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Ces fictions provenaient du dégoût pour le labeur pénible et coercitif d’autrefois.

Mais bientôt les hommes réalisèrent que le travail c’était le bonheur, de même que la lutte incessante avec la nature, les obstacles à surmonter, la contribution incessante au développement de la science et de l’économie. Le travail à plein rendement, mais un travail créatgur, correspondant aux aptitudes et aux goûts innés, multiforme et diversifié de temps à autre — voilà ce qu’il fallait à l’homme. Le développement de la cybernétique, science de l’autorégulation, une instruction poussée, une haute intellectualité, une bonne éducation physique de chaque individu permirent aux gens de changer de spécialité, d’apprendre rapidement d’autres professions et de varier à l’infini leur activité laborieuse en y trouvant de plus en plus de satisfaction. La science, dans son expansion croissante, embrassa toute la vie humaine, et la joie de percer les mystères de la nature devint accessible à une multitude de personnes. L’art assuma un rôle de premier ordre dans l’éducation sociale. Ce fut l’avènement de l’ETG, l’Ere du Travail Général, la plus magnifique de l’histoire de l’humanité, comprenant les siècles de la Simplification des choses, de la Réorganisation, de la Première Abondance et du Cosmos.

La condensation de l’électricité, qui aboutit à la création d’accumulateurs de grande capacité et de moteurs électriques de dimensions réduites, révolutionna la technique des temps modernes. On avait réussi antérieurement, au moyen de semiconducteurs, à tisser des réseaux complexes de courants de basse tension et à construire des automates. La technique amenée à la finesse et à la précision de la joaillerie asservit les puissances de grandeur cosmique.

Mais la nécessité de satisfaire chacun au maximum fit simplifier considérablement la vie domestique. L’homme cessa d’être l’esclave des objets, et l’élaboration de standards détaillés permit de créer n’importe quels articles et mécanismes avec un nombre minime d’éléments, de même que les multiples espèces d’organismes vivants sont constituées par des cellules peu variées, la cellule par les albumines, les albumines par les protéides, etc. Le gaspillage de la nourriture était jadis si fantastique, qu’on put économiser dessus sans nuire à la santé d’une population accrue de plusieurs milliards d’habitants.

Les forces dépensées à la fabrication des engins de guerre, à l’entretien d’armées nombreuses qui ne faisaient aucun travail utile, à la propagande politique et au trompe-l’œil, servirent à organiser la vie et à développer les sciences…

Sur un signe de Véda Kong, Dar Véter appuya sur un bouton, et un globe terrestre apparut près de la belle conférencière.

— Nous avons commencé, poursuivit-elle, par modifier complètement la répartition des zones habitables et industrielles de la planète…

Les bandes brunes du globe, qui longent les trentièmes degrés de latitude nord et sud, présentent une suite ininterrompue de localités urbaines, situées au bord des mers dans les régions au climat doux. On ne prodigue plus l’énergie à chauffer les demeures pendant l’hiver et à confectionner des vêtements lourds. La population la plus dense est concentrée sur le littoral méditerranéen, berceau de la civilisation. La largeur de la zone subtropicale a triplé depuis la fonte artificielle des glaces polaires. Au nord de cette zone, s’étendent de vastes régions de prairies et de steppes où pâturent d’innombrables troupeaux. La production des aliments végétaux et du bois a été concentrée dans les tropiques où elle est infiniment plus avantageuse que dans les régions froides. Il y a longtemps déjà que la synthèse des hydrates de carbone — sucres obtenus à partir de la lumière solaire et de l’acide carbonique — a dispensé l’agriculture de nous fournir toutes les denrées alimentaires, comme elle le faisait dans le temps. La fabrication des sucres, des graisses et des vitamines est pratiquement illimitée. Rien que pour l’extraction des albumines, il y a de vastes champs de plantes terrestres et d’algues. L’humanité est débarrassée à jamais de la peur de la famine, qui avait régné sur le monde durant des dizaines de millénaires.

