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Evda Nal s’interrompit, lissa ses cheveux du même geste que Réa, qui ne la quittait pas des yeux, et continua:

— Jadis on appelait rêves le désir de connaître la réalité du monde. Vous rêverez ainsi toute votre vie et jouirez du savoir, du mouvement, de la lutte et du travail. Ne faites pas attention aux chutes qui suivent les envolées de l’âme: ce sont des spires normales du mouvement commun à toute matière. La liberté est sévère, mais vous y êtes préparés par,la discipline de votre formation, et le sens de la responsabilité vous donne droit aux changements d’activité qui constituent le bonheur personnel. Les rêves de la douce inaction du paradis ont été démentis par l’histoire, car ils sont contraires à la nature de l’homme combattant. Toute époque a eu ses revers et les aura toujours, mais le bonheur de l’humanité est devenu l’ascension continuelle et rapide vers des cimes de plus en plus hautes du savoir et des sentiments, de la science et de l’art!

Sa conférence terminée, Evda Nal rejoignit les premiers rangs où Véda Kong la salua comme elle avait salué Tchara à la fête. Et tous les autres s’étaient levés, répétant ce geste d’enthousiasme.

CHAPITRE X

L’EXPERIENCE DU TIBET

L’installation de Kor Ioule se trouvait au sommet d’un plateau, à un kilomètre seulement de l’observatoire du Tibet du Conseil d’Astronautique. Quatre mille mètres d’altitude excluaient toute végétation ligneuse, sauf des arbres importés de Mars, au tronc vert sombre et dépourvus de

feuillage, avec des branches recourbées vers le haut. L’herbe jaune pâle de la vallée ployait sous le vent, tandis que ces robustes représentants d’un monde étranger demeuraient absolument immobiles. Des éboulis de rochers longeaient les flancs des montagnes, tels des fleuves de pierre. Les plaques de neige resplendissaient de blancheur sous le ciel éclatant.

Derrière les vestiges d’un mur en diorite craquelée, ruines d’un couvent bâti avec une audace inouie à cette hauteur, s’érigeait une tour tubulaire en acier qui soutenait deux arcs ajourés. Une immense spirale parabolique en bronze de béryllium, constellée de contacts en rhénium, était fixée dessus en biais, I’évasement tourné vers le ciel. Une deuxième spirale, accotée à la première mais ouverte en direction du sol, recouvrait huit grands cônes en borazon verdâtre. Des tuyaux de six mètres de section y amenaient l’énergie. A travers la vallée s’échelonnaient des poteaux munis d’anneaux de guidage, dérivation temporaire de la ligne principale de l’observatoire qui recevait pendant son fonctionnement le courant de toutes les stations de la planète. Ren Boz regardait tous ces changements avec plaisir, en tiraillant ses mèches de cheveux rebelles. L’installation avait été montée par des volontaires en un temps record. On avait eu beaucoup de mal à creuser des tranchées dans la roche dure, sans faire venir de puissantes perforatrices, mais c’était fini. Les travailleurs qui voulaient naturellement, pour leur peine, assister à la grande expérience, avaient dressé leurs tentes un peu plus loin, sur une déclivité douce, au nord de l’observatoire.

Mven Mas qui détenait toute la force terrestre et les contacts avec le Cosmos, était assis sur la pierre froide, en face du physicien, et racontait, avec un léger frisson, les nouvelles de l’Anneau. Le satellite 57 servait depuis quelque temps à communiquer avec les astronefs et les planétonefs et ne travaillait plus pour l’Anneau. Quand Mven Mas eut annoncé que Vlihh oz Ddiz avait péri près de l’étoile E, le physicien fatigué s’anima.

— L’intensité maximum de l’attraction vers l’étoile E / augmente réchauffement au cours de l’évolution de l’astre. Il en résulte une géante violette d’une force monstrueuse, qui triomphe de l’attraction colossale. La partie rouge de son spectre est supprimée, car malgré la puissance du champ de gravitation, les ondes des rayons lumineux se raccourcissent au lieu de s’allonger.

— Elles deviennent violettes et ultraviolettes, confirma Mven Mas.

— Le processus va plus loin. L’accroissement continu des quanta aboutit à la transgression du champ zéro et donne la zone d’antiespace, second aspect du mouvement de la matière, qu’on ignore sur le globe terrestre, vu la petitesse de ses dimensions. Nous ne pourrions rien obtenir de pareil, même en brûlant tout l’hydrogène de l’océan…

Mven Mas fit un calcul mental instantané.

— Quinze mille trillions de tonnes d’eau, converties en énergie du cycle d’hydrogène suivant le principe de la relativité masse-énergie, cela fait, en gros, un trillion de tonnes d’énergie. Or, le soleil en fournit 240 millions de tonnes par minute; c’est donc à peine dix ans de rayonnement solaire!

Ren Boz eut un sourire satisfait.

— Et que donnera la géante bleue?

— Je ne puis le dire au juste. Mais jugez vous-même. Le Grand Nuage contient l’amas NGK 1910 près de la Nébuleuse de la Tarentule… Pardon, j’ai l’habitude d’employer les anciens noms!

— Aucune importance!

— Or, cet amas, dont le diamètre mesure seulement soixante-dix parsecs, compte au moins une centaine d’étoiles géantes.

En général, la Nébuleuse de la Tarentule est si brillante que si on la rapprochait de vous, mettons, à la distance où se trouve la Nébuleuse bien connue d’Orion, sa clarté serait égale à celle de la pleine lune.

II y a dans ce secteur la géante bleue ES de la Dorade, dont le spectre présente les raies claires de l’hydrogène et des raies sombres près du bord violet. Son diamètre est supérieur à celui de l’orbke de la Terre et sa luminosité équivaut à un demi-million de nos soleils! C’est d’une étoile de ce genre que vous voulez parler? Dans l’amas en question, il existe des étoiles encore plus volumineuses, d’une circonférence égale à l’orbite de Jupiter, mais elles ne font que s’échauffer.

— Laissons là ces géantes. Les hommes ont regardé pendant des milliers d’années les nuages annulaires du Verseau, de la Grande Ourse et de la Lyre, sans comprendre qu’ils avaient affaire aux champs neutres de gravitation zéro, état transitoire entre l’attraction et l’antiattraotion. C’était là l’énigme de l’espace zéro.

Ren Boz se leva brusquement du seuil du blindage de commande, construit en gros blocs enrobés de silicate.

— Je me suis reposé. Mettons-nous à l’œuvre!

Le cœur de Mven Mas battit la chamade, l’émotion lui serra la gorge. Il poussa un grand soupir. Ren Boz restait calme en apparence; seul, l’éclat fébrile de ses yeux révélait la concentration de pensée et de volonté d’un homme qui va tenter une entreprise dangereuse.

Mven Mas serra dans sa poigne la petite main ferme de Ren Boz. Un signe de tête, et voici la haute silhouette de l’Africain descendant la montagne en direction de l’observatoire. La bise hurla d’un ton lugubre, envoyée par les glaciers des monts qui gardaient la route comme de gigantesques sentinelles. Mven Mas, frissonnant, pressa le pas, bien qu’il eût tout le temps: l’expérience devait commencer après le coucher du soleil.

Mven Mas communiqua avec le satellite 57 par la radio de diapason lunaire. Les réflecteurs et les viseurs de la station fixèrent Epsilon du Toucan pour les quelques minutes de révolution du satellite entre le 33e degré de latitude nord et le Pôle Sud, où l’étoile était visible de son orbite.