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Le satellite 57 transmit l’objection des savants de l’astronef à l’observatoire du Conseil.

Vint enfin l’instant si impatiemment attendu par Ingrid Ditra, Key Baer et les autres membres de l’équipage. La Tantra avait ralenti, passé la ceinture de glace du système solaire, et s’approchait de la station astronautique de Triton. La vitesse de neuf cent millions de kilomètres à l’heure n’était plus nécessaire: de Triton, satellite de Neptune, la Tantra aurait atteint la Terre en moins de cinq heures, mais la force de son élan lui aurait fait dépasser le Soleil et l’en aurait éloignée à une distance considérable.

Pour économiser le précieux anaméson et dispenser les vaisseaux d’un équipement encombrant, on volait à l’intérieur du système sur des planétonefs ioniques. Leur vitesse ne dépassait pas huit cent mille kilomètres à l’heure pour les planètes proches du Soleil et deux millions et demi pour les plus lointaines. Un voyage ordinaire de Neptune à la Terre prenait de deux à trois mois.

Triton, presque aussi volumineux que les gigantesques satellites de Jupiter — Ganymède et Callisto — et que la planète Mercure, possède une mince couche atmosphérique, composée essentiellement d’azote et d’acide carbonique.

Erg Noor atterrit au pôle du satellite, à une certaine distance des larges dômes de la station. Les verrières du sanatorium de quarantaine scintillaient sur un plateau, au bord d’une falaise creusée de souterrains. C’est là que les voyageurs devaient passer cinq semaines dans l’isolement. Pendant ce délai, des médecins examineraient- leur corps où une infection pouvait s’être introduite. Le danger était trop sérieux pour qu’on le négligeât. Aussi, toute personne ayant atterri sur d’autres planètes, même inhabitées, devait-elle passer par là, quelle qu’eût été la durée de son séjour à bord de l’astronef. Le vaisseau était également inspecté par des spécialistes, avant que la station l’autorisât à gagner la Terre. Pour les planètes explorées de longue date, comme Vénus, Mars et quelques astéroïdes, la quarantaine avait lieu à leurs stations avant l’envol…

La réclusion au sanatorium était plus douce que dans l’astronef. Laboratoire d’étude, salles de concerts, bains combinés d’électricité, de musique, d’eau et de vibrations, promenades quotidiennes en scaphandres légers dans les montagnes et les environs… Enfin, on était en contact avec la planète natale, un contact pas toujours régulier, il est vrai, mais les messages ne mettaient que cinq heures à parvenir à la Terre!

Le sarcophage de Niza fut transporté au sanatorium avec de grandes précautions. Erg Noor et le biologiste Eon Tal quittèrent la Tantra les derniers. Ils marchaient lestement et portaient même des alourdisseurs, pour éviter de faire des bonds subits à cause de la faible force de pesanteur de Triton.

Les feux du terrain d’atterrissage s’étaignirent. Le satellite passait du côté éclairé de Neptune. Si pâle que fût la lumière reflétée du Soleil, le miroir de l’immense planète qui se trouvait seulement à trois cent cinquante mille kilomètres, dissipait les ténèbres et créait une pénombre pareille au crépuscule prin-tanier du nord de la Terre. Triton faisait le tour de Neptune dans le sens inverse de la rotation de sa planète, de l’est à l’ouest, en six journées terrestres à peu près, et son crépuscule du «jour» durait environ soixante-dix heures. Entre-temps, Neptune tournait quatre fois autour de son axe, et l’on voyait nettement l’ombre du satellite glisser sur son disque blafard.

Erg Noor et le biologiste aperçurent un petit vaisseau posé loin du bord du plateau. Ce n’était pas un astronef à l’arrière renflé et à grandes crêtes d’équilibre. Avec son avant aigu et son corps effilé, il ressemblait à une planétonef, mais s’en distinguait par un gros anneau à l’arrière et une haute superstructure fuselée.

— II y a donc un autre vaisseau en quarantaine? fit Eon Tal sur un ton interrogateur. Le Conseil aurait-il dérogé à la règle?

