce moment là que tout s’est joué — et de travers. Gallien a pris les photos et il n’a eu aucune peine à reconnaître de qui il s’agissait.

Il se tut, alluma une autre Camel. Le claquement du briquet aussi était féroce. Il jouait vaguement avec la pédale de sûreté du colt et le brasillement intermittent de la cigarette suffisait à modeler sa face et à creuser plus que de raison les deux cavernes sombres des orbites au fond desquels luisaient ses yeux assoupis.

— La fille, c’est la frangine à Gallien. Une fille bon chic bon genre, qui exerce un chouette petit job pépère d’hôtesse dans une agence immobilière de Menton. À l’époque, elle était en passe de se marier avec un charmant jeune branleur pas mal friqué — et ça ne s’était pas concrétisé, ce qui fait qu’elle avait commencé à noyer sa déprime en s’envoyant en l’air, à crédit et en stéréo… Elle a toujours son job pépère, l’histoire ne dit pas si elle continue à se faire mettre par tous les pores de la peau, mais une publicité de ce genre, c’est jamais très bon, surtout qu’avec ses grands yeux candides couleur de myosotis et ses manières, elle est le chouchou de la famille, et que tout le monde en bave des ronds de chapeau, à commencer par le vieux père Granier qui ne jure que par elle…

— Ça va, dit Milan. Un cadeau ?

— Ouais ! dit Schneider. Gallien a balancé le contrat en public. Ramsès et Josie sont morts, mais il reste pas mal de monde pour confirmer.

Milan jeta sa cigarette.

Il avait les photos entre les doigts.

— Gardez-les, ricana Schneider. Je crois bien que j’en ai plus l’usage.

Milan ricana à son tour. Il remua les poignets et dit en secouant la tête de gauche à droite — et de droite à gauche — plusieurs fois :

— Vous savez ce que je crois, Schneider ? (Il ne laissa pas le temps au policier de répondre et a jouta :) Je crois que vous êtes en train de me balader, Schneider. Vous pourriez emmener vos témoins devant le juge, non.

— Ça ne suffirait pas, dit le policier.

— Un sacré cadeau, grimaça Milan. Vous savez ce qui va se passer pour Gallien, lorsque nous aurons vérifié. Vous en avez une idée précise, n’est-ce pas ?

— Oui, dit Schneider.

Sa voix était parfaitement flegmatique.

Il retira le revolver vide de sa ceinture, fit deux ou trois pas en arrière, son bras décrivit un vaste arc de cercle et ils entendirent l’acier de l’arme qui heurtait les cailloux de blocage au bord du déversoir du lac, et il y eut un plouf lourd. Il soupesa les clés de contact de la CX dans sa paume, verrouilla les portières et le coffre et jeta le trousseau dans l’herbe dans l’ombre, derrière.

Milan avait fait un pas en avant.

Schneider se retourna, le scruta tout en remettant le colt dans son étui.

— Je ne vous aime pas, Milan, dit-il d’une voix sourde. Je ne vous aime pas, vous et vos semblables, je ne vous ai jamais aimé, même quand vous faisiez la pluie et le beau temps en ville. Ceci pour vous dire que le cadeau n’est pas gratuit.

— Rien de gratuit, dit Milan. On fait encore la pluie et le beau temps ailleurs, Schneider. Si ça n’est pas moi, c’en est un autre. Il y en aura toujours d’autres. D’autres pour faire des boulots dont personne ne veut se charger… Autre chose. (Schneider se raidit, les mains ouvertes le long des cuisses.) Vous ne nous aimez pas, mais vous n’êtes jamais passé divisionnaire ou commissaire, en dépit de vos états de service et votre amie vous a laissé tomber pour se mettre à la colle avec Gallien, lieutenant, et elle n’a pas dû vous laisser grand-chose d’autre que ce briquet.

Schneider ricana.

Il ricana puis son ricanement se transforma en une espèce de rire sec et sans joie et il laissa tomber la petite clé plate des menottes à leurs pieds et son rire en papier froissé s’éteignit :

— Un à zéro, Milan, dit-il lentement. Elle ne s’est pas mise à la colle avec Gallien ! elle l’a épousé à la fin mars.

Milan passa le dos de la main sur ses lèvres gonflées.