Quand Junon eut la vache en sa possession, elb; la confia à Argu>, qui avait cent yeux : il n'y en avait jamais que deux qui se fermassent a la fois, les autres veillaient et faisaient sentinelle. En quelque endroit ([u'ellc s'arrêtât. Argus ne perdait jamais lo de vue; elle était toujours devant ses yeux, môme quand il lui tournait le dos. L'art antique a rarement adopté ce caractère qui ne prêtait point à la plastique et les
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pierres gravées nous montrent Argus sous les traits d'un vieillard gardant une vache.
Cependant Jupiter, ne pouvant supporter la surveillance à laquelle la malheureuse lo est condamnée, appelle Mercure et lui ordonne (\v tuer Argus. Pour obéir à cet ordre, Mercure attache ses ailes à ses pieds, prend son chapeau et cette baguette mystérieuse qui a la vertu d'endormir. Dans ctt équipage, il descend sur la terre, où, quittant ses ailes et son chapeau, et ne gardant que son caducée qui lui sert de houlette, il se met a conduire les chèvres en jouant de la flûte. Argus, charmé du son qu'il entendait, lui adressa ainsi la parole : « Qui que tu sois, tu peux venir t'asseoir auprès de moi ; tu ne trouveras point ailleurs de meilleur pâturage, ni d'ombrage plus frais. » Mercure accepta l'offre que lui faisait Argus, et, après l'avoir entretenu de divers propos pendant une partie de la journée, il se mit à jouer de la flûte, pour tâcher de l'endormir. Quand il s'aperçut que le sommeil avait fermé tous les yeux d'Argus, il cessa de jouer, et, ayant redoublé son assoupissement avec son
l.'ig. 40. — Jupiter ordonne ù Mercure de tuer Argus (d'après une pierre gravée antique].
caducée, il prit une épée recourbée dont il s'était muni, lui coupa la tète et la jeta loin de là. Le rocher où Argus s'était assis en demeura ensanglanté. Junon, désolée d'avoir [)erdu son fidèle serviteur, prit tous les yeux d'Argus et les répandit sur les ailes et sur la queue de l'oiseau qui lui est consacré (le paon), où ils brillent comme autant d'étoiles. »
(Ovide.)
Plusieurs pierres gravées anti([ues reproduisent cette histoire : dans la figure 46 on voit Jupiter qui ordonne à Mercure de tuer Argus, et dans la fio-ure 47 Argus commence à s'endormir au son de la flûte de Mercure. Mais la plus curieuse est celle où Mercure vient de couper la tète d'Argus, qui est rei^ésenté avec des yeux sur son corps (fig. 48). On voit la vache lo qui s'échappe, piquée par un taon, tandis que le paon, consacré à Junon, est perché sur un arbre.
En effet, la colère de l'implacable déesse redoublant contre la malheureuse lo, elle lui envoya une furie qui, sous la forme d'un taon. h,u-
JUPITER ET JUNON.
cclaitsans cesse sa victime et, jetant répoiivaiite dans son cœur, la fit fuir jiis([u'au bout (le la terre; lo arriva ainsi sui' les bords du Nil, où elle tomba de fatigue et d"éj)uisemenl. .Iii]»iler alors se décida à prendre le parti pai'le(|uel il aurait du conuuencer : il demanda ]»ardon à sa femme et obtint que la malheureuse lo ne serait plus tourmentée. Junon exigea seulement que la nymphe ne reparût plus en Grèce, et qu'elle se fixât en
Fig. 47. — Mercure endormant Argus (d'après une pierre gravée antique).
Egypte où elle reçut les honneurs divins sous le nom d'Isis. Cette opinion des Grecs vient probablement de ce que la déesse Isis a une vache pour emblème, et comme ils voyaient partout leurs propres divinités, il associaient volontiers leurs légendes à celles des peuples voisins.
Les statues d'Isis grecque ne sont pas rares : les draperies noires lui
Fig. 48. — Mercure tuant Argus (d'après une pierre gravée antique.)
étaient propres, mais ce qui la caractérise très-souvent, suivant une remarque de Winkelmann, c'est le nœud qui réunit sur la poitrine les bouts du manteau égyptien à franges.
