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Les possibilités de l’industrie alimentaire se sont multipliées, de nouveaux territoires ont été rendus habitables.

Les anciens vaisseaux planétaires, si dangereux et fragiles qu’ils fussent, ont néanmoins ouvert l’accès des plus proches planètes de notre système. Une ceinture de satellites artificiels, d’où les hommes ont étudié de près le Cosmos, a entouré la Terre. Là-dessus, il y a quatre cent huit ans, est arrivé un événement qui a inauguré une ère nouvelle dans l’existence de l’humanité, l’Ère du Grand Anneau, ou EGA.

La pensée humaine s’évertuait depuis longtemps à transmettre à distance les images, les sons, l’énergie. Des centaines de milliers de savants émérites travaillaient dans une organisation appelée jusqu’ici l’Académie des Émissions Dirigées. Quand ils réussirent à transmettre l’énergie au loin sans conducteurs, en contournant la loi selon laquelle le flux d’énergie est proportionnel au sinus de l’angle d’écartement des rayons, les faisceaux de radiations parallèles permirent de communiquer en permanence avec les satellites artificiels et, de ce fait, avec tout l’Univers. Dès la fin de l’Ère du Monde Désuni, nos savants avaient établi que de puissantes émanations radioactives se déversaient du Cosmos sur la Terre. Ces flux provenant des constellations et des galaxies nous apportaient des appels et des messages du Cosmos par le Grand Anneau. Sans les comprendre encore, on avait appris à capter ces signaux mystérieux qu’on prenait pour des radiations naturelles.

Le savant Kam Amat, d’origine indienne, eut l’idée de faire sur les satellites artificiels des expériences avec les récepteurs d’images, essayant, durant des dizaines d’années, différentes combinaisons de diapasons.

Kam Amat capta une émission du système planétaire d’une étoile double nommée le 61 du Cygne. Un être qui ne ressemblait pas aux terriens, mais un homme assurément, apparut sur l’écran et montra une inscription en symboles du Grand Anneau. On ne réussit à la lire que quatre-vingt-dix ans plus tard. Elle orne aujourd’hui, traduite en notre langue, le monument à Kam Amat : « Salut frères entrés dans notre famille. Séparés par l’espacé et le temps, nous voilà unis par l’Anneau de la Grande Force.  »

Le langage des symboles, des épures et des cartes du Grand Anneau s’est révélé facile à comprendre au niveau actuel de l’évolution humaine. Au bout de deux cents ans, nous pouvions converser, à l’aide de machines à traduire, avec les systèmes planétaires des étoiles les plus proches, prendre et émettre des scènes de la vie si diverse des mondes. Nous avons reçu dernièrement la réponse de quatorze planètes de Deneb, important centre de vie du Cygne, astre géant, 4 800 fois plus lumineux que notre soleil et situé à 122 parsecs. La pensée s’y développait d’une autre manière, mais elle a également atteint un niveau élevé.

Quant aux mondes anciens — les amas sphériques de notre Galaxie et la vaste région habitée qui entoure son centre —, ils nous envoient des tableaux et des signes étranges, qu’on n’a pas encore déchiffrés. Enregistrés par les machines mnémotechniques, ils sont transmis à l’Académie des Limites du Savoir, organisation qui étudie les problèmes naissants de notre science. Nous nous efforçons de comprendre cette pensée qui dépasse la nôtre de plusieurs millions d’années et s’en distingue nettement, la vie ayant suivi là-bas de toutes autres voies d’évolution.

Véda Kong se détourna de l’écran qu’elle avait fixé d’un regard hypnotisé et leva sur Dar Véter des yeux interrogateurs. Il lui sourit et fit un geste d’approbation. Elle redressa fièrement la tête, tendit les bras et s’adressa au public invisible et inconnu, qui percevrait dans treize ans ses paroles et son image :

— Tel est notre passé, l’ascension difficile, longue et complexe des sommets du savoir. Frères nouveaux, fusionnez avec nous dans le Grand Anneau pour répandre dans l’Univers infini la puissance de la raison !

