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Dar Véter eut un faible sourire.

— Je comprends vos sentiments, mais je ne vois pas le rapport logique entre le roman russe et votre rêve de dompter le Cosmos. Les arguments de Ren Boz sont plus à ma portée. Au fait, vous m’avez prévenu que c’était personnel …

Et Dar Véter s’enferma dans un silence si prolongé que Mven Mas s’agita, pris d’inquiétude.

— Je réalise maintenant, reprit l’ex-directeur des stations externes, pourquoi les gens d’autrefois buvaient, fumaient, usaient de narcotiques aux heures d’indécision, d’angoisse, de solitude. Me voici à mon tour solitaire et indécis, je ne sais que vous dire. Qui suis-je pour vous défendre de tenter une glorieuse expérience, mais est-il en mon pouvoir de vous le permettre ? Adressez-vous au Conseil, et alors …

— Non, non.

Mven Mas se leva, son grand corps tendu comme devant un danger mortel.

— Répondez : feriez-vous l’expérience, vous, en tant que directeur des stations externes ? Pour Ren Boz, c’est différent !

— Non ! répondit Dar Véter d’un ton ferme, j’attendrais …

— Quoi donc ?

— La construction d’un centre expérimental sur la Lune !

— Et l’énergie ?

— En utilisant le champ d’attraction de la Lune et en réduisant l’échelle de l’expérience, on pourrait se contenter de quelques stations Q …

— Tout de même, cela prendrait une centaine d’années et je ne le verrais jamais !

— C’est vrai, mais il n’importe guère à l’humanité que cela se fasse maintenant ou à la génération suivante.

— Mais ce serait pour moi la fin, la fin de mon rêve ! Et pour Ren aussi …

— Moi, si je ne puis vérifier mon œuvre par l’expérience, je serai dans l’impossibilité de la corriger, de la continuer !

— Plusieurs avis valent mieux qu’un ! Adressez-vous au Conseil.

— Le Conseil a déjà avisé, son point de vue est le vôtre. Nous n’avons rien à en attendre, prononça tout bas Mven Mas.

— Vous avez raison. Le Conseil refusera.

— Je ne vous demande plus rien. Je m’en veux d’avoir reporté sur vous tout le poids de la décision.

— C’est mon devoir d’aîné. Ce n’est pas votre faute si la tâche s’est avérée grandiose et redoutable. J’en suis désolé …

Ren Boz proposa de retourner au camp de l’expédition. Les trois hommes cheminèrent la tête basse, déplorant chacun à sa manière l’obligation de renoncer à l’expérience. Dar Véter regardait à la dérobée ses compagnons et songeait qu’il souffrait plus que les autres. Il y avait en lui une témérité qu’il devait combattre toute sa vie. Il était un peu comme les anciens brigands : pourquoi avait-il éprouvé tant de joie dans la lutte audacieuse avec le taureau ? Son âme se révoltait contre la décision qu’il avait prise, décision sage, mais dénuée d’héroïsme.

CHAPITRE VI

LA LÉGENDE DES SOLEILS BLEUS

La doctoresse Louma Lasvi et le biologiste Éon Tal sortirent péniblement de la cabine aménagée en infirmerie. Erg Noor s’élança au-devant d’eux.

— Niza ?

— Elle est vivante, mais …

— Elle meurt ?

— Pas encore. Une paralysie totale. La respiration est très ralentie. Le cœur bat un coup toutes les cent secondes. Ce n’est pas la mort, c’est un collapsus qui peut durer indéfiniment.

— La conscience et les douleurs sont exclues ?

— Oui.

— Absolument ?

Le regard du chef était aigu, exigeant, mais le médecin ne se laissa pas déconcerter.

— Absolument ?

Erg Noor interrogea du regard le biologiste qui répondit par un signe affirmatif.

— Que comptez-vous faire ?

— La garder dans un milieu à température constante, dans le repos absolu, sous une lumière faible. Si le collapsus ne progresse pas …, ce sera une sorte de sommeil … qui durera jusqu’à la Terre … Ensuite, on la mettra à l’institut des Courants Neurologiques. Le mal a pour cause un courant quelconque … Le scaphandre est perforé en trois endroits. Heureusement qu’elle respirait à peine !

— J’ai remarqué les trous et les ai bouchés avec mon emplâtre, dit le biologiste.

Erg Noor, reconnaissant, lui serra le bras au-dessus du coude sans mot dire.

— Seulement …, fit Louma, il vaut mieux quitter au plus vite le champ de gravitation accrue …, mais le plus dangereux dans l’affaire, ce n’est pas l’accélération de l’envol, c’est le retour à la force de pesanteur normale.

— Je vois : vous craignez que le pouls ne ralentisse encore. Ce n’est pourtant pas un pendule qui accélère ses oscillations dans un champ de gravitation accrue ?

— Le rythme des impulsions dans l’organisme est régi dans l’ensemble par les mêmes lois. Si les battements du cœur ralentissent jusqu’à un coup par deux cents secondes, l’afflux du sang au cerveau sera insuffisant et …

Erg Noor, tout à ses pensées, avait oublié ses interlocuteurs ; revenu à lui, il poussa un grand soupir.

Les autres attendaient patiemment.

— Si on soumettait l’organisme à l’hypertension dans une atmosphère enrichie d’oxygène ? Hasarda le chef, et les sourires satisfaits du médecin et du biologiste lui apprirent que l’idée était bonne.

— Saturer le sang de gaz, sous une grande pression partielle, c’est excellent … Bien entendu, nous prendrons des mesures contre la thrombose, et alors un coup toutes les deux cents secondes ne présentera aucun danger. Cela se régularisera par la suite …

Éon montra ses grandes dents blanches sous la moustache noire, et son visage grave devint aussitôt jeune et gai.

— L’organisme restera inconscient, mais il vivra, dit Louma d’un ton soulagé. Nous allons préparer la chambre. Je veux utiliser la grande vitrine de silicolle destinée aux collections de Zirda. On peut y placer un fauteuil flottant que nous transformerons en lit pendant l’envol. L’accélération une fois terminée, nous installerons Niza définitivement …

— Dès que vous serez prêts, faites-le savoir au poste. Nous ne tarderons pas une minute … Assez de ténèbres et de pesanteur !..

Chacun regagna en hâte son compartiment, luttant de son mieux contre l’attraction accablante de la planète noire.

Les signaux du départ entonnèrent leur chant triomphal.

C’est avec un soulagement sans précédent que les membres de l’expédition s’abandonnèrent à la douce étreinte des fauteuils hydrauliques. Mais l’envol à partir d’une planète lourde était une entreprise difficile et périlleuse. L’accélération nécessaire au décollage se trouvait à la limite de l’endurance humaine, la moindre erreur du pilote risquait d’entraîner une catastrophe.