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Fantômas, en effet, savait qu’il est préférable de laisser le moins possible de choses au hasard, et dans son idée, après s’être rendu maître de Juve, il aurait fort bien pu le faire emmener sans éveiller de soupçons, que Juve fût vivant ou mort, par son complice et subordonné dont l’uniforme n’aurait pas manqué d’inspirer confiance et de faire taire tous les soupçons qui auraient pu naître le cas échéant.

En faisant la leçon à Prosper, quelques heures auparavant, Fantômas lui avait dit :

— Tu te tiendras dans la rue à ma disposition et, au premier signe que l’on te fera du quatrième étage, ou même d’un autre appartement, tu monteras l’escalier et tu accourras. D’après ce que tu verras, il faudra agir, il est vraisemblable que tu trouveras Juve à mon entière discrétion, mort ou vivant.

La première partie du programme s’était remplie comme l’avait annoncé Fantômas. Toutefois, Prosper était demeuré abasourdi lorsque, pénétrant dans l’appartement du policier, il avait trouvé ce dernier debout, parfaitement libre, en excellente santé, tandis que Fantômas était étendu, immobile, sur le plancher, non seulement ligoté de telle sorte qu’il ne pouvait faire un mouvement, mais encore cloué sur le parquet au moyen d’énormes pointes enfoncées par Juve dans ses liens.

Désormais, en présence de cette situation, Prosper qui n’avait de respect que pour les gens qui réussissent, semblait parfaitement décidé à ne pas libérer Fantômas et paraissait ne vouloir chercher qu’une solution : se tirer personnellement d’affaire et laisser Fantômas se débrouiller avec l’inspecteur de la Sûreté et le renfort qu’évidemment Juve avait dû aller chercher.

Cependant, Fantômas fulminait contre Prosper, sans parvenir à triompher des hésitations de l’ancien cocher.

— Écoute, fit Fantômas, que veux-tu, Prosper, pour me rendre la liberté ?

— Heu, fit l’ancien cocher, je ne tiens pas plus que ça à te voir libre, Fantômas, car s’il n’est guère avantageux d’être au nombre de tes ennemis, il n’est pas beaucoup plus rassurant de faire partie de tes complices. Les uns et les autres sont également exposés à périr sous les coups de tes effroyables colères.

— C’est injuste, ce que tu dis là, je n’ai jamais trahi mes amis.

— Je ne suis pas de ce nombre, répliqua le faux agent de police, tu me traites comme un subordonné, un domestique.

— Mais non, fit Fantômas, tu sais bien que j’ai pour toi de l’affection, de la sympathie, une extrême sympathie même.

— Non, non, répliqua Prosper, tout cela, c’est du boniment. Mais, ajouta-t-il après un moment de silence, peut-être y a-t-il un moyen de s’arranger.

— Parle, répondit Fantômas résigné, je suis prêt à t’accorder tout ce que tu voudras.

— Eh bien, suggéra Prosper en dissimulant mal un sourire ironique, je sais que le seul moyen d’être épargné par toi est de posséder une certaine chose à laquelle tu tiens énormément, pour laquelle tu commettrais toutes les imprudences et toutes les platitudes. Il s’agit des papiers de ta fille. Tu es venu les reprendre à Juve, donne les-moi. Après quoi, nous pourrons causer.

— Ah, s’écria Fantômas, c’est mon cœur que tu veux m’arracher, mais tu sais bien, Prosper, que je ne suis pas dans une situation à te les refuser. Défais mes liens, prends-les dans mon vêtement, ils sont là, dans une poche, sur ma poitrine.

Prosper posa son arme sur un fauteuil voisin, s’agenouilla sur le plancher, palpa de ses mains noueuses la poitrine du bandit.

Puis lentement il se releva, hocha la tête :

— Non, Fantômas, dit-il, rien à faire avec moi. Tu cherches à me monter le coup, mais je ne suis pas si bête. Ces papiers, tu ne les as pas, tu as été roulé sur toute la ligne, roulé par Juve auquel, non seulement tu n’as pas repris les papiers de ta fille, mais sous les coups duquel tu as succombé, puisqu’il t’a fait prisonnier.

