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Charlie commençait à la trouver saumâtre.

Le jeune connard insistait. Il déclinait toute responsabilité.

Fozzi insistait. Il voulait en dégoiser tant et plus.

Le jeune connard lui piaillait de rien dire.

Fozzi insultait le jeune connard.

Le jeune connard traita les flics de fumiers de S.S.

Charlie poussa un coup de gueule étouffé et marcha sur le jeune connard. L’autre rentra dans le mur et sa hanche fit dong contre la table de nuit.

— Ouille ! dit l’interne.

— Putain, faites gaffe, dit Fozzi en retenant une bouteille d’Évian par le cul.

L’interne se massait la cuisse.

— Allez vous faire foutre, lui dit le Chat. Le type qu’on essaie de se faire vend de la poudre à des mômes de quinze ans, alors allez vous faire mettre, toubib de mes deux.

Viale saisit l’avant-bras de son collègue. L’ablette de calcif en profita pour se tirer de la chambre. Derrière la porte en bouclier, il dit :

— Je décline toute responsabilité et je vais aller chercher le médecin chef.

Charlie esquissa un pas en avant, mais c’était pas la peine : la porte s’était refermée. Les deux flics s’assirent sur le lit, à la bonne franquette et Charlie sortit des sèches et son carnet.

— Tu veux une clope ? proposa-t-il. Putain, ils t’ont fait une gueule pas possible, mec.

— Oui, dit le jeune homme. C’est pas des yeux au beurre noir, hein en plus, c’est du beurre jaune et vert, hein ? (Il prit une cigarette dans le paquet et Viale l’alluma.) Un vrai beurre d’escargot, hein ?

— Oui, dit Charles. Alors, Fozzi ?

— Pas grand, dit Fozzi. Pas grand mais vachement baraqué, genre un peu Nougaro, tu vois ?

— Oui, je vois, dit Charles. Tu as pas de cendrier ?

— Non, dit Fozzi, mais y a un haricot dans la table. Nougaro, mais de gueule pas du tout pareil, un jeune, quoi, maigre. (Viale cherchait dans le tiroir de la table de nuit. Il dénicha l’objet et le passa à la ronde.) Genre… j’sais pas dire. Genre gamin, quoi. Super gamin.

— Oui, dit Charles. Commence par les tifs, Fozzi.

— Bruns, longs, dit le jeune homme. Il est frisé, les cheveux sur les épaules, tu vois, comme c’est la mode. Non, tu vois, j’ai trouvé le type : tu connais Polanski, tu sais, Polanski, le metteur en scène, tu vois ?

— Oui, dit Charles, je vois.

— Même genre de gueule pointue, tu vois ?

— Oui, je vois, répéta Charles.

— Il a une patte folle, dit Fozzi en tirant avec délice sur sa cigarette. Il a une grosse godasse orthopédique, vous savez, un gros truc avec des bouts de ferraille qui lui montent de chaque côté de la jambe, comme la guibolle à Gégène Vincent. Vous voyez c’ que j’ veux dire, comme truc ?

— Oui, dit Charles.

— Il trace vachement, avec ça, dit Fozzi. Il a bricolé un truc et il a une lame, dedans. Le long du truc, là, du mollet. Un peu la gueule à Gégène aussi, si tu veux. Mais quand il tournait avec les Blues Caps, tu vois, dans l’ temps. (La voix se teinta de mélancolie. Ils voyaient bien, sauf qu’à l’époque des Blues Caps, le jeune homme n’était même pas encore dans les couilles de son vieux. Charles sourit.) Non, c’est vrai…

— On n’en doute pas, dit Charles avec douceur. Où il crèche, ton gus, Fozzi ?

— Bon, à c’que je sais, il dort de temps en temps dans un vieux bus cradingue, un vieux Renault, j’ crois, derrière le campus dans les terrains vagues.

— Autrement, il parait qu’il a une piaule dans la vieille ville, du côté de Notre-Dame, mais là, je sais pas où…

— Tu sais pas où, oui. Bon, dit Charlie. Un bus derrière le campus.

— Ouais ! dans les terrains vagues…

Viale passa le haricot. L’objet puait l’eau de Javel. Dont acte. Il pleuvait contre les vitres en dépoli de la réa. Dont acte. Ils fumèrent deux minutes en silence.

— Tu vois rien d’autre ? hasarda Charles.

