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— Key, mon ami, réveille Lin.

— Qu’est-ce qu’il y a ?

— L’intensité du champ d’attraction augmente plus qu’elle ne le devrait.

— Et qu’y a-t-il sur notre chemin ?

— Toujours les ténèbres !

Ingrid s’en fut. Key Baer alla réveiller l’astronavigateur, qui se précipita au poste central.

— Rien de grave. Mais d’où vient ce champ de gravitation ? Il est trop puissant pour un nuage opaque, et pas d’étoile à proximité … Lin réfléchit, appuya sur le bouton de réveil de la cabine d’Erg Noor, réfléchit encore et brancha la cabine de Niza Krit.

— Si tout va bien, ils nous relèveront, voilà tout, expliqua-t-il à Ingrid anxieuse.

— Et si ça va mal ? Erg Noor ne sera revenu à lui que dans cinq heures. Que faire ?

— Attendre tranquillement, répondit l’astronavigateur. Que veux-tu qu’il arrive en cinq heures dans cette zone si éloignée de tout système stellaire ?

La tonalité du son des appareils baissait continuellement, sans commutation, preuve que les circonstances du vol se modifiaient. L’attente anxieuse ralentissait la marche du temps. Deux heures semblèrent aussi longues que toute une veillée. Pel Lin restait calme en apparence, mais l’agitation d’Ingrid s’était communiquée à Key Baer. Il se retournait fréquemment vers la porte, croyant voir entrer Erg Noor, impétueux comme toujours, bien qu’il sût que le réveil après un sommeil prolongé était lent.

Une sonnerie subite les fit tous tressaillir. Ingrid se cramponna à Key Baer.

— La Tantra est en danger ! L’intensité du champ est deux fois plus forte que ne le prédisaient les calculs !

L’astronavigateur pâlit. Il fallait faire face à l’imprévu. Le sort du vaisseau était entre ses mains. L’attraction croissante imposait la nécessité de ralentir la marche de l’astronef, non seulement parce que son poids augmentait, mais aussi à cause d’une grande accumulation de matière dense qui devait se trouver sur son chemin. Or, si on ralentissait, il n’y aurait plus moyen de revenir à la vitesse initiale ! Les dents serrées, Pel Lin tourna la manette des moteurs planétaires : la sonnerie alarmante cessa, l’aiguille de l’appareil indiquant le rapport de la gravitation et de la vitesse confirma que l’équilibre était rétabli. Mais à peine Pel Lin eut-il débranché le frein, que la sonnerie reprit. Cette terrible force d’attraction contraignait le vaisseau à ralentir sa marche. Sans aucun doute fonçait-il droit sur le centre de gravitation.

L’astronavigateur n’osa pas virer de bord, l’opération étant très risquée. Il freinait à l’aide des moteurs planétaires, malgré l’évidence de l’erreur qu’on avait commise en se dirigeant à travers la masse de matière inconnue.

— Le champ d’attraction est vaste, fit observer à mi-voix Ingrid, peut-être que …

— Il faut ralentir encore, pour tourner, s’écria l’astronavigateur, mais comment accélérer ensuite ? On percevait dans ses paroles une indécision funeste.

— Nous avons déjà percé la zone externe, répliqua Ingrid. La gravitation s’accroît rapidement.

Des coups sonores se suivaient à un rythme accéléré : les moteurs planétaires s’étaient embrayés automatiquement, lorsque la machine électronique qui commandait l’astronef eut senti devant elle une immense accumulation de matière. La Tantra oscillait. Malgré le ralentissement de la marche, les gens du poste central commençaient à perdre connaissance. Ingrid tomba à genoux. Pel Lin, assis dans le fauteuil, s’efforçait de relever sa tête lourde. Key Baer, en proie à la panique, était désemparé comme un enfant.

Les coups des moteurs, de plus en plus précipités, se fondirent en un rugissement continu. Le cerveau électronique du vaisseau luttait à la place de ses maîtres à demi évanouis. Mais si puissant qu’il fût à sa manière, il ne pouvait prévoir les conséquences complexes, ni trouver la bonne solution dans les cas exceptionnels.

