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Key Baer et Eon Tal, qui se trouvaient à la limite de la zone éclairée, suivirent le chef avec les mêmes arrêts lents, en proie à une lutte intérieure. Là-bas, à la porte d’obscurité voilée de brouillard, une forme remua, incompréhensible et d’autant plus effrayante. Ce n’était pas une méduse, mais une large croix portant au milieu une ellipse en relief. Au sommet et à l’extrémité des bras il y avait des lentilles qui brillaient à la lumière du projecteur estompée par la brume. La base de la croix plongeait dans l’ombre d’une dépression de terrain.

Erg Noor, pressant l’allure, s’approcha d’une centaine de mètres de cet objet bizarre et tomba. Avant que ses compagnons stupéfaits eussent réalisé qu’il y allait de la vie de leur chef, la croix noire domina les câbles électriques et se pencha comme la tige d’une plante, évidemment dans l’intention d’atteindre sa victime par-dessus le champ protecteur.

D’un effort suprême, Niza bondit vers le robot et tourna les manettes de commande. L’automate leva le burin lentement, comme s’il hésitait. Alors, désespérant de conduire cette machine complexe, elle se précipita en avant pour couvrir Erg Noor de son corps. Des serpentins lumineux jaillirent du monstre. La jeune fille tomba sur Erg Noor, les bras ouverts. Heureusement, le robot avait pointé son burin sur le centre de la croix. Celle-ci se cambra, comme si elle se renversait en arrière, et disparut dans l’ombre opaque, au pied des rochers. Erg Noor et ses deux camarades, qui avaient repris connaissance, relevèrent Niza et battirent en retraite pour s’abriter derrière le disque, Les autres, revenus de leur stupeur, amenaient déjà un moteur planétaire converti en canon, Erg Noor, pris d’une rage qu’il ne se connaissait pas, dirigea les émanations sur les gorges rocheuses, balayant toute la plaine et soucieux de ne pas manquer un mètre carré de terrain. Eon Tal, à genoux devant la jeune fille, l’interrogeait doucement au téléphone et la dévisageait à travers la silicolle du casque. Elle gisait immobile, les yeux fermés. Le biologiste ne percevait pas le moindre souffle.

— Le monstre l’a tuée! s’écria-t-il, consterné, à la vue d’Erg Noor qui l’avait rejoint. On ne pouvait distinguer les yeux du chef dans l’étroite fente visuelle du casque de protection supérieure.

— Transportez-la vite à bord de la Tantra, auprès de Louma. Les notes métalliques vibraient plus distinctes que jamais dans la voix d’Erg Noor. Aidez le médecin à déterminer la nature du mal… Nous autres, nous restons ici afin de terminer l’exploration. Que le géologue vous accompagne pour ramasser en chemin les échantillons de roche: impossible de s’attarder sur cette planète! Les recherches ne peuvent être effectuées que dans des tanks de protection supérieure. Sans eux, nous exposons l’équipage à un risque inutile. Prenez un troisième chariot et hâtez-vous i

Erg Noor fit volte-face et partit vers l’astronef discoïde. On plaça le «canon» à l’avant-poste. L’ingénieur-mécanicien qui le desservait, allumait le jet de feu toutes les dix minutes et le promenait en arc de cercle, jusqu’au bord du disque. Le robot appliqua le burin contre l’arête de la deuxième spire extérieure du colimaçon qui se trouvait à la hauteur de sa poitrine.

Le grondement sonore traversa les scaphandres de protection supérieure. L’enduit vert se couvrit de minces fissures sinueuses. Des morceaux de cette substance solide heurtaient avec bruit le corps métallique de l’automate. Les mouvements latéraux du burin détachèrent toute une plaque et mirent à nu une surface granuleuse, dont l’azur vif était agréable, même à la lumière du projecteur. Après que le robot eut décapé un carré assez large pour le passage d’un scaphandrier, Key lui fit pratiquer dans le métal bleu une rainure profonde qui ne traversa pourtant pas toute son épaisseur. L’automate traça une seconde ligne formant angle avec la première, et imprima à l’outil un mouvement de va-et-vient, en augmentant la tension. L’entaille dépassa un mètre de profondeur. Quand le troisième côté du carré fut tracé, les lèvres des incisions commencèrent à s’écarter en se retroussant.

