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IVAN EFRÉMOV

LA NÉBULEUSE D’ANDROMÈDE

ТУМАННОСТЬ АНДРОМЕДЫ

ИЗДАТЕЛЬСТВО «ПРОГРЕСС»

МОСКВА

Traduit du russe par Harald Lusternik

Titre original :

ТУМАННОСТЬ АНДРОМЕДЫ

© Éditions « Progrès », Moscou,

1976 pour la traduction française

Imprimé en Union Soviétique

CHAPITRE PREMIER

L’ÉTOILE DE FER

À la lueur pâle du tube sinueux encastré dans le plafond, les rangées d’appareils avaient l’air d’une galerie de portraits : les ronds étaient malicieux, les ovales aplatis s’épanouissaient dans une fatuité insolente, les carrés demeuraient figés dans une assurance obtuse. Les lumières bleues, orangées, vertes, qui clignotaient à l’intérieur, accentuaient l’impression de vie.

Au milieu du tableau concave ressortait un large cadran pourpre. Une jeune fille se penchait dessus dans l’attitude d’une adoratrice, négligeant le fauteuil proche ou voisin. Elle approcha la tête du verre. Le reflet rouge fit paraître plus mûr et plus austère son visage juvénile, marqua des ombres nettes autour des lèvres pleines, effila un peu le nez légèrement retroussé. La ligne noire des sourcils froncés prêtait aux yeux une expression sombre et désolée.

Le grésillement ténu des compteurs fut interrompu par un son métallique. La jeune fille tressaillit et redressa son dos fatigué, ses bras minces repliés derrière la tête.

La porte claqua, une silhouette parut, devint un homme aux mouvements brusques et précis. Une clarté blonde inonda la pièce et alluma des reflets ardents dans la chevelure auburn de la jeune fille. Ses yeux aussi brillèrent, tournés vers le nouveau venu avec une expression tendre et inquiète.

— Vous n’avez donc pas dormi ? Cent heures sans sommeil !

— L’exemple est-il mauvais ? demanda-t-il gaiement, quoique sans sourire. Sa voix avait des notes aiguës et métalliques qui semblaient river les mots.

— Les autres reposent, fit timidement la jeune fille, et … ils ne savent rien, ajouta-t-elle dans un chuchotement instinctif.

— Parlez sans crainte. Les camarades dorment. Nous ne sommes que deux à veiller dans l’univers, à cinquante billions de kilomètres de la Terre, un parsec[1] et demi en tout.

— Et nous n’avons de carburant que pour un seul élan ! s’écria-t-elle avec terreur et exaltation.

Erg Noor, chef de la 37e expédition astrale, fit deux pas rapides vers le cadran rouge.

— Le cinquième tour !

— Oui, nous y sommes. Et toujours rien.

La jeune fille jeta un regard éloquent sur le haut-parleur du poste automatique.

— Vous voyez, pas moyen de dormir. Il faut envisager toutes les versions, toutes les possibilités. Nous devons trouver la solution à la fin du cinquième tour.

— Cent dix heures d’attente …

— Bien, je vais faire un somme là, dans ce fauteuil, quand la sporamine[2] aura cessé d’agir. J’en ai pris une dose il y a vingt-quatre heures …

La jeune fille réfléchit un moment et hasarda :

— Si nous réduisions le rayon du cercle ? Peut-être que leur poste d’émission est en panne ?

— Non, non ! Si on réduit le rayon sans ralentir le mouvement, le vaisseau périra aussitôt. Ralentir … voguer ensuite sans anaméson[3] … Un parsec et demi à la vitesse des fusées lunaires primitives ? Nous atteindrions notre système solaire dans cent mille ans …

— Je comprends … Mais n’auraient-ils pas …

— Non. Dans les temps immémoriaux, les hommes pouvaient commettre des négligences, se tromper eux-mêmes ou les uns les autres. Mais plus maintenant !