L’une des plus grandes joies de l’homme, c’est le goût des voyages, hérité de nos ancêtres chasseurs, qui pérégrinaient en quête de leur maigre pitance. De nos jours, la planète est ceinte de la Voie Spirale, qui relie par des ponts immenses tous les continents.

Véda indiqua du doigt une ligne d’argent et tourna le globe.

Elle est parcourue sans cesse par les trains électriques, et des centaines de milliers de gens peuvent passer très rapidement de la zone habitable dans les régions steppiques, champêtres, montagneuses, forestières.

L’organisation planifiée de la vie a mis fin à la terrible course de vitesse, à la fabrication de moyens de transport de plus en plus rapides. Les trains de la Voie Spirale font deux cents kilomètres à l’heure, les véhicules des ramifications latérales, encore moins. On n’utilise que rarement les aéronefs express qui franchissent en une heure des milliers de kilomètres. Il y a quelques centaines d’années, nous avons sensiblement amélioré l’aspect de notre planète. Dès le siècle de la Scission, on a découvert l’énergie atomique et appris à en dégager une part infime pour la transformer en chaleur, avec radiations résiduelles nocives. Le danger qu’elle présentait pour la vie de la planète se fit bientôt sentir et posa des lumites étroites à l’ancienne énergétique nucléaire. Presque en même temps, les astronomes découvrirent par l’étude de la physique des étoiles lointaines, deux nouvelles méthodes pour obtenir de l’énergie atomique — Q et F — beaucoup plus efficaces et ne laissant aucun produit dangereux de désintégration.

Nous employons toujours ces deux méthodes, mais pour les moteurs des astronefs on utilise une autre forme d’énergie nucléaire, l’anaméson, qu’on a connu en observant les grandes étoiles de la Galaxie par le Grand Anneau.

Tous les anciens stocks de matériaux nucléaires, isotopes radio-actifs de l’uranium, du thorium, de l’hydrogène, du cobalt, du lithium, furent détruits dès qu’on eut trouvé le moyen d’expulser les produits de leur désintégration hors de l’atmosphère terrestre.

Au siècle de la Réorganisation, on fit des soleils artificiels «suspendus» au-dessus des régions polaires. En réduisant les champs de glace qui s’étaient constitués aux pôles à l’époque quaternaire, nous avons transformé le climat de la planète. Le niveau des océans s’est élevé de sept mètres, les fronts polaires ont nettement diminué dans la circulation atmosphérique, les alizés qui desséchaient les déserts en bordure des tropiques se sont affaiblis. Les ouragans et les autres troubles météoriques violents ont presque entièrement cessé.

Les steppes chaudes ont atteint les soixantièmes parallèles, tandis que les prés et les bois de la zone tempérée ont franchi 70° de latitude.

L’Antarctide aux trois quarts libérée des glaces est devenue le trésor minier de l’humanité: elle avait gardé intactes les richesses du sous-sol, très appauvries ailleurs par suite de la dispersion insensée des métaux dans les guerres mondiales. C’est l’Antarctide qui permit d’aménager la Voie Spirale.

Dès avant la transformation des climats, on avait creusé d’immenses canaux et fendu les chaînes de montagnes pour équilibrer la circulation des eaux et de l’air. Des pompes diélectriques perpétuelles ont assuré l’irrigation des terres, y compris les hauts plateaux désertiques de l’Asie.

Les possibilités de l’industrie alimentaire se sont multipliées, de nouveaux territoires ont été. rendus habitables.

Les anciens vaisseaux planétaires, si dangereux et fragiles qu’ils fussent, ont néanmoins ouvert l’accès des plus proches planètes de notre système. Une ceinture de satellites artificiels, d’où les hommes ont étudié de près le Cosmos, a entouré la Terre. Là-dessus, il y a quatre cent huit ans, est arrivé un événement qui a inauguré une ère nouvelle dans l’existence de l’humanité, l’Ere du Grand Anneau ou EGA.