Pour résoudre les problèmes et utiliser les forces productives, nous avons rejeté depuis longtemps les tendances mesquines de l’ancienne économie. Tout ce qui concerne la réorganisation de la production et les recherches est résolu à vaste échelle. Mais de nos jours encore, les gens ne Comprennent souvent pas le moment du succès, parce qu’ils oublient l’inamovibilité des lois de l’évolution. Ils s’imaginent que la structure doit progresser sans arrêt.
Or, la sagesse du dirigeant consiste à reconnaître à temps la limite de telle ou telle étape et d’attendre ou de changer de voie. Mven Mas, maître de la force terrestre, ne s’est pas montré à la hauteur de sa tâche. Le Conseil s’est trompé dans son choix. Aussi partage-t-il la responsabilité de son élu. Le plus coupable, c’est moi-même, car j’ai soutenu sa candidature posée par deux membres du Conseil.
Je recommande au Conseil d’absoudre Mven Mas quant aux motifs personnels de son action, mais de l’écarter des organismes dirigeants de la planète. Moi aussi, je dois être révoqué de mon poste de président du Conseil; qu’on me charge de reconstruire le satellite pour réparer les conséquences de mon choix imprudent!
Grom Orm parcourut l’assistance du regard, lisant sur de nombreux visages un regret sincère. Mais personne ne protesta, car les hommes de l’époque de l’Anneau respectaient mutuellement leurs décisions et se fiaient les uns aux autres.
Mir Om se concerta avec les membres du Conseil, et la machine à calculer annonça les résultats du vote. La conclusion de Grom Orm était acceptée sans réplique, mais à condition qu’il présidât la séance jusqu’à la fin.
Il s’inclina, imperturbable.
— Je dois expliquer maintenant ma demande d’ajourner la discussion de l’expédition astrale, poursuivit-il, d’un ton calme. L’issue de l’affaire était évidente, et je pense que le Contrôle d’Honneur et de Droit sera d’accord avec nous… Mais je puis à présent inviter Mven Mas à prendre sa place au Conseil pour discuter l’expédition. Ses connaissances nous sont indispensables, surtout que le membre du Conseil Erg Noor ne peut assister à la réunion d’aujourd’hui.
Mven Mas se dirigea vers les fauteuils du Conseil. Les feux verts approbatifs clignotaient sur son passage.
Les cartes des planètes coulissèrent sans bruit, cédant ta place à des tableaux sombres où les feux multicolores des étoiles étaient reliés par les traits bleus des itinéraires prévus pour un siècle. Grom Orm se départit de son impassibilité, une légère rougeur colora ses joues blêmes, ses yeux d’acier s’assombrirent. Il apparut à la tribune.
— Chaque expédition astrale est un rêve longuement caressé, un espoir nourri durant des années, un degré de plus dans la grande ascension. D’autre part, c’est un labeur de millions d’hommes, qui ne peut manquer de produire sur le science ou l’économie l’effet nécessaire à notre progrès, à la conquête systématique de la nature. C’est pourquoi nous discutons, réfléchissons et calculons dûment, avant de lancer un nouvel astronef dans les espaces interstellaires.
Notre devoir nous a contraints d’envoyer la 37e expédition pour élucider le sort de Zirda, au lieu de poursuivre les recherches. L’étude du projet de la 38e n’en a été que plus minutieuse.
L’année dernière, il s’est produit des événements qui ont modifié la situation et qui nous obligent à réviser l’itinéraire et le but de l’expédition approuvés par les Conseils précédents et l’opinion publique. L’invention de méthodes de traitement des alliages sous haute pression et à la température du zéro absolu a amélioré la résistance des corps d’astronefs. Le perfectionnement des moteurs à anaméson, devenus plus économiques, permet d’effectuer des vols à plus longue distance avec un seul vaisseau. Les astronefs Aella et Tintagel, destinés à la 38e expédition, sont désuets en comparaison du Cygne qu’on vient de construire, engin sphérique de type vertical, muni de quatre quilles d’équilibre. Nous pouvons d’ores et déjà entreprendre des vols plus lointains.