Avec une voix qu’étranglait l’émotion, des intonations d’une douceur extrême, presque attendrissante, Fantômas avoua :

— C’est vrai, Prosper, je t’ai menti, je n’ai pas ces papiers, mais j’en souffre, oui, cruellement, plus qu’il n’est possible de souffrir au monde. Écoute, je suis sûr que Juve ne les a pas emportés, qu’ils sont ici, cherche-les, suis mes indications, fouille la pièce, démolis les meubles, force les serrures.

— Ça reconnut Prosper, cela rentre bien dans mes opérations habituelles. Je ne demande pas mieux que de faire une visite minutieuse de l’appartement, et si je trouve les papiers ?

— Eh bien, si tu les trouves ?

— Eh bien, nous verrons si l’on peut s’entendre, répliqua le faux gardien de la paix, et dès lors, je te libérerai peut-être.

Prosper lentement se mit au travail. Il tira de sa poche tout un jeu de fausses clés, les essaya dans les serrures, réussit sans grande difficulté à ouvrir des tiroirs dont il vida le contenu au hasard sur le plancher.

Fantômas suivait des yeux son complice, mais, soudain les deux hommes qui parlaient s’arrêtèrent, prêtèrent l’oreille :

— Entends-tu ? fit Prosper…

— Non, déclara fermement Fantômas, dissimulant ses appréhensions…

Prosper reprit le travail, mais, au bout d’un instant, il s’arrêta encore.

— Pour sûr, fit l’ancien cocher, qu’il se passe quelque chose de pas ordinaire, j’ai entendu comme des craquements, des bruits de pas.

— Il n’y a personne qui puisse venir nous déranger, te dis-je, affirma Fantômas. Néanmoins, par prudence, va fermer à clé la porte d’entrée.

— Oui, reconnut Prosper.

Le cocher, quelques instants après, revint.

— C’est égal, fit-il, si jamais quelqu’un s’amenait par l’escalier, j’ai eu beau boucler la porte, on ne tarderait pas à l’enfoncer.

— Cela retiendrait tout de même nos agresseurs pendant quelques instants, on pourrait en profiter alors pour s’en aller par la fenêtre.

— La fenêtre, déclara Prosper, elle est fermée, j’ai bien envie de l’ouvrir.

— Pourquoi ?

Depuis quelques instants, Prosper avait cessé son inventaire et ses recherches dans les tiroirs de Juve, mais il allait et venait dans le cabinet de travail du policier, les bras ballants, tournant la tête dans tous les sens, levant le nez, respirant profondément.

— Qu’est-ce qu’il y a ? interrogea Fantômas, inquiété sans doute par l’attitude bizarre de son énigmatique complice.

Prosper poussa un long soupir :

— Il y a, fit-il, qu’il fait chaud ici.

— Chaud ?

— Oui, chaud, très chaud.

Fantômas, impatienté, gourmandait l’ancien cocher :

— Tu es en train de devenir fou. Allons, dépêche-toi. Fouille encore ces armoires. Il faut faire vite. Tiens, j’ai la conviction que c’est dans ce petit bureau que tu trouveras les papiers qui nous intéressent tellement.

Prosper obéit, défonça le meuble et, pendant qu’il procédait à ce travail, il tournait le dos à Fantômas.

Cela était fort heureux, évidemment, sans quoi l’ancien cocher aurait été terrifié s’il avait pu contempler, ne fût-ce qu’un instant, le visage du captif.

Fantômas, en effet, faisait des grimaces et presque des contractions horribles. Le bandit, depuis quelques instants, paraissait souffrir, souffrir de plus en plus, ses yeux se révulsaient, il se mordait les lèvres jusqu’au sang, cependant qu’il faisait des efforts inouïs comme s’il s’efforçait de s’arracher du plancher auquel il était cloué.