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— Donc, les actes de Marlow ont déjà eu un impact mesurable, dit Everard avec amertume. Qu’est-ce que Foulques peut encore faire, si peu de temps avant la rafle ? Une fois que nous aurons récupéré Marlow, nous devrons nous occuper de ce gentilhomme... d’une façon ou d’une autre.

— Comment comptez-vous procéder pour Marlow ? demanda Reynaud.

— Je suis là pour en discuter avec vous. Nous devons élaborer une tactique sans faille. Pas question de laisser croire à une quelconque intervention surnaturelle. Dieu sait quelles pourraient en être les conséquences.

— Je présume que vous avez une idée derrière la tête. » On n’en attendait pas moins de la part d’un agent non-attaché.

Everard opina. « Pouvez-vous me trouver quelques gars costauds qui connaissent bien ce milieu ? Dès ce soir, nous entrerons par effraction dans cet immeuble parisien. Selon toute évidence, il ne s’y trouve personne excepté le prisonnier, ses deux gardiens et un jeune garçon – un novice, je suppose. Une cible idéale pour une bande de voleurs. Nous nous emparerons de tout ce qui est transportable, plus Marlow, censément pour en demander une rançon. Qui y regardera de près une fois la catastrophe survenue ? On supposera que les voleurs, voyant disparaître tout espoir de gain mal acquis, ont égorgé leur captif et l’ont jeté dans la Seine. » Un temps. « J’espère que les innocents ne souffriront pas de nos actes. »

Parfois, la Patrouille doit se montrer aussi cruelle que l’Histoire.

Paris, mercredi 11 octobre 1307

Durant le couvre-feu, après la fermeture des portes de la cité, personne ne sortait sans nécessité, excepté la garde et la pègre. Le sauteur apparut dans une rue totalement déserte. C’était une machine pourvue de huit sièges, qui se posa dans la boue avec un bruit nettement audible.

Everard et ses hommes mirent pied à terre. Étroite, bordée de hautes façades où couraient des galeries, la rue était noire comme un four, et l’air y était froid et puant. La lueur émanant de deux petite fenêtres à l’étage d’un bâtiment ne faisait qu’accentuer l’obscurité. Les agents y voyaient comme en plein jour. Leurs amplificateurs optiques passeraient pour des masques grotesques. Ils étaient vêtus de guenilles parfaitement ordinaires. Tous étaient armés d’un poignard ; on comptait aussi dans leur arsenal deux hachettes, un gourdin et un bâton ; Everard avait passé à sa ceinture un fauchon, une courte épée à la lame recourbée – autant d’armes prisées par les bandits.

Il fixa les fenêtres en plissant les yeux. « Merde ! gronda-t-il en anglais. Il y a encore des gens réveillés ? Ce n’est peut-être qu’une veilleuse. Enfin, on y va. » Il passa au temporel. Les membres de son commando provenaient des pays et des époques les plus divers. « A toi, Yan, feu ! »

La porte était en chêne massif, à en croire Marlow. Et on l’avait sûrement barrée. Il fallait faire vite. Si les voisins ne risquaient pas d’accourir en entendant du bruit, peut-être enverraient-ils quérir la garde, à moins que celle-ci ne se manifeste de son propre chef. Everard et ses hommes ne devaient pas traîner, pas plus qu’ils ne devaient laisser de traces sortant du commun.

Yan, qui resterait posté près du sauteur, salua et s’affaira sur le mortier monté sur celui-ci. L’idée venait d’Everard, qui avait consacré plusieurs heures à sa mise en œuvre, sans parler des essais. Le mortier tonna. Cracha une bille de bois dur. La porte s’effondra dans un fracas, à moitié arrachée à ses gonds. La barre était brisée. On pouvait laisser la bille sur place, les gens d’armes la prendraient pour un bélier. On s’inquiéterait de la force physique de ces rufians, mais la rafle des Templiers ferait passer cette affaire au second plan.

Everard fonça, Tabaryn, Rosny, Hyman et Uhl sur les talons. Ils franchirent le seuil, traversèrent le vestibule – la porte de communication était ouverte –, débouchèrent dans l’atelier. Là, ils se déployèrent, le chef du commando se mettant en pointe, et scrutèrent les lieux.

