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— Quelle heure est-il, s’il vous plaît ? Allez-vous bientôt nous emmener d’ici ?

Fandor avait répondu, aimablement, presque, qu’il était à peu près quatre heures du soir et qu’il ignorait tout à fait quand on s’en irait de la champignonnière, mais qu’il souhaitait lui-même que ce fût le plus vite possible, car il avait l’estomac dans les talons…

Fandor, à cet instant, aurait certes bien engagé la conversation avec Nalorgne tant il s’ennuyait, et puis il aurait peut-être appris des complices de Fantômas quelques détails intéressants, mais Nalorgne, renseigné, s’était à nouveau tu et les minutes encore s’écoulaient sans que Fandor eût pu trouver une autre distraction que celle qui consistait à se promener de long en large dans l’étroite cave, bordée d’un côté par un tas de fumier et de l’autre par un monceau de détritus.

— Très joli, le paysage ! se répétait Fandor, qui commençait à s’énerver d’autant plus qu’il venait de griller sa dernière cigarette.

À six heures, Jérôme Fandor soudain, prit une décision.

À bout de patience, il alla se camper en face de Nalorgne et Pérouzin, et interrogeait les deux crapules avec cette extraordinaire gouaillerie un peu gavroche mais vraiment originale qui faisait le fond de son caractère :

— Dites donc, est-ce que vous trouvez qu’on s’amuse ici ?

C’était Pérouzin qui se décidait à répondre :

— C’est abominable, murmurait l’agent, c’est abominable de souffrir ce que nous souffrons. Monsieur Fandor, pour ma part, j’aimerais mieux encore être en prison, au dépôt, être n’importe où, que de rester ici. Est-ce que M. Juve va revenir ?

Fandor ne répondait point à l’agent, mais interrogeait son deuxième prisonnier :

— Et vous, Nalorgne, est-ce que l’endroit vous plaît ? vous trouvez-vous parfaitement bien ?

Nalorgne avait une réponse farouche ; pour une fois, le bonhomme perdait sa mine chafouine d’agent d’affaires véreux, il répondait presque avec une brutalité propre à émouvoir tout autre que Fandor.

— Je ne sais pas ce que vous allez faire de nous, monsieur Fandor, mais je crois que, quand vous étiez notre prisonnier, Pérouzin et moi, nous n’avons jamais eu la lâcheté de vous imposer une attente pareille. Si vous voulez nous tuer, tuez-nous tout de suite. Si vous voulez nous remettre aux mains de la justice, faites-le, mais, bon Dieu, par pitié, ne restons pas plus longtemps ici.

— Ouais, grommela Fandor, qui, les deux mains dans ses poches, contemplait la pointe de ses souliers à la façon d’un homme cherchant une inspiration, ouais, je vois, mes deux amis, que vous pensez exactement comme moi. Ça ferait plaisir d’aller prendre un peu l’air. Je ne dis pas que vous n’avez pas raison, seulement vous comprendrez que je ne me soucie point de vous donner la clé des champs. Et dame, comme j’imagine que vous n’allez pas m’accompagner de bonne grâce…

Nalorgne interrompait le journaliste :

— Vous plaisantez, demandait-il, voyons, monsieur Fandor, qu’avez-vous à craindre ? Juve nous a mis les menottes, nous sommes liés à ne pouvoir faire le moindre geste. M. Juve est parti à pied, certainement, car nous ne sommes pas éloignés d’une gare. Donc, vous avez le taxi-auto à votre disposition, eh bien…

Fandor, à son tour, ne laissait pas à son interlocuteur le temps d’achever :

— Ça n’est pas bête, ce que vous dites là, Nalorgne, remarquait le journaliste, et, ma foi, puisque Juve ne revient pas, nous allons aller au-devant de lui. Vous avez raison, vous êtes solidement liés, donc je n’ai rien à craindre. Et en tous les cas je vous avertis que si vous bougez pieds ou pattes, j’ai six balles blindées dans mon revolver qui me suffiraient à vous convaincre qu’il importe de rester tranquille. Ceci dit, écoutez-moi : je m’en vais vous hisser là-haut, dans le terrain vague. Le taxi auto est rangé sous le hangar abandonné près de la champignonnière. Je vous ferai monter à l’intérieur. Pour moi, je me mettrai sur le siège. Et ma foi, je vous emmènerai tout droit à la Préfecture. Cela vous va-t-il ?