— Il ne s’agit pas de ça, répliqua vivement la jeune fille d’un ton vexé. Je voulais dire que peut-être l’Algrab s’était écarté de sa route et nous cherchait, lui aussi …

— Il n’a pas pu dévier à ce point. Il est certainement parti à l’heure. Si, par impossible, les deux émetteurs s’étaient détraqués, il aurait évidemment traversé le cercle suivant le diamètre et nous l’aurions entendu à la réception planétaire. Pas moyen de s’y tromper : la voilà, la planète conventionnelle !

Erg Noor désigna les écrans réflecteurs disposés dans des niches profondes, aux quatre côtés du poste de commande. Des étoiles innombrables luisaient dans le noir sans fond. Sur le premier écran de gauche, un petit disque passa, gris, à peine éclairé par son astre, très éloigné du système B-7336-C+87-A.

— Nos phares-bombes[4] fonctionnent bien, quoique nous les ayons lancés il y a quatre années indépendantes[5].

Erg Noor montra une raie lumineuse sur la glace oblongue de la paroi gauche.

— L’Algrab devrait être là depuis trois mois … S’il n’y est pas, Noor hésita, comme s’il n’osait prononcer la sentence, c’est qu’il a péri !

— À moins qu’il n’ait été endommagé par une météorite et ne puisse aller rapidement …, répliqua la jeune fille.

— Et ne puisse aller rapidement ! répéta Erg Noor, n’est-ce pas la même chose ? Si des millénaires de voyage s’interposent entre le vaisseau et son lieu de destination, c’est encore pire, car la mort, au lieu d’être instantanée, surviendra après des années de désespoir. S’ils appellent, nous le saurons … dans six ans à peu près … sur la Terre.

D’un geste impétueux, Erg Noor tira un fauteuil pliant de sous la table de la machine à calculer électronique, modèle réduit de la MNU-11. Jusqu’ici on n’avait pas pu munir les astronefs de machines électroniques universelles ITU, trop lourdes, encombrantes et fragiles. À défaut de ce cerveau artificiel, il fallait donc au poste de commande un homme, d’autant plus que sur les trajets d’une telle longueur l’orientation exacte était impossible.

Noor fit courir ses mains sur les manettes et les boutons, avec la virtuosité d’un pianiste. Son visage pâle, aux traits prononcés, avait pris une immobilité de pierre ; son grand front incliné sur le tableau de bord semblait défier les forces de la nature hostiles à ce petit monde de vivants qui s’étaient aventurés dans les profondeurs interdites de l’espace.

Niza Krit, jeune astronavigatrice qui en était à sa première expédition, observait Noor en retenant son souffle. Qu’il était calme, énergique et intelligent, son bien-aimé … Elle l’aimait depuis les cinq ans que durait le voyage. Inutile de dissimuler … et il le savait, Niza s’en rendait compte … Maintenant que ce malheur était arrivé, elle avait la joie de veiller avec lui. Trois mois en tête-à-tête, pendant que le reste de l’équipage dormait d’un bon sommeil hypnotique. D’ici treize jours, ils s’endormiraient, eux aussi, pour six mois, relevés par deux autres équipes de navigateurs, d’astronomes et de mécaniciens. Les biologistes, les géologues, dont le travail ne commencerait qu’à l’arrivée, pouvaient continuer à dormir … tandis que les astronomes étaient toujours surchargés de besogne.

Erg Noor se leva, et les pensées de Niza s’interrompirent.

— Je m’en vais dans la cabine des cartes astrales … Votre pause …, il consulta la montre dépendante, est dans neuf heures. D’ici là, j’ai le temps de dormir.

— Je ne suis pas fatiguée, je peux rester autant qu’il le faudra, pourvu que vous vous reposiez !

Erg Noor fronça les sourcils, prêt à riposter, mais, cédant à la caresse des paroles et des yeux dorés, pleins de confiance, il sourit et s’en fut sans mot dire.

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1

Unité de distance utilisée en astronomie équivalant à 3,26 années-lumière ou environ 308.1013.

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2

Médicament qui supprime le besoin de sommeil ( imag. ).

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3

Carburant ( imag. ).

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4

Stations-robots conçues pour émettre de puissants signaux capables de traverser l’atmosphère d’une planète. Sont larguées par les astronefs ( imag. ).

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5

Année terrienne indépendante de la vitesse de l’astronef.