La métamorphose de la nymphe lo et surtout l'histoire de Mercure et Argus fontle sujet de représentations assez fréquentesdansl'art moderne. Le Titien nous montre Junon au moment où elle découvre lo métamorphosée en vache. Rubens a répété [)lusieurs fois un tableau fameux de la galerie de Dresde, Mercure endormant Argus. Il a fait aussi une Junon transportant les yeux d'Argus sur la queue d'un paon. Velasquez a interprété à sa façon l'histoire d'Argus et de Mercure. Argus est un jeune berger espagnol, qui vient de s'endormir au son de la llùte de Mercure : celui-ci s'approche avec précaution pour lui couper la tète, tandis
LA REINE DU CIEL.
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que lo, sous la lorine de génisse où Jupiter l'a cachée, attend a\ec impassibilité ce qui va advenir de tout ceci. — Ce fut avec un tableau représentant Mercure qui coupe la tète d'Argus que François de Troy fut reçu membre de l'Académie de peinture en 1674.
Les enfants de Junon. — Junon a eu quatre enfants ; Mars et \dl-cain sont deux grandes divinités auxquelles nous devons consacrer un chapitre spécial, mais il faut dire ici quelques mots de ses do[\\ filles Hébé et Ilithyie. Hébé.qui devint l'épouse d'Hercule quand ce héros fut
Fig. 4'J. — Hébé caressant l'aigle de Jupiter (d'après une pierre gravée anticiue)
déifié, est la jeunesse personnifiée. Sa mission dans l'Olympe est de verser le nectar aux dieux heureux, qui passent leur vie dans les festins et ne sont point sujets aux maladies. Dans les bas-reliefs antiques, Hébé apparaît sous la forme d'une jeune fille. Une jolie pierre gravée la montre caressant l'aigle de Jupiter (fig. 49).
Canova a représenté la déesse de la jeunesse, légère, svelte, ra\on-nante de grâce et d'élégance, qui, s'abandonnant au mouvement de l'air prêt à l'emporter et s'élançant dans l'espace comme une vision céleste, sourit en levant le bras pour verser la liqueur. L'Hébé de Tlior-valdsen est dans une attitude plus calme et par conséquent plus conforme à l'esprit de l'antiquité (fig. 50).
C'est cependant pour une question d'attitude qu'Hébé a dû se démettre de ses fonctions dans l'Olympe. En effet, ayant fait un faux pas dans la salle du banquet des dieux, elle tomba de manière que la pudeur de Minerve en fut alarmée. Pour éviter le retour d'un pareil événement, on décida qu'Hébé ne servirait plus à table, et c'est a cette occasion que Jupiter envoya son aigle enlever Ganymède, qui a partir de ce moment lui servit d'échanson. Au reste, Hébé fut dédommagée, car elle épousa Hercule après ra[>otbéose de ce héros.
JUPITER ET JUNUN.
Ilébé représenter donc à proprement parler la fiUo nubile; la seconde tille de la déesse du niariajie est \\\W\\\(i,\accoucheuse. Divinité toujours vierge et qui jamais ne voulut recevoir aucun hommage ; Uithyie consacre tous ses moments à venir en aide aux femmes dans le travail pénible de Tenfantement. Son nom est de bon augure, et quand on l'appelle trois fois, il est rare qu'on n'obtienne pas son assistance.
Fig. 50. — Hcbé (d'après la statue de liiorvaldsen}.
La manière dont on invoquait la déesse nous a été conservée dans diverses pièces de l'anthologie grecque : « De nouveau, Ilthyie, à la voix de Lycenis qui t'appelle, viens ici prompte et secourable, procure-lui encore une couche heureuse. Elle t'offre aujourd'hui cet hommage pour une fille ; mais, pour un fils, ce temple parfumé recevra un jour une bien autre offrande. »
L'anthologie nous présente encore un exemple de remerciements : « Après sa couche, Ambroisie, qui a échappé à d'amères douleurs, dépose à tes pieds glorieux, Ilithyic, les bandelettes de ses cheveux et le voile dans lequel, après dix mois de grossesse, elle est accouchée de deux jumeaux. »