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LA MYTHOLOGIE DANS L'ART ANCIEN ET MODERNE
M. Eugène GUILLAUME
MEMBRE DE l'iNSTITUT DIRECTEUR DE l'ÉCOLE DES BEAUX-ARTS
Monsieur le Directeur,
Dans le remarquable travail que vous avez publié en 1865 sur l'enseignement du dessin^ à propos aes expositions de rUNION centrale DES Beaux-Arts appliqués a l'Industrie, vous avez écrit ces quelques lignes :
(( Une connaissance exacte de la Mythologie est indispensable pour bien compreiidre et pour goûter les écrivains classiques et les poètes en particulier : tout l'art des anciens est né de la poésie^ il en est l'inséparable complément. Nous ne croyons pas qu'il existe un ouvrage élémentaire sur la Mythologie, conçu dans le but d'aider à l'intelligence des auteurs et de remonter à la raison et à la source de l'art. »
Ce passage, Monsieur le Directeur^ a été le point de départ du travail que je publie aujourd'hui^ et je me suis efforcé de combler la lacune que vous signaliez. En vous priant de vouloir bien accepter la dédicace de mon livre, je ne fais que vous restituer une idée qui vous appartient, et votre nom, placé en tète de cet ouvrage, suffira pour expliquer dans quel sens j'ai dirigé mes recherches.
RENÉ MÉNARD.
INTRODUCTION
Le langage mythologique. — La mythologie artistique. — Les images des dieux. — Suprématie de Jupiter. — Les hymens de Jupiter. ^ Les douze grands dieux. — Occupations des dieux.
Le langage mythologique. — La mythologie primitive est la langue poétique dont se servaient les anciens peuples pour expliquer les phénomènes naturels. Comme cette langue n'est plus du tout conforme aux habitudes de la vie moderne, elle paraît très-étrange aujourd'hui, mais il est nécessaire de se familiariser avec elle pour comprendre le sens et la portée des légendes.
Tout ce que nous présente la nature extérieure était, aux yeux des anciens, la forme visible de personnalités divines. La terre, le ciel, le soleil, les astres, les montagnes, les volcans, les tremblements de terre, les fleuves, les ruisseaux, les arbres, étaient des personnages divins, dont les poètes racontaient l'histoire, et dont les sculpteurs retraçaient l'image. Mais l'allégorie n'était nullement une forme particulière à l'art, elle faisait partie du langage usuel. Quelques-unes des expressions mythologiques ont passé dans notre langage moderne. Ainsi nous disons : le soleil se couche ; cependant nous ne croyons pas qu'il se déshabille et entre dans son lit, ce n'est qu'une forme allégorique admise par l'habitude. Seulement, nous employons très-rarement ces formes, tandis que l'antiquité s'en servait atout propos.
Le soleil était pour les anciens un brillant dieu en lutte contre la nuit ; si un volcan lançait des laves à travers l'espace, c'est qu'un géant attaquait le ciel, et, quand l'éruption était finie, c'est que Jupiter vainqueur l'avait précipité dans le Tartare. Une tempête signifiait le courroux de Neptune, et, pour indiquer un tremblement de terre, on disait : Neptune frappe le sol de son trident. Quand la graine^ après avoir passé l'hiver sous la terre, apparaissait sous forme d'une herbe naissante, c'était Proserpine quittant le ténébreux séjour pour revenir auprès de sa mère Cérès, qui est la terre couverte de moissons ; le printemps se chargeait-il de fleurs, c'était la résurrection d'Adonis, etc., etc.
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Des fables innombrables expliquaient nalureilement ces liabitudes allégoriques du lanjiage. Chaque ileuve était un dieu, et chaque ruisseau une nymphe : coulaient-ils quelque temps en rapprochant leur direction, c'est qu'ils s'aimaient; unissaient-ils leurs eaux^ c'était un hymen.
