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Mais aucun vaisseau de la Terre ou de ses voisins de l’Anneau ne pouvait atteindre cet océan de flamme. La projection visuelle céda la place à un compte rendu verbal des observations ; on vit apparaître sur l’écran des épures stéréométriques qui montraient la disposition de la première et de la seconde planète de Véga. La Voile n’avait pas pu s’approcher de la seconde, séparée de l’étoile par une distance de cent millions de kilomètres.

Des protubérances monstrueuses, jaillies du fond de l’océan de feu violet qui enveloppait l’astre, tendaient dans l’espace leurs bras destructeurs. L’énergie de Véga était si grande qu’elle émettait la lumière des quanta maxima, partie violette invisible du spectre. Aux yeux humains, même protégés par un triple filtre, elle donnait une terrible sensation d’irréalité, de fantôme porteur d’un danger mortel … Des tempêtes de lumière se déchaînaient, surmontant l’attraction de l’étoile. Leurs répercussions lointaines secouaient et balançaient la Voile. Les compteurs de rayons cosmiques et d’autres radiations dures cessaient de fonctionner. Une ionisation dangereuse se produisait à l’intérieur du vaisseau, malgré sa cuirasse. On ne pouvait que deviner la frénésie du rayonnement qui se précipitait dans le vide en un torrent formidable.

Le chef de la Voile conduisit prudemment l’astronef vers la troisième planète, volumineuse, mais revêtue d’une atmosphère mince et transparente. Le souffle embrasé de l’étoile bleue avait sans doute chassé la couche des gaz légers, qui suivaient à présent la planète du côté ombreux sous l’aspect d’une longue traîne luminescente. Les émanations corrosives du fluor, le poison de l’oxyde de carbone et la densité des gaz inertes rendaient cette atmosphère irrespirable pour tout être terrestre …

L’intensité du soleil bleu provoquait l’activité de la matière minérale inerte. Des pics, des crêtes aiguës, des murailles dentelées de roches, rouges comme des plaies vives ou noires comme des abîmes, saillaient des entrailles de la planète. Les plateaux de lave balayés par des tourbillons furieux présentaient des crevasses et des effondrements qui sécrétaient du magma chauffé au rouge et semblaient des veines de feu sanglant.

D’épais nuages de cendre, d’un bleu éblouissant du côté lumière, d’un noir impénétrable du côté ombre, s’élevaient à une grande hauteur. Des éclairs géants, mesurant des milliers de kilomètres de long, zigzaguaient en tous sens, témoins de la saturation électrique de cette atmosphère sans vie.

Sous le terrible fantôme du soleil violet et le ciel noir à moitié caché par le halo nacré, s’étalait un bariolage d’ombres écarlates parmi le chaos des rochers, les sillons, les méandres et les cercles de flamme et le scintillement continuel des éclairs glauques.

Les stéréotélescopes avaient transmis et les films électroniques avaient enregistré ce tableau avec une précision impartiale, étrangère à l’esprit humain.

Mais auprès des appareils, il y avait la raison des astronautes, qui protestait contre ces forces ineptes de destruction et d’accumulation de la matière inerte et concevait l’hostilité de ce monde de feu cosmique décharné. Hypnotisés par ce spectacle, les quatre astronautes échangèrent des regards approbateurs lorsque la voix annonça que la Voile se dirigeait sur la quatrième planète.

La sélection humaine des événements avait raccourci le temps : la dernière planète de Véga, d’une dimension proche de celle de la Terre, grandissait déjà sous les télescopes de carène du vaisseau. La Voile descendait rapidement. Son équipage avait apparemment décidé d’explorer coûte que coûte la dernière planète, dans l’espoir suprême de découvrir un monde sinon splendide, du moins habitable.

Erg Noor se surprit à prononcer mentalement ce terme concessif : « du moins ». C’était sans doute le point de vue des gens qui avaient piloté la Voile et examiné la planète au télescope …

« Du moins » …, ces deux syllabes renfermaient le renoncement au rêve de voir autour de Véga des mondes splendides, de trouver des planètes-perles au fond de l’océan cosmique, au prix de quarante-cinq ans de réclusion dans l’astronef.

Mais, captivé par le spectacle, Erg Noor n’y songea pas tout de suite. L’écran hémisphérique l’entraînait au-dessus de la planète lointaine. La désillusion fut amère pour les explorateurs, pour les disparus comme pour les vivants : la planète ressemblait à Mars, voisin de la Terre et connu depuis l’enfance. La même enveloppe gazeuse, mince et transparente, le même ciel vert sombre, toujours serein, la même surface unie des continents déserts, aux chaînes de montagnes écroulées. Mais sur Mars, les nuits étaient d’un froid mordant et les jours se distinguaient par de brusques écarts de température. Il y avait là des marais peu profonds, pareils à des flaques géantes, presque à sec, des pluies ou du givre chiches et rares, une maigre flore et une faune bizarre, malingre, souterraine.

Tandis qu’ici, la flamme joyeuse du soleil bleu apparentait la planète à nos déserts les plus brûlants. Les vapeurs d’eau montaient en quantités infimes dans les couches supérieures de l’enveloppe aérienne, les vastes plaines n’étaient ombragées que par des remous de courants thermiques qui troublaient sans cesse l’atmosphère. La planète tournait aussi vite que les autres. Le refroidissement nocturne avait changé les roches en mer de sable dont les grandes taches orangées, violettes, vertes, bleuâtres ou neigeuses semblaient de loin des nappes d’eau ou des fourrés de plantes imaginaires. Les montagnes érodées, plus hautes que celles de Mars, mais toutes mortes, étaient vêtues d’une écorce brillante, noire ou brune. Les puissantes radiations ultraviolettes du soleil bleu désagrégeaient les minéraux, évaporaient les éléments légers.

Les plaines de sable clair paraissaient dégager elles-mêmes du feu. Erg Noor se rappela qu’aux temps jadis, où les savants ne constituaient qu’une petite minorité de la population terrestre, les écrivains et artistes rêvaient d’hommes d’autres planètes, adaptés aux températures élevées. C’était beau et poétique, cela exaltait la foi dans la puissance de la nature humaine. Les habitants de planètes merveilleuses accueillant leurs frères terrestres dans le souffle embrasé des soleils bleus !..

Beaucoup de gens, dont Erg Noor, avaient été impressionnés par un tableau exposé au musée d’un centre oriental de la zone Sud : une plaine de sable écarlate, embrumée à l’horizon, un ciel gris en feu et sous cette voûte incandescente, des formes humaines en scaphandres thermiques, qui projettent des ombres bleu-noir, d’une brutalité inouïe. Elles sont arrêtées dans des poses dynamiques, pleines de surprise, devant l’angle d’un ouvrage métallique chauffé presque à blanc. Auprès du métal se tient une femme nue, aux cheveux roux dénoués. L’éclat de sa peau blanche éclipse celui des sables ; les ombres mauves et carminées accentuent chaque ligne de la svelte silhouette, dressée tel un drapeau de la vie splendide, victorieuse des forces du Cosmos. Oui, splendide, c’est là l’essentiel ! Peut-on considérer comme une victoire l’adaptation aux conditions difficiles d’un être réduit à l’état d’un dévoreur informe ? Rêve hardi, mais absolument irréalisable, contraire à toutes les lois de l’évolution biologique qui sont bien mieux étudiées aujourd’hui, à l’époque de l’Anneau, qu’aux temps de cette peinture.