— De ne jamais envoyer une expédition astrale avant le retour des précédentes? enchaîna Erg Noor. En effet, notre absence ne s’est pas prolongée outre mesure, mais le message que nous devions lancer de Zirda est en retard de deux ans…

— C’est peut-être une expédition pour Neptune? supposa le biologiste. Ils franchirent les deux kilomètres qui les séparaient du sanatorium et montèrent sur une vaste terrasse revêtue de basalte rouge. L’étoile la plus brillante du ciel noir était le disque minuscule du Soleif, bien visible du pôle du satellite. Le froid terrible — cent soixante-dix degrés au-dessous de zéro — se sentait à travers le scaphandre chauffé, comme les rigueurs d’un hiver terrestre. De gros flocons d’ammoniaque ou d’acide carbonique congelés tombaient lentement dans l’atmosphère immobile, prêtant aux alentours la quiétude d’un paysage enneige.

Erg Noor et son compagnon suivaient du regard la chute des flocons, ainsi que le faisaient autrefois leurs ancêtres des zones tempérées, pour qui l’apparition de la neige marquait la fin des travaux agricoles. Cette neige inaccoutumée annonçait également la fin de leur labeur et de leur voyage.

Sous l’impulsion de ses sentiments subconscients, le biologiste tendit la main au chef:

— Nous voilà sortis sains et saufs de nos aventures, grâce à vous!

Erg Noor protesta violemment du geste. — Sommes-nous tous sains et saufs? A qui dois-je mon salut, moi?

Eon Tal ne se laissa pas déconcerter.

— Je suis sûr que Niza guérira! Les médecins d’ici veulent commencer tout de suite le traitement. Ils ont reçu les instructions de Grim Char en personne,directeur du laboratoire des paralysies totales…

— Sait-on ce qu’elle a?

— Pas encore. Mais il est clair qu’elle a été frappée par un de ces courants condensés dans les ganglions des systèmes autonomes. Si on trouve le moyen de neutraliser son effet prolongé, la jeune fille sera guérie. Nous avons bien découvert le mécanisme des paralysies psychiques persistantes qu’on avait si longtemps crues incurables. C’est là un mal analogue, mais causé par un agent externe. Quand on aura expérimenté mes prisonnières, vivantes ou non, moi aussi… je recouvrerai Tu-sage de mon bras!

La honte fit froncer les sourcils à Erg Noor. Dans son chagrin, il avait oublié le dévouement du biologiste. C’était indécent de la part d’un homme mûr. Il prit la main d’Eon Tal, et les deux savants exprimèrent leur sympathie réciproque par le geste viril adopté depuis l’antiquité.

— Vous pensez que les organes meurtriers des méduses noires et de cette… saleté cruciforme sont de même nature? s’enquit Erg Noor.

— J’en suis certain. Mon bras en est la preuve. Le stockage et la modification de l’énergie électrique résument l’adaptation vitale de ces êtres noirs qui habitent une planète riche en électricité. Ce sont évidemment des rapaces; quant à leurs victimes, nous les ignorons pour le moment.

— Rappelez-vous ce qui nous était arrivé, quand Niza…

— C’est autre chose. J’y ai beaucoup réfléchi. L’apparition de cette horrible croix s’accompagnait d’un infra-son très puissant qui a brisé notre volonté… Dans ce monde des ténèbres, les sons aussi sont noirs, inaudibles. Après avoir déprimé la conscience par l’infra-son, cet être agit par un hypnotisme plus fort que celui de nos grands serpents disparus, tels que l’ana-conda. Voilà ce qui a failli nous coûter la vie, n’eût été Niza…

Erg Noor regarda le Soleil lointain, qui éclairait à ce moment la Terre. Le Soleil qui fut l’espoir de l’homme dès son existence primitive dans l’implacable nature. Le Soleil, symbole de la force lumineuse de la raison, qui disperse les ténèbres et les monstres de la nuit. Et une douce lueur d’espérance l’éclai-ra jusqu’au bout du voyage.