L’oscillation de la Tantra faiblit. Les colonnes indiquant les réserves de charges ioniques planétaires baissaient à vue d’œil. Pel Lin, revenu à lui, comprit que l’étrange accroissement d’attraction était si rapide qu’il fallait prendre des mesures urgentes pour arrêter le vaisseau dans son vol vers le centre du gouffre noir et changer de route.

Il tourna la manette des moteurs à anaméson. Quatre cylindres en borazon-nitrure de bore, visibles par une fente spéciale du tableau, s’éclairèrent en dedans. Une flamme verte s’y démena furieusement, ruissela et s’enroula en quatre spirales serrées. À l’avant du vaisseau, un champ magnétique puissant avait enrobé les tuyères des moteurs pour les préserver de la destruction.

Pel Lin poussa la manette plus loin ; on aperçut à travers le tourbillon de lumière verte le rayon directeur, un flux grisâtre de particules K[12]. Encore un mouvement et, le long du rayon gris, fulgura un éclair violet, signal d’un échappement impétueux de l’anaméson. Tout le corps du vaisseau réagit par une vibration de haute fréquence, presque imperceptible, mais difficile à supporter …

Erg Noor, après avoir pris sa ration de nourriture, somnolait sous un délicieux massage électrique du système nerveux. Le néant qui lui enveloppait le cerveau et le corps se retirait lentement. La mélodie du réveil résonnait plus fort …

Soudain, une impression désagréable, venue du dehors, vint interrompre la joie du retour à la vie après quatre-vingt-dix jours de sommeil. Erg Noor se sentit chef de l’expédition et lutta avec acharnement pour recouvrer sa conscience normale. Enfin, il constata une perte de vitesse et l’embrayage des moteurs à anaméson, preuve qu’il était arrivé quelque chose. Erg Noor essaya de se lever. Mais son corps restait inerte, ses jambes fléchirent, il s’écroula sur le plancher de la cabine. Au bout d’un moment il réussit à ramper jusqu’à la porte et à l’ouvrir. Sa conscience se faisait jour à travers le brouillard du sommeil ; dans le corridor, il se mit à quatre pattes et s’engouffra dans le poste central.

Les gens occupés à surveiller les réflecteurs et les cadrans se retournèrent avec effroi et coururent à lui. Erg Noor, incapable de se redresser, balbutia :

— Les réflecteurs avant … branchez sur l’infrarouge … arrêtez … les moteurs !

Les cylindres en borazon s’éteignirent en même temps que cessa la vibration du vaisseau. Dans le réflecteur avant de droite apparut une étoile immense qui dégageait une lueur faible, de couleur marron. Tous s’immobilisèrent, les yeux fixés sur ce disque énorme, surgi des ténèbres en face du vaisseau.

— Imbécile que j’étais ! lança Pel Lin, contrit. Moi qui nous croyais près d’un nuage opaque ! Or, c’est …

— Une étoile de fer ! s’écria Ingrid Ditra, épouvantée.

Erg Noor se leva en s’appuyant au dossier d’un fauteuil. Son visage, pâle d’ordinaire, avait blêmi, mais les yeux brillaient comme toujours d’un vif éclat.

— Oui, c’est une étoile de fer, dit-il lentement. C’est la terreur des astronautes !

Tous les regards se tournèrent vers lui avec crainte et espoir. Personne ne l’avait soupçonnée dans cette région.

— Je ne songeais qu’au nuage, murmura Pel Lin, penaud.

— Un nuage opaque qui possède une telle force d’attraction doit contenir des particules solides assez volumineuses, et la Tantra aurait déjà péri, car il est impossible d’éviter une collision dans un essaim pareil, dit le chef à mi-voix, d’un ton ferme.

— Mais ces brusques changements d’intensité, ces remous, ne signalent-ils pas la présence d’un nuage ?

— Ou celle d’une ou de plusieurs planètes gravitant autour de l’étoile …

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12

Particules nucléaires imaginaires, constituées de fragments de nuage mésonique annulaire.