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D’un effort violent, elle surmonta le poids de ses mains lasses et les tendit à Erg Noor. Il les prit entre ses larges paumes et les caressa doucement. Le visage de la jeune fille rosit en harmonie avec son opulente chevelure, une force nouvelle anima son corps fatigué. Comme naguère, avant l’atterrissage périlleux, elle pressa sa joue contre la main d’Erg Noor et pardonna du même coup au biologiste son apparente trahison à l’égard de la Terre. Afin de leur prouver à tous les deux son assentiment, elle leur fit part d’une idée qui venait de l’illuminer : pourvoir un réservoir à eau d’un couvercle basculant automatique et y mettre en guise d’appât un morceau de viande fraîche stérilisée qui constituait une friandise en supplément aux vivres conservés des astronautes. Si la « chose noire » y pénétrait et le couvercle se rabattait dessus, on introduirait à l’intérieur, par un robinet, prévu à cet effet, un gaz terrestre inerte et on souderait le bord du couvercle.

Éon était ravi de l’ingéniosité de cette gamine rousse. Presque du même âge qu’elle, il la traitait avec la tendre familiarité d’un camarade d’école. Le piège, perfectionné par les ingénieurs, fut construit en neuf jours de la nuit planétaire.

Erg Noor, de son côté, s’appliquait à régler un robot anthropoïde et préparait un puissant burin électrohydraulique pour percer l’astronef discoïde de l’étoile lointaine.

Dans l’obscurité devenue familière, l’ouragan s’était calmé, le froid avait cédé la place à la tiédeur : le « jour » de neuf journées commençait. Il y avait encore du travail pour quatre jours terrestres : l’embarquement des charges ioniques, de provisions et d’instruments de valeur. En outre, Erg Noor tenait à emporter quelques effets personnels de l’équipage disparu, pour les remettre, après une désinfection soignée, aux familles des défunts. À l’Ère de l’Anneau, les bagages n’étaient guère encombrants, aussi n’eut-on aucun mal à les transférer à bord de la Tantra.

Au cinquième jour, on débrancha le courant, et le biologiste, accompagné de deux volontaires, Key Baer et Ingrid, s’enferma dans le mirador proche de la Voile. Les êtres noirs surgirent presque aussitôt. Le biologiste les surveillait à l’aide d’un écran infrarouge. Une des « méduses » s’approcha du piège et tenta de s’y glisser, roulée en boule, les tentacules rétractés. Mais voici qu’un autre losange noir apparut à l’entrée du réservoir. Le premier monstre détendit ses tentacules, les feux étoilés clignotèrent à un rythme fantastique, se changeant en raies pourpres tremblotantes, qui faisaient courir des éclairs verts sur l’écran des rayons invisibles. Comme le premier venu s’écartait, l’autre se ramassa en un clin d’œil et se laissa choir au fond du récipient. Le biologiste avança la main vers le bouton, mais Key Baer l’arrêta. La première bête suivit sa compagne. À présent, elles étaient deux là-dedans. On ne pouvait que s’étonner de leur faculté de rétrécissement. Une pression sur le bouton, le couvercle se rabattit, et aussitôt cinq ou six monstres noirs se collèrent de toutes parts sur le vaste récipient revêtu de zirconium. Le biologiste alluma et demanda à ceux de la Tantra de brancher la protection. Les fantômes noirs se dissipèrent instantanément, selon leur habitude, mais deux restaient captifs sous le couvercle hermétique du réservoir.

Le biologiste s’en approcha, effleura le couvercle et reçut à travers le corps une violente décharge qui lui arracha un cri de douleur. Son bras gauche retomba, paralysé.

Taron, le mécanicien, mit un scaphandre antithermique pour épurer le réservoir à l’azote terrestre et souder le couvercle. On souda aussi les robinets, puis le réservoir fut enveloppé d’un morceau de toile isolante et placé dans la chambre aux collections. La victoire avait coûté cher : le biologiste ne recouvrait pas l’usage de son bras, malgré les efforts du médecin. Éon Tal souffrait beaucoup, mais ne voulait pas renoncer à la visite de l’astronef discoïde. Erg Noor, qui tenait en haute estime son goût insatiable de la recherche, n’eut pas le courage de le laisser à bord de la Tantra.

L’engin étranger se trouvait plus loin de la Voile qu’on ne l’avait cru au début. La lumière floue des projecteurs avait faussé les dimensions de l’astronef mystérieux. C’était un ouvrage vraiment colossal, dont le diamètre mesurait au moins trois cent cinquante mètres. On dut prendre des câbles de la Voile pour prolonger le système défensif jusqu’au disque. Il surplombait les hommes, telle une muraille dont le haut se perdait dans l’ombre tachetée du ciel. Les nuages sombres se chevauchaient, dissimulant le bord supérieur du disque géant. Il était entièrement enrobé d’une masse couleur de malachite, toute craquelée, d’environ un mètre d’épaisseur. Les fissures découvraient un métal azuré, à reflets bleus. La face tournée vers la Voile présentait une saillie en colimaçon, d’une quinzaine de mètres de large sur près de dix mètres de haut. L’autre face, plongée dans les ténèbres et plus bombée, était un segment de sphère rattaché au disque de vingt mètres d’épaisseur. Là aussi on voyait une haute spirale qui ressemblait à la paroi extérieure d’un tuyau incorporé.

Le disque était profondément engagé dans le sol. Au bas de ce mur métallique, on aperçut une pierre fondue qui s’était étalée comme de la poix.

Les explorateurs mirent des heures à chercher une trappe, un orifice quelconque. Mais l’entrée était camouflée sous l’enduit vert ou fermée sans le moindre joint apparent. On ne trouva ni les trous des instruments d’optique ni les robinets de ventilation. Le bloc de métal paraissait plein. Erg Noor, qui avait prévu la chose, décida de percer l’enveloppe de l’astronef à l’aide du burin électrohydraulique qui venait à bout des cuirasses les plus résistantes. Après un bref conciliabule, on convint d’entamer le sommet de la spirale. Il devait y avoir là un vide, un conduit ou un passage par lequel on pourrait atteindre l’intérieur de l’astronef sans risquer de buter contre une série de cloisons.

L’étude du disque offrait un grand intérêt. Il renfermait peut-être des appareils et des documents, tout le matériel de ceux qui avaient traversé des gouffres auprès desquels les trajets des astronefs terrestres semblent de timides excursions.

La spirale de l’autre face touchait le sol. On y amena le projecteur et les lignes à haute tension. La lumière bleutée, réfléchie par le disque, se dispersait en brume dans la plaine et atteignait des formes hautes aux contours indéfinis : sans doute des montagnes coupées de gorges d’ombre impénétrable. Ni la clarté vague des étoiles ni le rayon du projecteur ne prêtaient à ces portes des ténèbres l’aspect d’une matière solide. Ce devait être un débouché sur la grève entrevue lors de l’atterrissage.

Le chariot automatique arriva dans un grondement sourd et déchargea le seul robot universel de la Tantra. Insensible à la triple pesanteur, il s’approcha rapidement du disque et s’arrêta à sa base, tel un gros homme aux jambes courtes, au tronc allongé et à la tête énorme, inclinée dans une attitude menaçante.

Obéissant à la commande d’Erg Noor, il souleva des quatre bras le burin massif et se planta, les ambes écartées, prêt à exécuter la dangereuse besogne.