La voix de Véda vibra, triomphante, comme si elle avait absorbé la force de toutes les générations terriennes assez évoluées aujourd’hui pour porter leurs desseins au-delà de la Galaxie, vers d’autres îles astrales du Cosmos …

Un son cuivré retentit : c’était Dar Véter qui avait débranché d’un tour de manette l’émission. L’écran s’éteignit. Sur le panneau translucide, il ne restait plus que la colonne lumineuse du canal conducteur.

Véda, lasse et silencieuse, se pelotonna au fond d’un grand fauteuil. Dar Véter fit asseoir Mven Mas au pupitre de commande et se pencha sur son épaule. On entendait dans le silence le bruit presque imperceptible des déclics.

L’écran au cadre d’or disparut soudain, découvrant une profondeur inouïe. Véda Kong, qui voyait pour la première fois cette merveille, poussa un grand soupir. Même les gens initiés au secret de l’interférence complexe des ondes lumineuses, qui donnait cette ampleur de perspective, trouvaient toujours le spectacle étonnant.

La surface sombre d’une planète étrangère approchait, grandissant à vue d’œil. C’était un système rare d’étoile double, où deux soleils s’équilibraient de façon à doter leur planète d’une orbite régulière et à y rendre la vie possible. Les deux astres, l’un orange, l’autre écarlate, plus petits que le nôtre, éclairaient d’une lueur rougeâtre les glaces d’une mer gelée. Au bord d’un plateau noir, un large édifice s’étalait dans d’étranges reflets violets. Le rayon visuel, dirigé sur une terrasse de sa toiture, semblait la transpercer, et tout le monde vit un homme à peau grise, aux yeux ronds comme ceux d’une chouette et cernés d’un duvet argenté. Il était de haute taille, mais très mince, avec de longs membres pareils à des tentacules. Après un hochement de tête grotesque, qui ressemblait à un salut précipité, il fixa sur l’écran ses yeux impassibles comme des objectifs et ouvrit une bouche sans lèvres, recouverte d’un clapet de peau molle, en forme de nez. Aussitôt, la voix mélodieuse de la machine à traduire se fit entendre.

— Zaf Ftète, préposé aux informations extérieures du 61 du Cygne. Nous transmettons aujourd’hui pour l’étoile jaune STL 3388+04KF … Nous transmettons …

Dar Véter et Junius Ante échangèrent un regard, Mven Mas serra le poignet de Dar Véter. C’étaient les appels sidéraux de la Terre, ou, plus exactement, de notre système planétaire considéré jadis par les observateurs des autres mondes comme un seul grand satellite qui faisait le tour du Soleil en 59 ans. C’est au cours de cette période que se produit l’opposition de Jupiter et de Saturne, qui déplace le Soleil visiblement pour les astronomes des étoiles voisines. La même erreur était commise par nos astronomes à l’égard de nombreux systèmes planétaires dont la présence autour de certaines étoiles avait été décelée aux temps anciens.

Junius Ante vérifia plus hâtivement qu’au début de l’émission le réglage de la machine à traduire et les indications des appareils ŒS qui veillaient à son fonctionnement.

La voix impassible de l’interprète électronique continuait :

— Nous avons pris l’émission de l’étoile … — nouvelle série de chiffres et de sons saccadés — par hasard, entre les émissions du Grand Anneau. Ils n’ont pas déchiffré le langage de l’Anneau et dépensent en vain l’énergie en lançant leurs messages pendant les heures de silence. Nous leur répondons selon l’horaire de leurs émissions à eux ; les résultats seront connus dans trois dixièmes de seconde …

La voix se tut. Les appareils de signalisation restaient allumés, sauf l’œil vert.

— On ignore jusqu’ici les causes de ces interruptions, peut-être est-ce le fameux champ neutre des astronautes qui passe entre nous, expliqua Junius Ante à Véda.