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En effet, aucune détonation ne s’était fait entendre, aucun coup n’était parti.

Fantômas, sous la menace du canon du revolver braqué sur sa poitrine, n’avait pas même tressailli.

C’est qu’en effet, depuis quelques instants, depuis qu’elle avait séjourné dans l’eau destinée à calmer l’incendie, l’arme était devenue inoffensive, les cartouches avaient été mouillées.

Prosper, un instant abasourdi, reprenait conscience de lui-même. Désormais, il ne s’inquiétait plus de Fantômas, et il allait, au risque de se tuer, s’élancer par la fenêtre, car la position était de plus en plus intenable. La chaleur se faisait suffocante, un coin du plancher venait de s’effondrer, une partie du plafond s’écroulait.

Mais, au moment où Prosper traversait la pièce en se glissant sur les meubles, un cri terrible de menace et de triomphe retentit derrière lui. Puis, une vive douleur lui fit exhaler un râle effroyable. Son regard devint vitreux, son souffle s’arrêta. Prosper défaillit. Une seconde après, une odeur âcre montait du plancher, odeur abominable. C’était le corps de Prosper qui, perdant tout son sang par une blessure béante, rôtissait dans la fournaise.

Que s’était-il donc passé ?

À peine Fantômas avait-il essuyé les coups de feu inoffensifs du revolver de Prosper qu’une brûlure plus vive lui prenant les chevilles et les mains l’avait spontanément obligé à une contraction dans laquelle il avait développé une vigueur surhumaine…

Mais, à ce moment précis, Fantômas reprenait la libre disposition de ses membres.

Avec le plancher calciné, ses liens avaient été brûlés aussi, et les cordes s’étaient rompues, et les courroies s’étaient déchirées. Fantômas, quoique fort endolori par de cuisantes brûlures, était libre, dès lors, et son premier acte avait été de fouiller sa ceinture, d’y prendre un poignard et de le plonger dans le dos de Prosper jusqu’à la garde, car, avant tout, Fantômas voulait se venger, punir le traître, cet acte de vengeance dut-il lui coûter l’existence.

— Crève donc, canaille, avait-il hurlé, cependant que Prosper exhalait son dernier soupir.

Puis Fantômas, satisfait de son œuvre, s’efforçait de se protéger lui-même de l’incendie.

Ce n’étaient autour de lui que ruines et décombres, flammes et fumée.

L’air devenait de plus en plus irrespirable, il n’était plus possible de poser le pied sur un seul coin du parquet sans risquer de s’y brûler affreusement, mais cependant Fantômas se rendait compte qu’à toute force il lui fallait traverser la pièce pour gagner la fenêtre, seule issue possible, sinon certaine.

Le cadavre de Prosper, couvert de sang, noir de brûlures, duquel s’exhalait déjà une épouvantable odeur de chair grillée, gisait sur ce parquet transformé en brasier.

Fantômas n’hésita pas. Se servant de ce corps comme d’une passerelle, il bondit jusqu’à l’autre extrémité de la pièce, parvint jusqu’à la fenêtre, enjamba la balustrade.

À ce moment, un cataclysme épouvantable se produisit, le plafond de l’étage supérieur dégringolait sur le plancher du cabinet de travail qui, lui-même, s’effondrait, entraînant avec lui les meubles et le cadavre de Prosper.

Quant aux murs extérieurs dans lesquels s’encadrait la fenêtre, ils s’écroulaient dans la cour de l’immeuble, avec un tapage infernal.

Qu’était devenu Fantômas ?

26 – MORT DU POLICIER JUVE

Pour la vingtième fois peut-être, Jérôme Fandor tirait sa montre. Il n’avait pas jeté les yeux sur le cadran, il ne s’était pas assuré qu’il était près de cinq heures du soir, qu’il tapait du pied, haussait les épaules, bougonnait, en proie à la plus violente des fureurs.

— Mais qu’est-ce qu’il fait, nom d’un chien ? Qu’est-ce qui peut lui être arrivé ? Juve m’a quitté à minuit et il est maintenant cinq heures du soir, c’est incompréhensible, c’est inimaginable. Il faut qu’il soit arrivé quelque cataclysme, quelque catastrophe imprévue, car enfin il n’est pas naturel qu’il mette un si long espace de temps à faire ce qu’il devait faire.

