Europe, assise sur le divin taureau, se tient d'une main à l'une de ses cornes majestueuses, de l'autre abaisse les plis ondoyants de sa robe de pourpre, en sorte que l'extrémité en est mouillée par l'onde blanchissante. Son large voile, enflé par les vents, se gonfle sur ses épaules comme une voile de navire et soulève doucement la jeune vierge. Elle était éloignée déjà des bords de la patrie; les rivages battus par les flots, les hautes montagnes eurent bientôt entièrement disparu ; elle ne découvrait en baut que l'immensité des cieux, en bas que l'immensité des mers; promenant alors ses regards à l'entour, elle laisse échapper ces mots : « Oii me portes-tu, divin taureau? Oui es-tu? Comment peux-tu fendre les flots avec tes pieds pesants et ne pas craindre les mers? Les navires voguent légèrement sur les eaux, mais les taureaux craignent de s'exposer sur la plaine liquide. Les dauphins ne marchent pas sur la terre, ni les taureaux sur les ondes : toi, tu cours également sur la terre et sur les flots-... Hélas ! Infortunée que je suis ! J'ai abandonné le palais de mon père, j'ai suivi ce taureau, et, par une étrange na\igation, j'erre seule sur les ondes. Mais, ô Neptune ! toi qui règnes sur les flots blanchissants, deviens-moi favorable; j'espère connaître enfin celui qui dirige ma course, car ce n'est pas sans le secours d'une divinité que je traverse ainsi ces routes humides. »
Elle dit, et le taureau majestueux lui répond en ces termes : «. Courage, jeune vierge, ne redoute pas les flots de la mer. Je suis Jupiter lui-même, bien que je semble être un taureau; car je puis prendre toutes les formes que je veux. L'île de Crète va bientôt l'accueillir, elle qui éleva mon enfance; nous y célébrerons ton hyménée. Tu auras des fils fameux qui tous régneront sur les peuples. » Il achève et tout se fait ainsi qu'il a dit. L'île de Crète apparaît déjà et Jupiter a repris sa forme première.
(MOSCHUS.)
Dans un tableau qui est à Venise, Paul Véronèse a retracé les principaux incidents de l'enlèvement d'Europe et, suivant son habitude, il a revêtu ses personnages de superbes costumes de fantaisie et d'étoffes brillantes comme on en portait à Venise dans son temps. Europe, au milieu de ses compagnes, s'assied sur sa monture dont les cornes sont ornées de guirlandes, et les Amours qui voltigent dans les arbres indi-(pient le motif de la métamorphose. Au second plan on aperçoit Europe
montée sur le taureau et encore entourée de ses compagnes, puis au fond, le taureau emporte la jeune fille au travers des mers. Rubcns a peint aussi sur ce sujet un lableau qui se voit au musée de Madrid, et le Hollandais Berghem a trouvé dans cette légende un prétexte pour représenter un superlic taureau et une grosse fermière, où, à vrai dire, les Grecs auraient dillicilement reconnu l'épouse d'un dieu. Dans l'école française, Lemoyne a fait une très-gracieuse composition sur l'cnlève-mcnt d'Europe.
Jupiter Arcadien. —Suivant les traditions des Arcadiens, Jupiter était né sur le mont Lycée, dans leur pays, et non en Crète, comme le veut la tradition la plus répandue. Aussi ce mont était-il sacré^ et il y avait un temple de Jupiter qui était d'une haute antiquité et qui inspirait la plus grande vénération. Il était d'ailleurs remarquable à plus d'un titre : quelque homme ou quelque animal y entrait-il, chose étrange, il ne jetait plus d'ombre, même quand son corps était exposé aux rayons du soleil ! (Pausanias.)
