Le ciel était bleu et immense, et étincelant comme un bol de porcelaine renversé et les balises de l’héliport étaient encore allumées, mais on n’allait plus tarder à les éteindre.
Au bord de la piste, sur le parking du personnel, il y avait une Austin bleu marine garée n’importe comment. À côté de la voiture, la main sur la portière, il y avait une grande femme brune en cheveux et dont le poing gauche serrait le col d’un manteau jeté à la hâte sur les épaules. Son beau visage arborait l’expression grave et attentive qu’avait Romy Schneider, sur la couverture du Portrait de groupe avec dame de Heinrich Böll en Livre de Poche. Comme l’actrice, elle regardait de côté en ayant l’air d’attendre qu’on lui dise quelque chose.
Elle avait vu la ceinture de Schneider passée à l’épaule du jeune homme, et le pistolet dans l’étui de cuir noir qui lui battait la poitrine à chaque pas. Il avait semblé à Charlie qu’elle allait l’appeler, et peut-être après tout le fit-elle, mais il continua à marcher tout droit sur l’asphalte bleu, droit devant lui, sans tourner la tête ni dévier d’un pouce de son chemin.
Il l’avait ainsi dépassée et laissée derrière lui, parce que de toutes manières, il n’y avait rien à dire et rien à faire. Il l’avait vue, et plongé son regard dans le sien, et vaguement hoché la tête.
Jamais plus il n’avait revu Cheroquee.
En revanche, il avait vu et revu les charognards du Commissariat central. Il les avait tellement vus et revus qu’il avait fini par s’en aller lui aussi.
Seulement, il avait acheté le bouquin de Böll.
Dans l’édition du Livre de Poche.
Gallien fut abattu le 28 juin 1979, un peu avant dix heures du matin, par deux hommes armés de pistolets automatiques de calibre neuf millimètres. Ils étaient deux sur la moto qu’on découvrit ultérieurement au fond du canal. Gallien sortait de son bureau en compagnie d’un client, lequel n’eut que le temps de se jeter à terre avant que la fusillade crépitât.
Lorsqu’on le releva, Gallien avait sept balles dans la poitrine, groupées dans un cercle sensiblement égal au fond d’une corbeille à papier — et une balle dans l’œil droit.
Selon les déclarations du témoin, Gallien avait été pris à l’improviste et n’avait même pas eu le temps de parlementer. Comme les deux hommes portaient des casques intégraux (c’était devenu à la mode, semblait-il), il n’était pas question de dire à qui ils ressemblaient.
Le S.R.P.J. de Z… fut chargé de l’enquête.
Personne ne déploya un zèle qu’on pût qualifier d’excessif.
Jethro et “Nina Hagen” prirent dix ans chacun — sec. Momo Chevallier ne prit rien du tout, pour l’unique et bonne raison que le Gitan l’avait rectifié avant que Jethro lui tombe dessus et il fallut le concours providentiel d’un fox-terrier de passage pour qu’on retrouvât le corps recouvert de sucre puis à demi calciné sous des feuilles mortes — pas moins de deux ans après les faits.
Quant à Speedy, qui n’avait pas avoué la mort de la fille Rouyer, il commença par bloquer vingt ans mais n’en tira que trois : un beau matin, les matons le retrouvèrent exsangue sur le carreau de la cellule et rien ne laissait penser qu’il ne se fût pas réellement suicidé dans un coup de déprime en se tailladant les poignets avec une lame de Schick Injector qu’il avait auparavant dissimulée derrière l’oreille sous les cheveux, en la faisant tenir avec un bout de sparadrap chouré à l’infirmerie.