Erg Noor, revenu sur la Tantra de la 37e expédition, a annoncé la découverte d’une étoile noire de classe T, dont une des planètes porte les restes d’un astronef de structure inconnue. La tentative de pénétrer à l’intérieur de l’appareil a failli provoquer une catastrophe, mais on a quand même réussi à rapporter un fragment de la cuirasse métallique. Cette matière mystérieuse ressemble au quatorzième isotope de l’argent, décelé sur les planètes d’une étoile très chaude de classe 08, que l’on connaît depuis longtemps sous le nom de zêta de la Carène.
La forme de l’astronef: un disque biconvexe, à surface spirale: est étudiée à l’Académie des Limites du Savoir.
Junius Ante a revu tous, les enregistrements des informations transmises par l’Anneau depuis les huit cents ans que nous y avons adhéré. Ce type d’astronef est irréalisable par notre science. On l’ignore dans les mondes de la Galaxie avec lesquels nous échangeons des messages.
Le vaisseau discoïde géant est certainement un hôte de planètes très lointaines, peut-être même de mondes situés en dehors des galaxies. Il a pu vagabonder des millions d’années avant d’atterrir sur cette planète de l’étoile de fer, à la périphérie déserte de notre Voie lactée.
Inutile d’insister sur l’importance de son étude par une expédition spéciale envoyée vers l’étoile T.
Grom Orm brancha l’écran hémisphérique, et la salle disparut. Les enregistrements des machines mnémotechniques défilaient lentement sous les yeux des spectateurs.
— Voici un message récent de la planète ZR 519; je vous fais grâce des coordonnées complètes. C’est le compte rendu de leur expédition dans le système de l’étoile Achernard.
La disposition des étoiles semblait bizarre et l’œil le plus exercé n’aurait pu y reconnaître des astres familiers. C’étaient des étendues de gaz phosphorescents, des nuages opaques, de grandes planètes refroidies qui renvoyaient la clarté d’un astre excessivement brillant.
D’un diamètre à peine trois fois et demie plus grand que le Soleil, Achernard, étoile bleue de classe spectrale B 5, était deux cent quatre-vingts fois plus lumineux.,Le vaisseau cosmique s’était éloigné après avoir pris le cliché. Des dizaines d’années de voyage avaient sans doute passé… Un autre astre, étoile verte de classe S, apparut sur l’écran. Elle grandissait et sa lumière s’intensifiait à mesure que l’astronef étranger s’en approchait. La surface d’une nouvelle planète surgit. Les spectateurs virent un paysage de hautes montagnes où se jouaient toutes les nuances imaginables de clarté verte. Ombres vert foncé des gorges profondes et des escarpements, vert-bleu et vert-mauve des roches et des vallées éclairées, neiges glauques des cimes et des plateaux, vert-jaune des terrains brûlés par l’astre ardent. Des torrents de malachite coulaient vers des lacs et des mers dissimulés derrière les crêtes…
Plus loin, une plaine mamelonnée s’étendait jusqu’au bord de la mer qui semblait de loin une tôle verte. Les arbres bleus, au feuillage touffu, poussaient autour de clairières où des herbes et des buissons étranges dessinaient des taches et des bandes pourpres. Et un flot puissant de rayons d’or vert se déversait du ciel d’améthyste. Les hommes de la Terre étaient saisis d’admiration devant cette planète splendide. Mven Mas fouillait dans sa puissante mémoire pour situer exactement l’astre vert. Des pensées rapides traversaient son cerveau:
— Achernard, l’étoile alfa d’Eridan, est au zénith du ciel austral, près du Toucan… Vingt et un parsecs de distance… L’astronef ne peut revenir du vivant de l’équipage…