Ce temple avait été élevé par Lycaon, premier roi d'Arcadie, à lépoque où cessèrent les sacrifices humains ; car, Lycaon ayant voulu honorer Jupiter d'une manière barbare, ce dieu le punit cruellement. Comme le roi des dieux parcourait l'Arcadie, Lycaon le reçut chez lui et donna un festin en son honneur. Croyant lui être agréable, il fit égorger un des otages que les Molosses lui avaient envoyés; quand une partie de ses membres fut bouillie et l'autre rôtie, on apporta le repas au dieu. Mais un feu vengeur, allumé par Jupiter, consume bientôt le palais. Lycaon épouvanté prend la fuite ; dès qu'il est au milieu de la campagne et qu'il veut parler et se plaindre, il ne fait que hurler; transporté de rage
Fig. 34. — Jupiter Arcadien (d'après une monnaie arcadienne).
et toujours avide de sang et de carnage, il tourne sa fureur contre tous les animaux qu'il rencontre. Ses habits se changent en poil, ses bras prennent la même forme que ses jambes; en un mot, il devient loup, et, dans ce changement, il conserve encore l'air farouche qu'il avait autrefois. (Ovide.)
Pausanias, en racontant cette merveilleuse histoire, cherche k lui donner une date. « Pour Lycaon, dit-il, je crois qu'il régnait en Arcadie, dans le temps que Cécrops régnait à Athènes; mais Cécrops régla le
culte des dieux et les cérémonies de la religion avec beaucoup plus de sagesse. Il fut le premier qui appela Jupiter le dieu suprême et défendit qu'on sacrifiât aux dieux rien qui fut animé ; mais il voulut que Ton se contentât de leur offrir des gâteaux du pays. Au contraire, Lycaon immola un enfant à Jupiter et trempa ses mains dans le sang humain; aussi dit-on qu'au milieu du sacrifice, il fut changé en loup^ ce qui n'est pas incroyable ; car, outre que le fait passe pour constant parmi les Arcadiens, il n'a rien contre la vraisemblance. En effet, ces premiers hommes étaient souvent les hôtes et les commensaux des dieux ; c'était la récompense de leur justice et de leur piété ; les bons étaient honorés de la visite des dieux et les méchants éprouvaient sur-le-champ leur colère... »
Quoi qu'il en soit, la f;Me de Lycaon marque une étape assez curieuse dans l'histoire, celle où les sacrifices humains, au lieu d'être considérés comme un honneur rendu aux dieux, furent au contraire regardés comme un crime qui attirait leur courroux.
Jupiter Arcadien est caractérisé par la couronne d'oliviers sauvages.
Jupiter Dodonéen ou Prophétique. — Le plus ancien oracle de la Grèce était consacré à Jupiter et se trouvait à Dodone, en Epire, oii ce dieu était spécialement honoré. Les prêtresses de Dodone ont fait à Hérodote le récit suivant sur l'origine de cet oracle : « Deux colombes noires s'étaient envolées de Thèbes d'Egypte, l'une en Libye, l'autre chez les Dodoniens ; cette dernière se percha sur un chêne, et, prenant une voix humaine, elle leur dit qu'il fallait en ce lieu établir un oracle de
Fig. 35. — Jupiter Dodonéen (d'après une monnaie anti(iue\
Jupiter ; le peuple comprit que ce message était divin, il fit donc aussitôt ce qu'il prescrivait. Les prêtresses ajoutent que l'autre colombe ordonna aux Libyens de fonder l'oracle d'Ammon ; celui-ci est aussi un oracle de Jupiter. Les prêtresses de Dodone me rapportèrent ces choses. »
D'après une autre version, ce serait Deucalion qui, arrivant en ce lieu après avoir échappé au déluge, aurait consulté le chêne prophétique de Jupiter et aurait donné au pays le nom de Dodone. La forêt sacrée de Dodone renfermait les chênes prophétiques^ et les oracles se ren-
JUPITER ET JUNON.
(laicnt d'après le briiisscniont de leurs feuilles. Il paraît néanmoius que leur bois était également prophétique, puisque les mats du navire A/yo, coupés dans la foret de Dodone, prédisaient l'avenir aux navigateurs. Les prêtres de Dodone se livraient à toutes les austérités de la vie monastique et couchaient sur la terre nue. Jupiter Dodonéen est caractérisé par la couroune de chêne (tig. 3o).
Jupiter Capitolin. —Ce nom vient du temple que le roi des dieux avait sur le Capitole. Le Jupiter des Romains provient de la confusion du dieu étrusque de la foudre, Tinia, avec le Zens des Grecs. Jupiter Capitolin est figuré sur un monument antique tenant le sceptre et une
Fig. -36. — Les trois divinités du Capitole (d'après une médaille antique}.