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Eon Tal, la taille droite, le bras toujours en écharpe, observait de loin la rotation lente du tambour de l’enregistreur. La sueur perlait au-dessus de ses gros sourcils.

Erg Noor passa la langue sur ses lèvres sèches.

— Toujours rien! Après cinq ans de voyage, il ne reste que de la poussière, proféra l’astronaute d’une voix rauque.

— Ce serait un grand malheur… pour Niza et pour moi, répandit le biologiste. Il faudrait chercher à tâtons, durant des années peut-être, avant de connaître la nature de la lésion.

— Vous estimez que les organes meurtriers des «méduses» et de la «croix» sont les mêmes?

— Je ne suis pas seul de cet avis: Grim Char et les autres le partagent. Mais au début on émettait les hypothèses les plus surprenantes. J’ai cru un instant que la croix noire n’était pas originaire de la planète.

— C’est ce que je disais, vous vous souvenez? Cet être me semblait provenir de l’astronef discoïde et monter la garde autour de lui. Mais, à bien réfléchir, pourquoi garder de l’extérieur une forteresse imprenable? La tentative de percer le disque spiral a prouvé l’absurdité de cette supposition.

— Moi, j’imaginais que la croix était un automate posté en sentinelle auprès de l’astronef…

— C’est cela. Mais j’ai naturellement changé d’avis. La croix noire est un être vivant, engendré par le monde des ténèbres. Ces monstres habitent sans doute la plaine. Notre ennemi est venu du côté de la porte des falaises. Les méduses, plus légères et plus mobiles, peuplent le plateau où nous avons atterri. Le rapport entre la croix et le disque est fortuit: nos dispositifs de défense n’avaient simplement pas atteint ce secteur éloigné de la plaine, qui se trouvait toujours à l’ombre de l’énorme disque.

— Et vous assimilez les organes meurtriers de la croix à ceux des méduses?

— Oui! Ces animaux qui vivent dans les mêmes conditions doivent avoir des organes semblables. L’étoile de fer est un astre thermo-électrique. La couche épaisse de son atmosphère est saturée d’électricité. Grim Char estime que ces êtres recueillent l’énergie de l’atmosphère et créent des concentrations pareilles à nos éclairs sphéroïdaux. Rappelez-vous les étincelles brunes sur les tentacules des méduses!

— La croix avait des tentacules, mais pas de…

— Personne n’a eu le temps de s’en apercevoir. Mais le caractère du mal — lésion des nerfs principaux avec paralysie du centre correspondant — est le même chez Niza et chez moi, tout le monde est d’accord là-dessus! C’est la preuve essentielle et l’espoir suprême î

— L’espoir? répéta Erg Noor interloqué.

— Mais oui. Tenez, le biologiste montra la ligne droite tracée par l’enregistreur, les électrodes sensibles, introduites dans le piège à méduses, n’indiquent rien. Or, les monstres sont entrés là avec la charge complète de leur énergie, qui n’a pas pu se perdre après le soudage du réservoir. La défense isolante des récipients alimentaires cosmiques est sans doute impénétrable: ce n’est pas comme nos légers scaphandres biologiques. Souvenez-vous que la croix qui a paralysé Niza ne nous a pas fait de mal. Son ultra-son a traversé le scaphandre de protection supérieure et brisé notre volonté, mais les décharges meurtrières n’ont pas eu d’effet. Elles ont percé le scaphandre de Niza, tout comme les méduses ont percé le mien.

— Ainsi, la charge des éclairs sphéroïdaux ou quelque chose de ce genre qui est entré dans le réservoir doit y être resté? Les appareils n’indiquent pourtant rien…

— C’est ce qui me donne de l’espoir. Les méduses ne sont donc pas tombées en poussière. Elles…

— Je comprends. Elles se sont enfermées dans une sorte de cocon!