— Attention, reculez, tout le monde à plat ventre! hurla Erg Noor au microphone, en débranchant le robot et s’éloi-gnant d’un bond. L’épais fragment de métal se replia soudain, comme le couvercle d’une boîte de conserves. Une flamme éblouissante, irisée, jaillit du trou, suivant la tangente à la spirale. Cette déviation, ainsi que la fonte du métal bleu qui reboucha aussitôt le trou, sauvèrent les explorateurs. Il ne restait du puissant robot qu’une masse informe d’où sortaient piteusement deux jambes courtes. Erg Noor et Key Baer devaient leur salut aux scaphandres. L’explosion avait rejeté les deux hommes loin de l’engin, dispersé les autres, culbuté le «canon» et rompu les câbles électriques.

Revenus de la commotion, les astronautes se virent sans défense. Heureusement, ils se trouvaient dans la clarté du projecteur. Personne n’avait souffert, mais Erg Noor jugea que c’en était assez. Abandonnant les instruments désormais inutiles, les câbles et le projecteur, ils montèrent sur le chariot intact et revinrent en hâte vers la Tantra.

… L’heureux concours de circonstances lors du forage imprudent du disque n’était pas dû à la prévoyance du chef. Une autre tentative aurait donné des résultats beaucoup plus funestes… et Niza, la chère astronavigatrice, qu’avait-elle?… Erg Noor espérait que le scaphandre avait affaibli le pouvoir meurtrier de la croix noire. Le contact de la méduse n’avait pourtant pas tué le biologiste… Mais pourrait-on combattre ici, loin des instituts médicaux de la Terre, l’effet de l’arme inconnue?…

Dans la cabine intermédiaire, Key Baer s’approcha du chef et montra la partie postérieure de son épaulière gauche. Erg Noor se tourna vers les miroirs, attributs indispensables des cabines, qui permettaient aux gens de s’inspecter au retour de l’exploration d’un monde étranger. La mince feuille de l’épaulière en alliage de zirconium et de titane était fendue. Un morceau de métal bleu ciel avait pénétré dans la doublure isolante, sans avoir percé la couche intérieure du scaphandre. On eut bien de la peine à l’extraire. C’était donc au prix d’un danger sérieux et tout à fait par hasard, en somme, qu’on rapporterait sur la Terre un échantillon de l’astronef discoïde.

Erg Noor, débarrassé du scaphandre mais toujours accablé par l’attraction de la terrible planète, put enfin rentrer cahin-caha dans son astronef.

Tous les membres de l’équipage l’accueillirent avec joie. Ils avaient observé la catastrophe aux stéréovisotéléphones et jugeaient superflu de poser des questions.

CHAPITRE IV

LE FLEUVE DU TEMPS

Véda Kong et Dar Véter se tenaient sur la plate-forme d’un vissoptère qui survolait lentement la steppe infinie. La brise faisait courir de grandes ondes sur l’herbe drue, émaillée de fleurs. Au loin, à gauche, on apercevait un troupeau de bestiaux noirs et blancs, descendants de métis obtenus en croisant des yacks, des vaches et des buffles.

Les collines basses, les rivières calmes aux larges vallées, tout respirait la paix et la liberté dans ce secteur du globe terrestre qui s’appelait jadis la région de Khanty-Mansiisk.

Dar Véter contemplait d’un air songeur ces terrains autrefois couverts de mornes marécages et de bois chétifs du Nord sibérien. Il revoyait en pensée un tableau de peintre ancien, qui lui avait laissé depuis l’enfance une impression ineffaçable. Sur un promontoire contourné par la boucle d’un grand fleuve se dresse une chapelle solitaire en bois, toute grise et croulante de vieillesse, qui semble regarder avec mélancolie l’immensité des champs et des prés. La croix mince de la coupole se profile sous les nuages bas. Dans le petit cimetière, un bouquet de bouleaux et de saules ploie sous le vent ses cimes échevelées. Les branches touchent presque les croix vermoulues, renversées par le temps et les rafales dans l’herbe humide. Au-delà du fleuve, se chevauchent des nuées gris violet, compactes comme des roches. Le cours d’eau brille d’un éclat froid. Le sol est détrempé par une de ces pluies tenaces, propres aux automnes moroses des latitudes septentrionales. Et toute la gamme de tons neutres du tableau évoque l’étendue de terres inhospitalières, où l’homme souffre du froid et de la faim, où s’accentue la sensation d’isolement, si caractéristique en ces temps de déraison.