Les catastrophes, les accidents de la vie prenaient la même forme dans le récit. L'histoire d'Hylas, ravi par les nymphes, nous montre clairement ce qu'il faut entendre par le langage mythologique des anciens. Ouand un journal rapporte la mort d'un jeune homme qui s'est noyé, il dit dans notre style moderne : « Un accident déplorable vient d'affliger notre commune. Le jeune H.., parti de grand matin pour aller se baigner,... etc. » Les Grecs disaient : « Il était si beau! les nymphes l'ont ravi et entraîné sous leurs eaux. »
Les cités avaient toutes la prétention d'être sous la protection de quelque divinité dont elles se disaient filles : Athènes [Athciié, nom grec de Minerve) était fille de Jupiter. Jupiter étant le plus puissant des dieux, puisqu'il est la voûte du ciel, l'assembleur de nuages, et le maître du tonnerre, les villes qui se prétendaient ses enfants étaient innombrables, et la manière dont elles établissaient leur origine divine était très-simple : la rivière qui coulait dans la localité étant une nymphe, cette nymphe avait plu ù Jupiter, et de leur union étaient nés les héros protecteurs et fondateurs de la cité. Comme il n'y a jamais eu en Grèce d'église constituée, que le sacerdoce avait pour unique mission de diriger les cérémonies, mais ne formulait pas un dogme, chacun brodait à sa fantaisie les légendes locales, ou les racontait aux enfants sous formes de contes de fées.
Par une association d'idées qui était familière aux anciens, mais qui nous étonne presque toujours, les personnifications divines des phénomènes physiques se confondaient aux yeux des populations avec des puissances morales : le ciel lançant le tonnerre était Jupiter vengeur; la graine qui devient plante après avoir fermenté dans la terre était en même temps l'àme immortelle qui se réveille au delà du tombeau, comme nous l'expliquerons en parlant des mystères d'Eleusis.
La mythologie artistique. — L'étude de la mythologie peut se faire de différentes manières, selon le but que l'on veut atteindre. Si on se propose de rechercher le sens des symboles religieux, on doit toujours remonter à leur origine et les documents les plus anciens sont nécessairement les meilleurs, parce que ce sont eux qui peuvent éclairer sur la filiation des races et la souche commune des traditions.
Les derniers travaux de la philologie ont amené les savants a voir dans les védas de l'Inde l'origine des fables qu'on faisait autrefois venir d'Egypte, et tout un système a été échafaudé pourmontrerque la mythologie grecque était « une maladie du langage » et ne pouvait s'expliquer que par l'étude du sanscrit. La mythologie artistique se place sur un terrain tout à fait différent : ce ne sont pas les origines qu'elle prend pour objectif, ce sont les résultats. Elle ne s'informe pas des croyances qu'avaient les guerriers du temps d'Homère, ou les bergers contemporains d'Hésiode, elle recherche quelles idées pouvaient avoir les hommes qui fréquentaient l'atelier de Phidias ou de Praxitèle. De même, pour les traditions en dehors de la Grèce, c'est au moment de leur virilité qu'elle les prend, et non à leur point de départ.
Pour nous, la mythologie classique commence à Pisistrate et finit à Marc-Aurèle : avant Pisistrate, l'Olympe grec n'a pas encore pris place dans l'art, et les mythes sont en voie de formation. Après Marc-Aurèle, les mythes païens sont en décomposition, et l'art ne trouve plus d'inspiration dans l'Olympe délaissé. Dans la période même où nous avons circonscrit notre travail il fallait faire un choix, car les légendes sont très-multiples ; elles varient selon les localités où elles se sont produites, et les poètes racontent l'histoire des dieux d'une manière très-différente. Dansun livre d'érudition, il aurait fallu opposer une tradition àuneautre, et signaler partout les contradictions : mais ce système aurait jeté dans notre travail une confusion tout à fait inutile. Nous ne nous piquons pas d'impartialité et nous sommes toujours du parti des sculpteurs: s'il y a deux légendes contradictoires sur le même dieu, nous adoptons de parti pris celle qui figure le plus communément sur les monuments; comme l'imagerie est toujours l'expression fidèle des sentiments populaires, nous sommes certain qu'ils traduisent la croyance du temps où l'art les a traduits.