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Ça fait que leur bête noire, c’est pas la piétaille, ces connards d’inspecteurs et d’enquêteurs, qu’on sait jamais quelle connerie ils vont bien pouvoir faire pour les emmerder, c’est vrai, quand ils sont peinards dans leurs pantoufles, les boss. Forcément, ils se méfient, surtout que la valetaille, c’est quand même pas des gens du même monde, hein, d’abord c’est même pas des cadres A, alors…

Alors le jeune poulet qui se pointe, même s’il est gonflé, il se pointe la tête farcie de conneries, il s’attend à un patron dur, c’est certain, mais à un mec solide, d’attaque, un vrai flic balèze et qui se couche pas devant les gros, un type avec l’échine en verre de lampe, et il se retrouve devant quoi ? Il se ramasse neuf fois sur dix un administratif vachement tatillon et frileux, il se bloque un farouche traqueur de fautes de frappe, un vague employé aux écritures qui ne hante ni les canis ni les coins où on risque de casser du truand mais les couloirs du Ministère comme d’autres le bureau des Pleurs et les cabinets des préfets, des types qui ont quand même (il faut bien leur laisser ça en passant) l’art subtil de savoir toujours se retrouver du bon côté du manche même s’il leur faut pour ça jeter des cris d’orfraie et affecter de grands airs de pucelle effarouchée, des grands commis comme ils se disent eux-mêmes, des chaouches plus que frileux et pas question de les niquer sur les frais (« In-ze pocket »), les vacations funéraires et le copinage — les seuls, par parenthèse, à se bouffer la gueule jusqu’à l’os en petit comité (il faut les entendre !) mais à se serrer les coudes sur un seul rang dès qu’il y a un grain, et pour ça, c’est bien les seuls dans la Grande Maison.

C’est qu’ils sont très conscients de leur poids.

Ils savent bien qu’ils constituent une mafia, un gang, un petit club privé — et qu’ils sont bien macqués avec tous les pouvoirs en place. Une manière de groupe de pression, mais costaud. Rien à voir avec ces branleurs d’inspecteurs et leurs syndicats suspects de sympathies gauchistes. Les tauliers, c’est du bétonné. Du crédible. Du giscardien massif à tendance Chirac pasqu’on sait jamais, pas vrai ?

Des grands libéraux, quoi.

Faut pas déconner, merde, quand même, dans le tas il y en a bien un ou deux qui soient d’attaque, un ou deux qui auraient presque pu faire de bons inspecteurs s’ils n’avaient pas mal tourné, des types de terrain, intègres et acharnés, des dingues du service public et du trottoir, des qui flippent à la nuit blanche et au caoua, et qui n’ont jamais su (ni voulu savoir) comment on passe une porte à reculons. Ouais ! il y en a, mais ceux-là, ils ont pas encore percuté qu’ils sont tauliers (voiture et chauffeur), les malheureux, qu’ils font partie du ghotta, du who’s who in police, des décideurs, les pauvres types.

Une misère, quoi. C’est bien la peine, après ça, de les envoyer se farcir un an au cours supérieur à la campagne, avec les grands, ceux-là, merde !

Voilà à quoi pensaient Viale et Catala au garde-à-vous en train de se faire incendier dans le bureau de Sir Jack l’Éventreur. Ils pensaient morose. Sir Jack hurlait à la mort. Le médecin chef avait porté le deuil. Aussi sec. Au lieu de cavaler après Speedy, les deux flics étaient en train de se faire remonter les bretelles par un énergumène vociférant. Vache mais régulier. Et dehors il pleuvait. Vache mais régulier.

— Vous me ferez un rapport, rugit Sir Jack, et pas plus tard que tout de suite, nom de Dieu. J’vais vous apprendre à foutre le bordel partout, sous prétexte que vous vous prenez pour Starsky et Hutch, tous les deux… (Il pointa un index grassouillet sur Viale) Vous, vous retournez aux délégations judiciaires, vite fait, et je vous promets solennellement que vous n’en partirez pas avant que j’aie quitté cette putain de Sûreté de merde…

Charles Catala tâtait ses poches de blouson. Il finit par en sortir un vieux paquet de Gitanes.

— Selon ce que Fozzi nous a confié, dit-il d’une voix tranquille, Speedy Gonzalès a liquidé la fille Rouyer dans les chiottes du Splendid. C’était pas une simple overdose.

Sir Jack regarda alternativement le paquet de cigarettes dans les mains du jeune homme et son visage paisible. Charlie Chan, avec ses faux airs nonchalants de Julien Clerc, avait tendance à l’agacer. Comme c’était un des flics les plus populaires du service, il ne voyait pas trop comment le coincer sans se faire mal.

— Conneries, dit-il d’une voix soudain calmée. Conneries de camés… Il vous a signé un procès-verbal relatant les faits, avec les témoins et tout ? Non. Alors ?

Charles haussa les épaules. Il mit la cigarette à la bouche.

— C’est tout pour aujourd’hui ? s’enquit-il d’une voix sourde.

Sir Jack bondit au plafond.

Charlie quitta la pièce sans tourner la tête. Il n’avait pas envie de traiter avec un cinglé. Il enfila tranquillement le couloir en allumant sa cigarette, Viale sur les talons. On entendait l’autre miauler à travers les murs. Ils longèrent le secrétariat et passèrent devant le bureau des Pleurs, et ils allèrent décrocher une clé de voiture au bureau auto.

Ils s’abstinrent de s’emparer d’une voiture radio. Ils se contentèrent d’une simple et humble Simca 1300 noire destinée d’ordinaire aux vacations funéraires et ils quittèrent le Commissariat central sans que quiconque fît quoi que ce soit pour tenter de les empêcher. Ils avaient envie d’aller chatouiller un peu Speedy Gonzalès, la gentille petite souris du campus.

Le reste, ils n’en avaient que foutre.

Alors ils sortirent dans la pluie, comme n’importe quelle paire de tueurs blêmes dans leur longue, leur interminable, voiture noire.

Ils y mirent toute leur hargne et toute leur énergie, et ils ratissèrent dans les coins : ils arrivèrent même à bloquer Skinny Jim entre deux portes de cave — Skinny avec sa banane préfabriquée, son blouson peau de pêche vert acide à grincer des dents, ses santiags toutes neuves et sa mob’ à paillettes, mauve et rose sucette acrylique. Ils le firent à l’esbroufe, pour changer.

Skinny Jim les dévisagea l’un après l’autre, à la chiche lumière jaune et intermittente de la lampe de coursive.

— Vous avez une chance de le bloquer dans son truc, derrière le campus.

— Quel truc ? s’enquit Viale.

— Un vieux car Citroën qui roule plus. Des fois, il pieute dedans. Je vous ai rien dit, hein ? supplia le jeune homme.

— Rien du tout, dit Charlie. Dans quel coin, derrière le campus ?

— Y a des anciens jardins ouvriers. Entre les jardins et les terrains vagues, où ils ont balancé toute la merde, les gravats et tout ça, quand ils ont fait la Zone industrielle.

— Autrement, où on peut le trouver, Speedy ?

La lumière s’éteignit et Charlie ralluma d’un vieux coup d’épaule.

— Il a une marmite, du côté Notre-Dame, dit Skinny. Seulement là, je sais pas où, pasqu’il est vachement prudent, le mec.