— Oui. Cette propriété, est répandue parmi les organismes vivants contraints à subir périodiquement des phénomènes défavorables à leur existence, tels que les longues, nuits glacées de la planète, ses ouragans du «matin» et du «soir». Mais comme ces périodes alternent assez vite, je suis sûr que les méduses peuvent rapidement se mettre dans cet état et en sortir aussi rapidement. Dans ce cas, nous n’aurons guère de peine à leur rendre leurs facultés meurtrières.

— En reconstituant la température, l’atmosphère, l’éclairage et les autres conditions de la planète noire?

— Oui. Tout est prévu et préparé. Grim Char va bientôt venir. Nous insufflerons dans le réservoir un mélange de néon, d’oxygène et d’azote sous une pression de trois atmosphères. Mais nous allons d’abord voir ce qu’il en est.

Eon Tal conféra avec ses deux assistants. Un appareil fut rapproché lentement du réservoir brun. La plaque de devant en rutholucite s’écarta, ouvrant l’accès du piège dangereux.

On remplaça les électrodes à l’intérieur du récipient par des micromiroirs à luminaires cylindriques. Un des assistants se posta au pupitre de télécommande. Sur l’écran parut une surface concave, couverte d’un dépôt granuleux, qui reflétait faiblement la lueur des lampes: c’était la paroi du réservoir. Le miroir virait doucement. Eon Tal déclara:

— II serait malaisé d’opérer aux rayons X, l’isolation ét<mt trop forte. On est obligé de recourir à une méthode plus complexe…

Le miroir tournant réfléchit le fond du récipient où se trouvaient deux boules blanches, à surface spongieuse et fibreuse. On aurait dit les gros fruits d’un arbre à pain récemment obtenu par les sélectionneurs.

— Reliez le vidéophone au vecteur de Grim Char, dit le biologiste à un assistant.

Le savant accourut aussitôt… Les yeux clignés non par myopie mais par simple habitude, il examina les appareils. Grim Char n’avait pas le physique imposant d’un coryphée de la science. Erg Noor songea à Ren Boz, dont la timidité de gamin contrastait avec son intelligence.

— Ouvrez le joint, commanda Grim Char. La main mécanique entama l’épaisse couche d’émail, sans déplacer le couvercle pesant. On fixa aux soupapes les boyaux d’amenée du mélange gazeux. Un puissant projecteur de rayons infrarouges remplaça l’étoile de fer…

— Température… pression… saturation électrique… L’assistant lisait les indications des appareils.

Au bout d’une demi-heure, Grim Char se retourna vers les astronautes.

— Venez dans la salle de repos. Impossible de prévoir le temps qu’il faudra pour animer ces capsules. A en croire Eon, c’est pour bientôt. Les assistants nous préviendront.

L’Institut des Courants Nerveux était bâti loin de la zone habitée, à la limite d’une steppe. Vers la fin de l’été, le sol s’était desséché et le vent passait avec un murmure particulier, qui pénétrait par les fenêtres ouvertes avec l’odeur fine des herbes flétries.

Les trois investigateurs, installés dans des fauteuils confortables, se^ taisaient en regardant par-dessus les cimes des arbres rameux l’air surchauffé qui vibrait à l’horizon. Leurs yeux las se fermaient de temps à autre, mais l’anxiété les empêchait de s’assoupir. Cette fois, le destin ne mit pas leur patience à l’épreuve. Trois heures ne s’étaient pas écoulées que l’écran de contact direct s’alluma. L’assistant de service se maîtrisait à grand-peine.

— Le couvercle remue!

L’instant d’après, tous les trois étaient au laboratoire.

— Fermez bien la chambre de rutholucite, vérifiez l’herméticité! ordonna Grim Char. Transférez dans la cfhambre les conditions de la planète.

Léger sifflement des pompes et des niveleurs de pression, et l’atmosphère du monde des ténèbres fut créée dans la cage diaphane.

— Augmentez l’humidité et la saturation électrique, poursuivit Grim Char. Une forte odeur d’ozone se répandit dans le laboratoire.