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— Pardonnez-moi, Mven, mais vous aussi vous étiez devant une porte qui dissimulait un mystère. Le vôtre était grand, universel, et le mien est petit. Mais du point de vue émotif, mon échec est égal au vôtre.

— Nous voilà compagnons d’infortune. Je vous garantis qu’on se heurtera maintes fois encore à des portes d’acier. Elles se multiplieront à mesure que nos visées seront plus audacieuses.

— L’une d’elles finira bien par s’ouvrir!

— Certes.

— Mais vous n’avez pas tout à fait renoncé?

— Bien sûr que non. Nous recueillerons de nouveaux faits, des coefficients plus exacts.

— Et s’il fallait attendre toute votre vie?

— Qu’est-ce que ma vie individuelle, comparée aux progrès de la science!

— Où est votre ardeur, Mven?

— Elle n’est pas disparue, elle est seulement jugulée… par la souffrance.

— Et Ren Boz?

— Il va mieux. Il cherche à préciser son abstraction.

— Je vois. Une minute, Mven… Quelque chose d’important!

L’écran de l’Africain s’éteignit, et quand il se ralluma, Mven Mas crut voir une autre femme, juvénile et insouciante.

— Dar Véter redescend sur la Terre. Le satellite 57 est achevé avant terme.

— Déjà! Tout est fait?

— Non, seulement le montage extérieur et l’installation des machines énergétiques. Les travaux intérieurs sont plus faciles. On a rappelé Dar Véter pour qu’il prenne du repos et analyse le rapport de Junius Ante sur un nouveau mode de transmission par l’Anneau.

— Merci, Véda. Je serais heureux de revoir Dar Véter.

— Vous le verrez certainement… Mais je n’ai pas fini. Grâce aux efforts conjugués de l’humanité, on a amassé de l’anaméson pour le Cygne. Les astronautes nous invitent à assister à leur départ pour le vjpyage sans retour. Vous viendrez?

— Oui. La planète leur montrera, au moment des adieux, ce qu’elle a de plus beau et de plus séduisant. Comme ils auraient voulu voir la danse de Tchara à la Fête des Coupes de Feu, la danseuse la répétera pour eux avant l’envol, au cosmoport central d’El Homra… Rendez-vous là-bas!

— C’est entendu, cher Mven Mas!

CHAPITRE XV

LA NEBULEUSE D’ANDROMEDE

La vaste plaine d’El Homra s’étend au sud du golfe de Grande Syrte, en Afrique du Nord. Avant la suppression des cycles alizéens et la transformation du climat, c’était une hamada, désert de gravier jpoli et de rochers.asguleux, d’une teinte rougeatre qui a donné au site le nom de hamada

la Rouge. Océan de feu les jours de soleil, océan d’aigre bise les nuits d’automne et d’hiver. Il ne restait à présent de la hamada que le vent qui faisait ondoyer sur le terrain ferme l’herbe haute et bleuâtre transplantée d’Afrique australe. Le sifflement du vent et l’ondulation de l’herbe éveillaient dans l’âme une vague mélancolie et le sentiment d’avoir déjà vu ce paysage steppique plus d’une fois et en diverses circonstances, dans la joie et le chagrin…

Les envols et les atterrissages des astronefs laissaient dans la savane des brûlures de près d’un kilomètre de diamètre. Ces cercles étaient entourés de grillages métalliques rouges et restaient isolés pendant dix ans, durée deux fois plus longue que celle de la désagrégation des gaz d’échappement des moteurs. Après un atterrissage ou un départ, le cosmoport déménageait ailleurs. Cela prêtait à l’équipement et aux locaux un caractère provisoire et apparentait le personnel aux anciens nomades du Sahara, qui avaient vagabondé là pendant des millénaires sur des animaux bossus au cou cambré et aux pattes calleuses, appelés dromadaires…

Le planétonef Baryon qui en était à son treizième raid entre le chantier du satellite et la Terre transporta Dar Vétér dans la steppe de l’Arizona, restée déserte après la transformation du climat, à cause de la radioactivé accumulée dans le sol. A l’aube de la découverte de l’énergie ’nucléaire dans l’Ere du Monde Désuni, on avait fait là de nombreux essais. Et l’effet nocif des produits de désintégration radio-active persistait, trop faible pour nuire à l’homme, mais suffisant pour arrêter la croissance des arbres et des buissons.