Une salle vide, au sol dallé et aux multiples piliers. Au fond, la porte de la cuisine, fermée pour la nuit. En guise de meubles, un coffre de fer, trois tabourets, un immense comptoir sur lequel brûlaient quatre chandelles de suif diffusant une chiche lumière. Elles empestaient. A droite, une porte donnant sur une pièce logée sous l’escalier, jadis une salle forte, à présent une geôle cadenassée. Devant elle se tenait un homme au visage dur, vêtu de la tenue de l’Ordre, armé d’une hallebarde.

« La ferme ! lui lança Everard dans l’argot parisien qu’il avait assimilé le jour même. Jette ton arme et nous t’épargnerons.

— Jamais, par les os de Dieu ! » répliqua le Templier. Était-il simple soldat avant de prononcer ses vœux ? « Jehan ! Sire ! A l’aide ! »

Everard fit un signe à ses hommes. Ils cernèrent le gardien.

Il n’était pas question de le tuer. Leurs armes blanches dissimulaient des soniques. Ils allaient le distraire, lui envoyer une décharge. En revenant à lui, il penserait avoir reçu un coup sur la tête... oui, mieux valait lui laisser une petite bosse en souvenir.

Deux hommes surgirent du vestibule. Ils étaient nus, car l’époque ignorait la chemise de nuit, mais armés. Le plus râblé brandissait une hallebarde. Le plus grand était armé d’une longue épée. Sa lame mouvante, captant la chiche lumière des chandelles, était comme une flamme nue. Son visage aquilin...

Everard le reconnut tout de suite. Marlow l’avait souvent filmé avec son microscanner, illustrant ses rapports de plusieurs portraits. Les avait-il collectionnés afin de les contempler à loisir une fois sa mission achevée ?

Foulques de Buchy, chevalier du Temple.

« Ho ! lança-t-il. Appelez la garde, quelqu’un ! » Un rire destiné à Everard. « Les gens d’armes emporteront ton cadavre, canaille. »

D’autres personnes firent leur apparition, une douzaine d’hommes et de jouvenceaux, désarmés, désemparés, seulement capables de prier... et de témoigner.

Et merde ! jura Everard dans son for intérieur. Foulques a décidé de passer la nuit ici, et il a fait revenir le personnel.

« Gaffe avec les étourdisseurs ! » lança-t-il en temporel. Pas question d’abattre un adversaire comme par magie. L’avertissement était peut-être inutile. Ces hommes étaient des Patrouilleurs, après tout. Mais ce n’étaient pas des flics comme lui, seulement des volontaires connaissant bien ce milieu, qui n’avaient eu droit qu’à une formation accélérée.

Ils foncèrent sur les hallebardiers. Foulques voulait en découdre avec lui.

Il fait trop clair ici. Je ne pourrai l’étourdir en douce que si nous nous affrontons en combat rapproché – ou si j’arrive à le mener derrière un pilier –, son allonge est supérieure à la mienne et je suis sûr qu’il manie l’épée mieux que moi. D’accord, je connais des techniques d’escrime qui n’ont pas encore été inventées, mais avec de telles lames, elles ne me serviront pas à grand-chose. Pour la énième fois de sa vie, Everard songea qu’il allait peut-être mourir.

Mais il était trop occupé pour céder à la peur. On eût dit que son moi intérieur le quittait, observait ses actes avec détachement, lui dispensant des conseils de temps à autre. Le reste de lui-même se consacrait à l’action.

La longue épée fondit sur son crâne. Il bloqua le coup de son fauchon. Un claquement de métal. Il était plus lourd, plus musclé. L’arme de Foulques dut reculer. La main libre de Manse forma un poing. Jamais un chevalier ne s’attendrait à un uppercut. Souple comme un félin, Foulques esquiva le coup et se mit hors de portée.

Séparés par deux mètres de dallage, ils échangèrent un regard assassin. Everard vit que les piliers allaient le gêner. Cela risquait de lui être fatal. Il faillit retourner son arme pour user de l’étourdisseur logé dans le pommeau. S’il était assez rapide, personne ne verrait qu’il avait terrassé son adversaire à distance. Mais Foulques ne lui laissa pas le temps d’agir. Un bond, et son épée était sur lui.