CHAPITRE XII
LE CONSEIL D’ASTRONAUTIQUE
Le Conseil d’Astronautique, de même que le Conseil de l’Economie, cerveau de la planète, disposait d’un bâtiment à part pour ses réunions scientifiques. On estimait qu’un local aménagé et décoré spécialement à cet effet devait orienter toute l’assistance vers les problèmes du Cosmos et favoriser la transition rapide des affaires terrestres aux questions stellaires.
Tchara Nandi n’avait jamais été dans la grande salle du Conseil. Elle entra tout émue, en compagnie d’Eyda Nal, dans l’étrange amphithéâtre oblong dont la voûte et lensemble des gradins avaient la forme d’un paraboloïde. La lumière, vive et diaphane, semblait émise par un astre plus brillant que le soleil. Les lignes des murs, de la voûte et des gradins se rejoignaient au fond de la vaste salle, comme si c’était leur point de convergence naturelle. Là, sur une estrade, il y avait les écrans de démonstration, la tribune et les sièges des membres du Conseil qui présidaient la réunion.
Les panneaux des murs couleur d’or mat encadraient des cartes planétaires en relief. A droite, se trouvaient les cartes des planètes du système solaire; à gauche, celles des planètes d’étoiles proches, étudiées par les expéditions du Conseil. Plus haut, sous la retombée bleu ciel de la voûte, s’alignaient des schémas phosphorescents de systèmes stellaires habités, qu’on avait reçus de mondes voisins par le Grand Anneau.
L’attention de Tchara fut attirée par un tableau noirci et sans doute restauré à maintes reprises, qui surmontait la tribune. Un ciel violet sombre occupait toute la partie supérieure de l’immense toile. Le croissant mince d’une lune inconnue éclairait de sa lueur blafarde la poupe dressée d’un astronef ancien qui se détachait violemment sur le couchant pourpre. Le sol se hérissait de vilaines plantes bleues, sèches et dures, d’aspect métallique. Un homme en scaphandre léger cheminait péniblement sur le sable. Il se retournait vers l’astronef brisé et les cadavres de ses camarades. Les lunettes de son masque ne reflétaient que le rouge du couchant, mais l’artiste avait réussi, par un procédé mystérieux, à y rendre le désespoir infini de la solitude dans un monde étranger… A droite, sur une dune basse, rampait un être informe et répugnant. Le titre du tableau, Seul, était aussi laconique qu’expressif.
Captivée par cette peinture, la jeune fille n’apprécia pas tout de suite l’ingéniosité de l’architecte qui avait disposé les gradins en éventail, de sorte qu’on pouvait accéder séparément à chaque place par des galeries dissimulées sous l’amphithéâtre.
Les rangs des sièges étaient isolés les uns des autres. Une fois assise à côté d’Evda, Tchara remarqua le style ancien des fauteuils, des pupitres et des barrières en bois gris perle de l’Afrique. Personne ne se serait donné aujourd’hui tant de peine pour façonner ce qu’on pouvait mouler et polir en quelques minutes. Peut-être par respect traditionnel de l’antiquité, Tchara trouva le bois plus intime et plus vivant que la matière plastique. Elle caressa tendrement l’accoudoir incurvé, sans cesser d’examiner la salle.
Il y avait, comme toujours, beaucoup de monde malgré les puissants appareils de télévision qui allaient diffuser à travers la planète toutes les péripéties de la séance. Mir Om, secrétaire du Conseil, annonçait les nouvelles brèves qui s’étaient amassées depuis la dernière réunion. Parmi les centaines d’auditeurs, on n’apercevait pas un visage distrait. L’attention constituait le trait caractéristique des hommes du Grand Anneau. Mais Tchara n’entendit pas la première information, occupée qu’elle était à regarder la salle et à lire les aphorismes des savants célèbres inscrits sous les cartes de planètes. Elle goûta surtout l’appel tracé au-dessous de Jupiter: Voyez tous ces faits incompréhensibles qui nous entourent, qui sautent aux yeux et crient à nos oreilles, cependant que nous restons aveugles et sourds aux grandes découvertes qu’ils recèlent. Et plus loin, à gauche, cette autre inscription: On ne peut soulever simplement le voile de l’inconnu, c’est après un travail opiniâtre, après des réculs et des déviations, que nous commençons à saisir le sens véritable des choses et que des perspectives immenses s’ouvrent à nous. N’éludez jamais ce qui semble à première vue inutile, inexplicable.
Un mouvement à la tribune, la lumière baissa. La voix calme du secrétaire tressaillit d’émotion.
— Vous allez voir ce qui paraissait récemment impossible: un cliché montrant l’aspect extérieur de notre Galaxie. Il y a plus de cent cinquante millénaires, une minute et demie du temps galactique, les habitants du système planétaire (vint une série de chiffres qui ne disaient rien à Tchara) de la constellation du Centaure s’adressèrent aux habitants /lu Grand Nuage, le seul système stellaire voisin situé en dehors de la Galaxie, dont nous sachions qu’il contient des mondes pensants, capables de communiquer avec notre Galaxie par l’Anneau. Nous ne pouvons pas encore situer exactement ce système planétaire du Nuage, mais nous avons reçu, nous aussi, leur cliché de la Galaxie. Le voilà!
Le vaste écran renvoya la clarté d’argent d’un large amas d’étoiles, rétréci aux deux bouts. Les ténèbres profondes de l’espace noyaient les bords de l’écran. Un noir aussi opaque remplissait les intervalles des spires, des branches échevelées à leurs extrémités. L’anneau des amas sphériques, doyens des systèmes planétaires de notre Univers, s’auréolait d’un nimbe pâle. Les champs stellaires plats alternaient avec des nuages et des bandes sombres de matière refroidie. Le cliché avait été pris sous un angle inexpressif: la Galaxie se présentait de biais et par en dessus, de sorte que le noyau central se voyait à peine masse lumineuse convexe au milieu de l’étroite lentille. Pour avoir une idée plus complète de notre système stellaire, il fallait sans doute solliciter des galaxies plus lointaines, situées plus haut suivant la latitude galactique. Mais aucune d’entre elles n’avait donné signe de vie depuis l’existence du Grand Anneau.
Les nommes de la Terre ne détachaient pas les yeux de l’écran. C’était la première fois qu’on avait la possibilité de regarder son propre Univers de l’extérieur, à une distance formidable.
Tchara eut l’impression que toute la planète retenait son souffle, examinant sa Galaxie dans les millions de téléviseurs des terres et des mers, partout où il y avait des îlots de vie et de travail humains.
— C’est tout pour les nouvelles inédites de l’Anneau reçues par notre observatoire, reprit le secrétaire. Passons maintenant aux projets à débattre en public.
Proposition de Iouta Gai de créer sur Mars une atmosphère respirable, en extrayant des gaz légers des roches au moyen de dispositifs automatiques. Elle mérite l’attention, étant fondée sur des calculs sérieux. On obtiendra un air respirable et offrant une isolation thermique suffisante pour dispenser nos cités marsiennes des serres qui les abritent.