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De nouveau l’astronef faisait le tour de Zirda, mais d’un pôle à l’autre. Çà et là, surtout aux latitudes moyennes, apparaissaient de vastes zones de sol dénudé. Un brouillard jaune y flottait, à travers lequel on entrevoyait de hautes dunes de sable rouge, échevelées par le vent…

Plus loin, c’étaient encore les suaires de pavots noirs, les seules plantes qui eussent résisté à la radio-activité ou donné sous son influence une mutation viable.

Tout était clair. Il eût été vain, dangereux même, de rechercher parmi les ruines l’anaméson, carburant importé des autres mondes à l’usage des explorateurs par recommandation du Grand Anneau (Zirda n’avait pas encore d’astronefs, mais seulement des vaisseaux planétaires). La Tantra déroula lentement la spirale de son vol en sens inverse, pour s’éloigner de la planète. Accélérant au moyen de ses moteurs ioniques planétaires, utilisés pour les voyages interplanétaires, les envols et les atterrissages, le vaisseau sortit du champ de gravitation de la planète morte. On mit le cap sur un système inhabité, désigné par un chiffre conventionnel, où on avait lancé les phares à bombes et où devait attendre L’Algrab. Les moteurs à anaméson furent embrayés. En cinquante-deux heures, leur force imprima au vaisseau sa vitesse normale de neuf cents millions de kilomètres à l’heure. Il restait jusqu’au point de rendez-vous quinze mois de trajet, onze au temps dépendant du vaisseau. Tout l’équipage, sauf le groupe de service, pouvait sombrer dans le sommeil. Mais la discussion, les calculs et la préparation du rapport au Conseil prirent tout un mois. Les textes des annuaires consacrés à Zirda mentionnaient des expériences hasardeuses avec des carburants atomiques à désintégration partielle. On y trouva des discours de savants émérites qui signalaient des symptômes d’influences nuisibles à la vie et insistaient sur la cessation des expériences. Cent dix-huit ans plus tôt, on avait envoyé par le Grand Anneau un bref avertissement qui aurait suffi à convaincre les esprits éclairés, mais n’avait pas été pris au sérieux par le gouvernement de Zirda.

Plus de doutes que la planète avait péri à cause d’émanations nuisibles, accumulées au cours de nombreux essais imprudents et de l’emploi inconsidéré de formes dangereuses d’énergie nucléaire…

L’énigme est déchiffrée depuis longtemps; l’équipage a passé, deux fois déjà d’un sommeil de trois mois à une vie active de même durée.

Et voici plusieurs jours que la Tantra décrit des cercles ftlitour de la planète grise, et l’espoir de rencontrer L’Algrab diminue d’heure en heure. Cela ne présage rien de bon…

Erg Noor, arrêté sur le seuil, regarde Niza pensive, dont la chevelure abondante ressemble à une belle fleur d’or… Un profil espiègle et garçonnier, des yeux un peu bridés, souvent cligniés dans un rire intérieur, grands ouverts maintenant et scruttant l’inconnu… avec anxiété et courage! La petite ne se rend pas compte du soutien moral qu’elle prête à Noor par son amour dévoué. A cet homme qui, malgré, sa volonté trempée par de longues années d’épreuves, est parfois las d’être un chef toujours prêt à répondre de ses hommes, du vaisseau, du succès de l’expédition. Là-bas, sur la Terre, il n’y a plus guère de responsabilité personnelle: les décisions y sont prises par toute l’équipe chargée d’exécuter le travail. En cas d’imprévu, on est sûr de recevoir aussitôt le conseil le plus compétent, la consultation la plus détaillée. Tandis qu’ici, où il n’y a pas de conseils à prendre, le Commandant est investi de pouvoirs extraordinaires. Il eût mieux valu que cette responsabilité durât deux ou trois ans, et non pas de dix à quinze, délai moyen d’une expédition stellaire.

Il pénétra, dans le poste central. Niza se leva en sursaut,

— J’ai choisi les matériaux et les cartes nécessaires, dit Erg Noor. Nous allons faire travailler la machine à plein rendement!