Jérôme Fandor était toujours au fond de la champignonnière. Il montait toujours la garde devant Nalorgne et Pérouzin qui, de blêmes qu’ils étaient, étaient devenus jaunes, puis verts, tant les émotions par lesquelles ils passaient décomposaient leurs traits, les jetaient dans une mélancolie profonde.

Jérôme Fandor, d’ailleurs, n’était pas moins de mauvaise humeur que ses deux prisonniers. À vrai dire, même, ce n’était pas la mauvaise humeur qui le faisait nerveux et agité, c’était bel et bien l’inquiétude, car il commençait à se demander avec une angoisse de minute en minute grandissante ce qui pouvait retarder Juve et empêcher son retour.

Juve était parti bien tranquillement la veille au soir, en affirmant à Fandor qu’il allait livrer Fantômas, maintenu immobile sur le parquet de son appartement où il l’avait cloué. Juve avait annoncé qu’il passerait à la Préfecture pour y obtenir des paperasses nécessaires aussi bien à la libération de Fandor qu’à l’arrestation légale de Nalorgne et Pérouzin, et Juve ne revenait pas.

Les heures de la nuit s’étaient traînées, interminables et monotones, le petit matin, s’insinuant par les soupiraux de la champignonnière, avait éclairé la cave d’un jour indécis, puis était venu le grand jour, puis midi avait carillonné à des clochers lointains, et des heures, de mortelles heures s’étaient écoulées depuis, insipides et lentes, qui n’avaient amené aucun changement dans la situation de Jérôme Fandor ni dans celle de Nalorgne et Pérouzin.

Juve parti, Fandor s’était naturellement conformé aux instructions précises de son ami. Le revolver au poing, il avait monté une garde farouche devant Nalorgne et Pérouzin, qui, atterrés, anéantis par la nouvelle que Fantômas était prisonnier, demeuraient sans mouvements, ligotés sur le sol.

Fandor, d’abord, avait été tout à la joie des nouvelles extraordinaires que Juve lui avait communiquées. Il riait tout seul en songeant que l’avenir était maintenant lumineux : Fantômas était pris, il allait être livré à la justice française. C’en était fini des luttes épouvantables qui depuis des années, ne laissaient aucun repos à Juve et à Fandor. Le policier même avait ajouté, n’insistant point sur ce sujet, car il était d’une discrétion exemplaire, qu’Hélène allait mieux, que la jeune fille, toujours détenue à Saint-Lazare, était en voie de guérison.

Et cela avait causé une telle joie à Fandor que les premières heures de sa captivité, ou plutôt de sa garde, avaient passé assez vite.

Fandor, toutefois, après avoir fait des réflexions joyeuses, après avoir envisagé l’avenir sous toutes ses faces, s’être congratulé lui-même à l’idée que Fantômas était pris, qu’Hélène allait mieux et que le bonheur parfait qu’il rêvait n’était plus qu’une question de jours, Fandor s’était mis à s’ennuyer profondément.

— C’est monotone en diable, pensait-il, la station que je fais dans cette champignonnière, en face de ces deux bonshommes ligotés, de ce maigre Nalorgne et de ce gros Pérouzin dont la conversation manque d’autant plus d’intérêt qu’étant étroitement bâillonnés ils ne peuvent articuler un mot.

Fandor, par compassion, autant que par ennui, avait fini par se dire qu’il était inutile et méchant de ne point soulager un peu les deux misérables qu’il gardait. Le journaliste s’était alors approché des captifs, avait donné quelque peu de lâche à leurs liens, les avait même affranchis des bâillons qui les étouffaient, tout en les avertissant qu’il agissait ainsi par pure compassion, mais qu’il ne se ferait aucun scrupule de leur casser la figure si d’aventure il leur prenait fantaisie de crier ou d’appeler au secours.

Nalorgne et Pérouzin s’étaient tenus cois. Les deux bandits étaient demeurés longtemps silencieux, puis enfin Nalorgne avait rompu son mutisme pour interroger Fandor :