Acceptez-vous de vous prêter docilement à ce plan d’opération ?

Que pouvaient répondre Nalorgne et Pérouzin ?

Il leur était évidemment bien impossible de refuser quoi que ce fût à ce que voulait leur demander Fandor, et puis ils étaient convaincus tous deux que mieux valait en finir tout de suite, et ils préféraient l’un et l’autre être rapidement livrés à la Préfecture plutôt que de supporter plus longtemps l’angoisse de l’attente dans ces conditions.

— Faites de nous ce que vous voudrez, firent-ils, nous n’essayerons pas de fuir.

Fandor, de son côté, se frottait les mains :

— Ça va, alors. Nous allons nous tirer d’ici. Ah, mais, j’y songe, et Juve ? Si jamais il revenait, il pourrait s’inquiéter de ne plus nous trouver.

Le journaliste tira son portefeuille, écrivit en hâte quelques mots destinés à renseigner Juve, si par hasard le policier survenait après leur départ. Il attacha cette feuille de papier bien en vue sur l’un des barreaux de l’échelle de la champignonnière.

Cela fait, Fandor, en moins de cinq minutes, hissa Nalorgne et Pérouzin au moyen de la benne jusque dans le champ désert. Il alla quérir le taxi-auto abandonné par Juve, y jeta les deux agents de police, mit le moteur en marche, sauta sur le siège.

Fandor, à cet instant, était joyeux, respirait à pleins poumons.

— Bougre, se disait-il à lui-même, je n’aurais jamais cru qu’il fût si pénible de passer une nuit et une journée enfermé dans une cave à champignons. Ah, que c’est beau, la nature et les petits oiseaux.

Fandor devait évidemment faire appel à sa puissante imagination pour s’extasier devant la nature, car le paysage qu’il avait devant les yeux ne prêtait guère au lyrisme. Il traversait en effet les quartiers épouvantables, mal famés et laids du Petit-Bicêtre, du Grand-Bicêtre, tous ces faubourgs qui entourent Paris d’une ceinture de misère et de puanteur.

N’importe. Conduisant son auto avec une habileté qui témoignait de ses habitudes de sportsman, Fandor, en grande vitesse, virant sur deux roues et se faufilant à travers les tramways, les tombereaux chargés de sable, les voitures maraîchères débordantes de légumes, atteignit bientôt la porte de Châtillon. Le jeune homme s’arrêta à quelque distance de l’octroi, passa la tête par la portière, avertit encore, par prudence, Nalorgne et Pérouzin, toujours ligotés :

— Pas un mot, n’est-ce pas, pas un cri, ou sans ça…

Les deux hommes ne répondirent pas. Fandor, en conducteur soucieux de ne point s’exposer aux rigueurs de l’octroi, vérifia le contenu de son réservoir, afin d’aller faire sa déclaration d’essence.

Mais au moment même où le journaliste approchait du petit bureau où un brave agent d’octroi allait lui délivrer un permis d’introduction, des camelots le dépassaient, qui hurlaient à pleins poumons :

— La Capitale, demandez La Capitale, deuxième édition, l’incendie de la rue Bonaparte, demandez La Capitale !

Fandor, qui n’avait pas tourné la tête en entendant crier l’édition de son journal, une édition dont d’abord il pensa, devait s’expliquer par des événements politiques qui lui étaient fort indifférents, s’arrêta net, s’élança comme un fou vers le dernier des camelots en entendant ces mots tragiques :

L’incendie de la rue Bonaparte.

Fandor arracha plus qu’il ne reçut la feuille que le camelot avait en main. Il jeta les yeux sur le papier frais sorti des presses, et c’est avec une stupéfaction douloureuse, qu’il lut la manchette :

« Mort du policier Juve. »