Allongé dans le fauteuil, il tournait lentement les feuillets métalliques, en indiquant les chiffres des coordonnées, l’intensité des champs de gravitation, la puissance des flux de parcelles cosmiques, la vitesse et la densité des courants météoriques. Niza, concentrée, ramassée sur elle-même, appuyait sur les boutons et tournait les interrupteurs de la machine à calculer. Erg reçut une série de réponses et réfléchit, les sourcils froncés.

— Nous avons sur notre passage un champ de gravitation puissant: l’amas de matière opaque dans le Scorpion, près de l’étoile 6555-ZR+11-PCU, reprit Noor. Pour économiser le carburant, il faut obliquer par là, vers le Serpent… Autrefois on volait sans moteurs, utilisant en guise d’accélérateurs la périphérie des champs de gravitation…

— Pouvons-nous recourir à ce moyen? s’enquit Niza.

— Non, car nos astronefs sont trop rapides. La vitesse de 56 de l’unité absolue, soit 250 000 kilomètres par seconde, augmenterait de 12 fois notre poids dans le champ d’attraction terrestre et nous réduirait donc en poussière. Nous ne pouvons voler ainsi que dans l’espace du Cosmos, loin des grandes accumulations de matière. Dès que le vaisseau pénètre dans le champ de gravitation, il faut ralentir d’autant plus que ce champ est plus puissant.

— Mais il y a contradiction, Niza appuya d’un geste enfantin sa tête sur sa main, plus le champ d’attraction est fort, plus on doit voler lentement!

— Ce n’est vrai que pour les très grandes vitesses, proches de celle de la lumière, qui font que le vaisseau, tel un rayon lumineux, avance en ligne droite ou suivant une courbe dite d’égales intensités.

— Si j’ai bien compris, vous voulez diriger notre astronef droit sur le système solaire?

— C’est là la grosse difficulté de la navigation astrale. II est pratiquement impossible de viser telle ou telle étoile, malgré toutes les corrections apportées aux calculs. Il faut escompter sans cesse l’erreur qui s’accroît en cours de route et changer de direction en conséquence, ce qui exclût l’automatisation absolue de la commande. En ce moment, nous sommes dans une mauvaise passe. Un arrêt, voire un ralentissement brusque après l’élan, serait fatal, car nous n’aurions plus de quoi reprendre de la vitesse. Tenez, le voilà le danger: la région 344 + 2U est inexplorée. On n’y connaît ni étoiles ni planètes habitées, mais seulement un champ de gravitation, dont voici la limite. Pour nous décider, consultons les astronomes: nous réveillerons tout le monde après le cinquième tour, et en attendant…

Erg Noor se frotta les tempes et bâilla.

— L’action de la sporamine touche à sa fin, s’écria Niza. Vous pouvez vous reposer!

— Bien, je vais m’installer dans ce fauteuil… Peut-être y aura-t-il un miracle, ne serait-ce qu’un son!

L’accent d’Erg Noor fit palpiter de tendresse le cœur de Niza. Elle aurait voulu presser contre sa poitrine cette tête volontaire et caresser ces cheveux bruns, mêlés de fils d’argent précoces.

La jeune fille se leva, rangea avec soin les feuillets documentaires et éteignit, ne laissant qu’un faible éclairage vert le long des pupitres qui supportaient les appareils et les montres. Le vaisseau décrivait paisiblement son cercle immense dans le vide absolu. L’astronavigatrice aux cheveux roux se posta en silence au «cerveau» de la Tantra. Les appareils chantaient en sourdine. La mélodie se poursuivait, douce et harmonieuse, témoignant du bon état des mécanismes, car le moindre accroc y eût provoqué une fausse note. De temps à autre, se répétaient des coups discrets, pareils à ceux d’un gong: c’était le moteur planétaire qui se mettait en marche pour incurver la trajectoire de l’astronef. Les formidables moteurs anamésoniens se taisaient. La paix nocturne régnait dans le vaisseau endormi, comme si aucun danger sérieux ne menaçait la Tantra et son équipage. Tout à l’heure, les signaux si impatiemment attendus vont résonner dans le haut-parleur, les deux astronefs freineront leur vol impétueux, se rapprocheront sur des routes parallèles et finiront par égaliser leurs vitesses pour voguer côte à côte. Une large galerie tubulaire les reliera, et l’astronef recouvrera sa force gigantesque..?