Dar Véter admirait non seulement le bleu du ciel et la blancheur virginale des nuages, mais aussi le sol poussiéreux, hérissé d’une herbe rare.

Quel plaisir de fouler la Terre sous le soleil d’or, le visage exposé à la fraîcheur de la brise! C’est seulement après avoir séjourné au bord des gouffres cosmiques qu’on peut apprécier

toute la beauté de notre planète, surnommée autrefois la «vallée de misère et de larmes» !

Grom Orm, le vieux président du Conseil, ne retint pas le bâtisseur, car il voulait dire adieu lui-même à l’équipage du Cygne.

Ils arrivèrent ensemble à El Homra le jour du départ. Dar Véter aperçut d’en haut deux énormes miroirs dans l’immensité grise de la plaine: celui de droite presque circulaire, celui de gauche en forme d’ellipse oblongue, effilée à un bout. C’étaient les traces récentes des envols de la 38e expédition astrale.

Le cercle provenait du Tintagel parti vers la terrible étoile T et chargé d’appareils encombrants pour l’assaut de l’astronef discoïde venu des profondeurs du Cosmos. L’ellipse était la trace de L’Aella, qui s’était envolée suivant une trajectoire plus oblique et emportait une grande équipe de savants pour étudier les modifications. de la matière sur la naine blanche de la triple étoile Omikron 2 d’Eridan. Les cendres demeurées à l’endroit où les gaz d’échappement avaient frappé le sol pierreux et y avaient pénétré à un mètre cinquante de profondeur étaient arrosées d’un liant qui les empêchait de se répandre. Il n’y avait plus qu’à mettre en place les clôtures des anciens terrains d’envol. On le ferait après le départ du Cygne. Et voici le Cygne lui-même, gris de fonte, avec sa cuirasse thermique qui brûlera pendant la traversée de l’atmosphère. Puis il volera dans son revêtement scintillant qui renvoie toutes les radiations. Mais personne ne le verra dans cette splendeur, sauf les robots qui surveilleront son avance. Ces astronomes automatiques ne donneront aux hommes que la photographie d’un point lumineux. Et au retour sur la Terre, l’enveloppe du vaisseau sera oxydée et cabossée par l’explosion de petites météorites. Dar Véter se rappelait bien l’aspect de la Tantra après le voyage: une masse tachée de vert, de roux et de gris, au revêtement détérioré. Quant au Cygne, aucun de ses contemporains ne le reverra: tous seront morts d’ici cent soixante-douze ans: cent soixante-huit années indépendantes de voyage et quatre ans d’exploration des planètes…

Le travail de Dar Véter ne lui permettait même pas de vivre jusqu’à l’arrivée du Cygne sur la planète de l’étoile verte. Comme dans ses jours de doutes, il admirait l’audace de pensée de Ren Boz et de Mven Mas. Bien que l’expérience eût échoué et que ce problème fondamental du Cosmos fût encore loin d’être résolu, ces insensés étaient des titans de l’esprit créateur, car même en réfutant leur t/héorie et leur essai, les hommes feraient un bond prodigieux sur le chemin du savoir…

Dar Véter, perdu dans ses méditations, faillit buter contre de signal de la zone de sécurité, se détourna et aperçut au pied du pylône mobile de télévision la silhouette familière de Ren Boz. Il accourait, ébouriffant ses mèches rousses et clignant ses yeux aigus. Une fine résille de cicatrices prêtait à son visage une expression douloureuse.