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Everard exécuta un kata. Un genou qui se détend, une jambe qui bouge pour éviter la lame. Il s’en fallut d’un cheveu. Il frappa, visant le poignet.

Foulques était trop rapide pour lui. Il faillit lui arracher le fauchon de la main. Il présentait son flanc gauche à l’adversaire, le bras replié sur le cœur. Comme s’il portait un bouclier invisible, frappé de la croix. Un sourire féroce se peignait sur ses traits. Sa lame jaillit, vive comme un serpent.

Everard s’était déjà jeté à terre. L’épée lui frôla le crâne. Il se reçut de façon parfaite. Les arts martiaux étaient inconnus ici. Foulques n’aurait pas hésité à frapper un homme se relevant tant bien que mal. Mais Everard était tendu, prêt à bondir. Il avait une demi-seconde de répit. Le fauchon frappa Foulques à la cuisse.

La lame heurta l’os. Le sang jaillit. Foulques hurla. Il mit un genou à terre. Leva de nouveau son épée. Everard eut à peine le temps de réagir. Cette fois-ci, il frappa au ventre. Sa lame s’enfonça profondément, se tordit. Un bout de tripe accompagna le torrent de sang.

Foulques s’abattit. Everard se releva d’un bond. Les deux épées gisaient sur le sol. Il se pencha sur l’homme effondré. Son sang l’avait taché. Quelques gouttes tombèrent sur le geyser qui alimentait la mare autour de lui. Puis le rythme se ralentit, le cœur robuste défaillit.

Les dents de Foulques luisaient dans sa barbe. Un ultime rictus jeté à son meurtrier ? Il leva sa main droite. Fit le signe de croix en tremblant. Mais ses dernières paroles furent : « Hugues, ô Hugues...»

La main retomba. Les yeux se révulsèrent, la bouche béa, les entrailles se vidèrent. Everard huma la puanteur de la mort.

« Pardon, croassa-t-il. Je n’ai pas voulu cela. »

Mais il avait du travail. Il regarda autour de lui. Les deux hallebardiers étaient à terre, inconscients mais apparemment indemnes. Terrassés depuis quelques secondes, sinon ses hommes seraient venus à son aide. Ces Templiers se sont bien battus. Voyant qu’il n’était pas blessé, les Patrouilleurs se tournèrent vers les domestiques blottis dans l’entrée.

« Caltez, ou vous allez y passer, vous aussi ! » hurlèrent-ils.

Ces hommes et ces enfants n’étaient pas des soldats. Ils s’enfuirent, pris de panique, dans un concert de cris et de gémissements, disparaissant dans la rue.

Si terrorisés fussent-ils, ils risquaient quand même d’alerter la garde. « Ne traînons pas, ordonna Everard. Ramassez votre butin en vitesse et on fiche le camp. Prenez ce que prendrait une bande de rufians qui ne voudrait pas faire long feu. » Il ne put s’empêcher d’ajouter pour lui-même : De peur de finir sur le bûcher. Puis, redevenant sérieux : « Sélectionnez les objets les plus travaillés et manipulez-les avec soin. Ils finiront dans un musée en aval, après tout. »

Ainsi, quelques modestes trésors seraient sauvés de l’oubli, pour le bénéfice d’un monde que cette opération avait peut-être sauvé, lui aussi. Il ne pouvait en être sûr. Peut-être que la Patrouille aurait pu traiter le problème différemment. A moins que les événements n’aient retrouvé leurs cours initial sur le long terme ; le continuum était doté d’une incroyable résilience. Il s’était contenté de faire pour le mieux.

Il contempla le mort à ses pieds. « Nous avions notre devoir à accomplir, murmura-t-il. Je crois que tu nous aurais compris. »

Pendant que ses hommes s’affairaient à l’étage, il se dirigea vers la chambre forte. Le cadenas aurait fini par céder devant un outil contemporain, mais ceux dont il était équipé étaient plus sophistiqués, et ils en eurent raison en un instant. Il poussa la porte.

Hugh Marlow surgit des ténèbres. « Qui êtes-vous ? demanda-t-il en anglais. J’ai entendu... oh ! la Patrouille. » Il aperçut le chevalier. Étouffa un cri. Puis il alla près du corps et s’agenouilla devant lui, indifférent au sang, luttant visiblement pour ne pas pleurer. Everard s’approcha et attendit. Marlow leva les yeux.

« Est-ce que... est-ce que vous étiez obligé de faire ça ? » bredouilla-t-il.

Everard acquiesça. « Les choses sont allées trop vite. Nous ne pensions pas le trouver ici.

— Non. Il... est revenu. Vers moi. Il disait qu’il ne pouvait pas me laisser seul pour affronter... ce qui allait arriver. J’espérais... malgré tout... j’espérais pouvoir le convaincre de fuir... mais il ne voulait pas non plus abandonner ses frères...

— C’était un homme, déclara Everard. Au moins... n’allez pas croire que je m’en réjouisse, mais au moins n’aura-t-il pas à subir la torture. » Les os broyés à coups de bottes, ou fracassés par la roue ou le chevalet. Les chairs carbonisées par des tisonniers portés au rouge. Des pinces sur les testicules. Des aiguilles... Peu importe. Les gouvernements sont ingénieux. Si, par la suite, Foulques avait renié la confession ainsi arrachée, et le déshonneur qui l’accompagnait, on l’aurait brûlé vif.

Marlow opina. « C’est une consolation, hein ? » Il se pencha sur son ami. « Adieu{En français dans le texte. (N. d. T.)}, Foulques de Buchy, chevalier du Temple. » Il lui ferma les yeux et la bouche, puis l’embrassa sur les lèvres.

Everard l’aida à se relever, car le sol était glissant.

« Je vous assure de ma pleine et entière coopération, déclara Marlow d’une voix atone. Je ne chercherai pas à implorer la clémence.

— Vous êtes allé trop loin, répondit Everard, et cela a permis à la flotte de s’échapper. Mais cet épisode a “ toujours ” fait partie de l’Histoire. Il se trouve que vous en avez été la cause. Sinon, aucun mal n’a été fait. » Sauf qu’un homme était mort. Mais tous les hommes sont mortels. « Je ne pense pas que la Patrouille se montrera trop sévère. On ne vous confiera plus de missions de terrain, ça va de soi. Mais vous pourrez encore faire œuvre utile dans les tâches d’analyse et de compilation, et ainsi vous racheter. »

Ce discours puait la suffisance.

Enfin, l’amour n’excuse pas tout, loin de là. Mais l’amour en lui-même est-il un péché ?

Les hommes redescendaient avec leur butin. « Allons-y », dit Everard, et il les conduisit au-dehors.