— C’est Speedy qui a buté la gosse dans les chiottes du Splendid, dit le jeune homme en fermant les yeux. Elle savait pas si elle voulait ou pas et Speedy lui a refilé la dose maximum, pour se fendre la gueule. Vous vous rendez compte, dit Fozzi, pour se fendre la gueule…

Il regarda les deux flics.

Sous les pansements, il avait l’air grotesque. Une grosse tête d’extraterrestre. Les deux jeunes poulets avaient la mâchoire inférieure sur les genoux.

— Comment tu sais tout ça ? s’enquit Viale lorsqu’il eut récupéré.

Fozzi tordit la bouche.

— Y avait du monde autour, dit-il avec amertume. Plein de monde autour, les mecs, mais tout le monde s’est tiré en vitesse, pour pas avoir des histoires. Speedy, tout le monde le connaît, mais tout le monde le craint alors personne l’ouvre. Vous comprenez ? L’histoire que personne l’a vu, c’est de la couille en barre. Personne veut s’attirer les emmerdes oui. Bon ! comment il fait, putain, c’est super simple : il dit, la came est là, dans une boîte aux lettres ou n’importe quoi, sur une roue de bagnole ou une chasse d’eau dans les chiottes, ou j’ sais pas, moi, sous une table dans un cani avec du scotch, il dit, bon ! c’est là, mais avant de te le dire il dit ça fait tant et les mecs et les nanas ils raquent, recta, pasqu’y savent que c’est vrai que la came elle est là où il dira qu’elle est, une, deux doses, suivant le prix… Ils raquent en confiance, comme on dit… Voilà le coup : Speedy, il a jamais un gramme sur lui, jamais rien. Voilà, dit Fozzi. Voilà comment ça marche, sa combine.

Il y avait du ramdam dans le couloir. Trotsky fit irruption dans la pièce. Il traînait en remorque un grand balèze en blouse blanche, avec des cheveux noirs en brindilles collés sur le crâne et une mâchoire lourde qui paraissait rasée à la lampe à souder et roidie d’indignation.

— Voulez-vous, menaça le balèze.

On sentait que c’était le taulier, vu qu’il y avait une flopée de culottes autour. Charlie ferma son carnet et le rangea dans une poche de blouson, au hasard. Viale avait le haricot à la main. Charles se leva.

— Votre numéro, rugit le balèze. Je vais en référer à vos supérieurs.

— Viens, Claude, dit le Chat. On se tire de c’bordel, man.

Ils se tirèrent.

Vous savez, la sacro-sainte trouille du taulier, c’est simple et c’est pas ce qu’on pense, c’est pas de laisser du monde sur le carreau ou de foirer une affaire, parce que neuf fois sur dix, les commissaires se contentent de faire les beaux en signant le rapport de transmission au procureur, et qu’ils en ont rien à cirer, des affaires : non, la sacro-sainte trouille du taulier, c’est de se faire mal voir en haut, c’est la trouille de l’incident, mais pas qu’un ou deux braves types d’un bord ou de l’autre crache ses tripes sur le trottoir, ça non plus en général, ça les motive pas, ils en ont rien à foutre, non, la hantise, c’est l’incident, le coup merdique qui va les empêcher d’accrocher le tableau de principal ou de divisionnaire et après celui de contrôleur général.

Pas d’incident, hein ! pas de vague — et les états de fin de mois. Les fausses fenêtres pour la symétrie. Les statistiques. Le reste, Rien À Branler.

Non, c’est vrai, on s’imagine des trucs, hein ! : Maigret, le commissaire Moulin, des conneries pas pensables, des jeunes types styles officiers israéliens, allez demander à un flicard de la base combien il en a vu des commissaires qui vous disent, On y va, les gars, et je vous couvre, comme Moulin ? Non, ça c’est de la téloche à l’usage des gogos, c’est de la merde. Le genre, en général, c’est « Armons-nous, et allez-y », pour gonfler les troupes, on dit pas, mais pour ce qui est de prendre des responsabilités, c’est plutôt des champions de course à pied, parce qu’il faut bien qu’ils sauvent leurs précieuses fesses pour le plus grand bien de la République, merde alors, et les branle-la-gueule, avec ou sans barbiche poivre et sel, on peut dire qu’on en trouve partout, des as de la couverture, des pétochards tous azimuts (eux, c’est pas ma cassette, c’est ma carrière), des volubiles du rapport administratif format 21 x 29,7, des pour qui le parapluie administratif, c’est rien moins qu’un parachute à matériel.