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L’œil vert se ralluma tout à coup, et Véda eut de nouveau le vertige en voyant l’écran s’enfoncer dans le gouffre cosmique.

Les contours nets de l’image témoignaient que c’était un enregistrement de machine mnémotechnique et non un captage direct.

On aperçut d’abord la surface d’une planète, vue naturellement d’une station externe placée sur un satellite artificiel. Un soleil immense, mauve pâle, d’une intensité qui le faisait

paraître irréel, inondait de ses rayons pénétrants les nuages bleus de l’atomsphère.

— G’est-bien l’étoile Epsilon du Toucan, classe G9 d’une température très élevée et 78 fois plus lumineuse que nos soleils, chuchota Mven Mas.

Dar Véter et Junius Ante firent un signe affirmatif.

La vue se modifia, parut se rétrécir et descendre au ras du sol du monde inconnu.

De hautes montagnes qui semblaient moulées en terre, profilaient sur le ciel leurs dômes cuivrés. Une roche ou un métal inconnu, de structure granulée, scintillait à la lumière éclatante du soleil bleuté. Bien que la transmission fût imparfaite, le tableau était d’une splendeur solennelle, triomphante.

Les rayons réfléchis faisaient aux monts cuivrés un nimbe rosé qui se mirait en un large ruban dans les flots calmes d’une mer violette. L’eau couleur d’améthyste semblait lourde et imprégnée d’étincelles rouges qui clignotaient comme des essaims de petits yeux vivants. Les vagues léchaient le soubassement massif d’une statue géante, en pierre rouge sombre, dressée loin du rivage dans une solitude orgueilleuse. C’était une figure de femme qui renversait la tête et tendait les bras dans une attitude d’extase vers la voûte ardente du ciel. Elle aurait pu être la fille de la Terre: sa ressemblance avec les terriens était non moins frappante que la beauté de la sculpture. Son corps, tel le rêve incarné d’un artiste de la Terre, alliait la puissance à la spiritualité de ses moindres lignes. La pierre polie dégageait une flamme de vie mystérieuse et fascinante.

Les cinq spectateurs terrestres contemplaient en silence ce monde surprenant. La poitrine robuste de Mven Mas exhala un long soupir: du premier coup d’œil jeté sur la statue, ses nerfs s’étaient tendus dans une attente joyeuse.

En face du monument, sur la côte, des tours d’argent ajourées marquaient le départ d’un large escalier blanc qui s’élançait librement par-dessus le bois d’arbres sveltes, au feuillage d’azur.

— Elles doivent sonner! chuchota Dar Véter à l’oreille de Véda, en montrant les tours. Elle acquiesça.

L’appareil visuel de la nouvelle planète s’enfonçait toujours, en un mouvement continu et silencieux.

On entrevit des murs blancs, à ressauts, percés d’un portail en pierre bleue, et l’écran se déploya dans une haute salle inondée de lumière. La teinte nacrée des parois sillonnées de rainures prêtait à toutes choses une netteté particulière. L’attention des terriens fut attirée par un groupe de gens debout devant un panneau vert émeraude.

Le rouge feu de leur peau correspondait à la nuance de la statue au bord de la mer. Il n’avait rien d’étonnant pour les habitants de la Terre, car certaines tribus d’Indiens de l’Amérique centrale, d’après les chromophotographies conservées depuis l’antiquité, avaient une couleur d’épiderme à peine moins vive.

Il y avait là deux femmes et deux hommes. Les deux couples portaient des habits différents. Ceux qui étaient plus près du panneau vert, avaient des vêtements courts, sorte d’élégantes combinaisons dorées, à plusieurs fermetures. Les deux autres étaient enveloppés des pieds à la tête de manteaux semblables, de la même nuance nacrée" que les murs.

Les deux premiers touchaient, avec des mouvements plastiques, des cordes tendues en biais au bord gauche du panneau. La paroi.d’émeraude polie ou de verre devenait diaphane. Au rythme de leurs gestes, des images nettes se succédaient dans le cristal. Elles changeaient si vite que même les yeux exercés de Junius Ante et de Dar Véter avaient de la peine à en saisir le sens.

Dans cette alternance de montagnes cuivrées, d’océans violets et de forêts d’azur, on devinait l’histoire de la planète. Des animaux et des plantes, parfois monstrueux, parfois superbes, défilaient, spectres du passé. Beaucoup d’entre eux ressemblaient à ceux dont les vestiges s’étaient conservés dans les strates de l’écorce terrestre. La longue échelle des formes de la vie attestait une évolution qui paraissait aux habitants de la Terre plus ardue, plus tourmentée que leur propre généalogie.

De nouveaux tableaux surgissaient dans la clarté fantomatique de l’appareiclass="underline" des entassements de rochers dans les plaines, des combats avec des bêtes féroces, des cérémonies funèbres et religieuses. Une silhouette d’homme drapé dans une fourrure bigarrée, occupa toute la hauteur de l’écran. Appuyé d’une main sur un javelot et levant l’autre vers les étoiles d’un geste large, il avait posé un pied sur le cou d’un monstre terrassé, à la crinière de poils rudes et aux longs crocs. A l’arrière-plan, il y avait une rangée de femmes et d’hommes qui se tenaient les mains deux par deux et semblaient chanter.

Les visions disparurent, cédant la place à la paroi de pierre sombre et polie.

Alors, les deux êtres vêtus d’or s’écartèrent à droite et l’autre couple s’avança. Les manteaux furent jetés bas d’un geste rapide et les corps rouges flamboyèrent sur le fond irisé des murs. L’homme tendit les bras à sa compagne, elle lui répondit par un sourire si fier et si rayonnant que les terriens ne purent s’empêcher de sourire. Là-bas, dans la salle nacrée du monde lointain, une danse lente commençait. C’était moins une danse que des poses rythmiques, destinées sans doute à montrer la beauté et la souplesse des corps. Cependant, on devinait dans la succession cadencée des gestes une musique solenelle et triste, tel le souvenir de la grande cohorte des victimes de l’évolution qui avait abouti à cette forme admirable de l’être pensant: l’homme.

Mven Mas croyait entendre la mélodie, gerbe de notes hautes et pures, soutenue par le rythme régulier des sons graves. Véda Kong pressa la main de Dar Véter qui n’y fit aucune attention. Junius Ante regardait, immobile, sans un souffle, tandis que de grosses gouttes de sueur perlaient sur son front dégagé.

Les hommes du Toucan ressemblaient tellement à ceux de la Terre, qu’on perdait peu à peu l’impression d’un autre monde. Mais les hommes rouges étaient d’une beauté accomplie qu’on rencontrait rarement sur la Terre, où elle vivait dans les rêves et les œuvres des artistes et s’incarnait dans un petit nombre d’individus.

«Plus la voie de l’évolution animale jusqu’à l’être pensant était longue et pénible, plus les formes supérieures de la vie sont parfaites et par conséquent plus belles, songeait Dar Véter. Les terriens ont compris depuis longtemps que la beauté est l’expression d’une structure logique, bien adaptée à sa destination. Plus la destination est variée, plus la forme est belle: ces hommes rouges doivent être plus intelligents et plus habiles que nous… Il se peut que leur civilisation tienne du développement de l’homme lui-même, de sa puissance physique et spirituelle, plus que du progrès technique. Même à l’avènement de la société communiste, notre culture restait essentiellement technique, et c’est seulement depuis l’Ere du Travail Général qu’elle s’applique à perfectionner l’homme et non seulement ses machines, ses maisons, sa nourriture et ses divertissements…»