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— Et Ren Boz est toujours là-bas?

— On ne peut pas le transporter. Il a les membres fracturés, les côtes et le ventre défoncés.

— Gomment?

— Le ventre est ouvert…

Les jambes fléchissantes, Mven Mas se cramponna convulsivement aux épaules de ceux qui le soutenaient. Mais il avait recouvré sa volonté et sa raison,

— Il faut sauver Ren Boz à tout prix! C’est un grand savant…

— Nous ne l’ignorons pas. Cinq médecins s’occupent de lui. On a construit au-dessus du patient une tente stérile pour l’intervention chirurgicale. Deux volontaires donnent leur sang. Le tïratron, le cœur et le foie artificiels fonctionnent déjà.

— Alors, conduisez-moi au bureau radiophonique. Mettez-vous en contact avec le réseau mondial et appelez le centre d’information de la zone Nord. Que devient le satellite 57?

— On l’a appelé. Pas de réponse.

— Les télescopes sont intacts?

— Oui.

— Repérez le satellite au télescope et examinez-le à l’inverseur électronique avec grossissement maximum…

L’homme de service du centre Nord d’information vit sur l’écran un visage ensanglanté, aux yeux hagards. Il eut du mal à reconnaître le directeur des stations externes, personnalité connue de toute la planète.

— Je veux parler à Grom Orm, président du Conseil d’Astronautique, et à la doctoresse Evda Nal.

L’homme fit un signe de tête et mania les boutons et les verniers de la machine mnémotechnique. La réponse vint au bout d’une minute.

— Grom Orm se documente, il passe la nuit au foyer du Conseil. Faut-il l’appeler?

— Oui. Et Evda Nal aussi.

— Elle est à l’école 410, en Irlande. Je vais essayer de l’avoir…

L’employé consulta le schéma au bureau radiophonique

— C’est indispensable! Il y va de la vie d’un grand savant!

L’homme détacha les yeux de ses schémas.

— Un accident?

— Un accident terrible!

— Je passe le poste à mon adjoint et je suis à vous. Attendez!

Mven Mas se laissa tomber dans le fauteuil qu’on lui avait avancé, et fit un effort pour recueillir ses idées et sa volonté. Le directeur de l’observatoire se précipita dans la pièce.

— On vient de fixer la position du satellite 57. Il n’existe plus!

Mven Mas se leva, comme s’il n’avait pas reçu de lésions. L’autre poursuivit son rapport accablant:

— Il reste un débris de l’avant — le port d’attache des vaisseaux stellaires — qui suit toujours l’ancienne orbite. Je suppose qu’il y a aussi de menus fragments, mais on ne les a pas encore découverts…

— Les observateurs…

— Ont certainement péri!

Mven Mas s’assit, les poings serrés. Il y eut un pénible silence. Puis l’écran se ralluma.

— Grom Orm est à l’écoute, au siège du Conseil, dit l’homme de service et il tourna la manette. Sur l’écran qui reflétait une vaste salle faiblement éclairée, apparut le masque expressif du président: visage en lame de couteau, nez busqué, regard sceptique des yeux enfoncés dans les orbites, pli interrogatif des lèvres pincées… Sous son regard, Mven Mas baissa la tête comme un gamin pris en faute.

— Le satellite 57 a péri! avoua-t-il sans préambules, avec la sensation de plonger dans une eau noire. Grom Orm tressaillit, son visage devint encore plus aigu.

— Comment cela se fait il?

Mven Mas raconta l’histoire en termes brefs et précis, sans dissimuler que l’expérience était interdite et sans se ménager. Le président du Conseil avait froncé les sourcils, de longues rides s’étaient creusées autour de sa bouche, mais ses yeux demeuraient calmes.

— Attendez, je vais faire secourir Ren Boz. Croyez-vous qu’Af Nout…

— Ah, si c’était lui!

L’écran ternit. L’attente parut interminable. Mven Mas se maîtrisait dans un effort suprême. Allons, encore une petite minute…, revoilà Grom Orm.

— J’ai trouvé Af Nout et lui ai envoyé un planétonef. Il lui faut au moins une heure pour préparer le matériel et prévenir ses assistants. Af Nout sera chez vous dans deux heures.

Assurez le transport d’une charge lourde. Au fait, votre expérience a-t-elle réussi?

La question prit l’Africain au dépourvu. Il avait certainement vu Epsilon du Toucan. Mais était-ce le contact réel de ce monde infiniment lointain? Ou bien l’action funeste de l’expérience sur l’organisme et le désir ardent de voir avaient-ils produit une hallucination? Pouvait-il annoncer au monde entier que l’expérience avait réussi et qu’il fallait de nouveaux efforts, de nouveaux sacrifices pour la répéter? Que la méthode de Ren Boz valait mieux que celles de ses prédécesseurs? De crainte d’exposer les autres, ils avaient tenté l’expérience à eux deux, les insensés! Qu’avait vu Ren, que pouvait-il raconter?… A supposer qu’il soit en état de parler et qu’il ait vu quelque chose…

Mven Mas se montra encore plus franc.

— Je n’ai pas la preuve du succès. J’ignore ce qu’a vu Ren Boz…

Une tristesse manifeste assombrit le visage de Grom Orm. Simplement attentif l’instant d’avant, il était devenu austère.

— Que comptez-vous faire?

— Permettez-moi de remettre mes pouvoirs à Junius Ante. Je ne suis plus digne de diriger la station. Mon devoir est de rester auprès de Ren Boz jusqu’à la fin… L’Africain resta court et se reprit: jusqu’à la fin de l’opération. Après quoi… je me retirerai dans l’île de l’Oubli en attendant le jugement… Je-me suis déjà condamné moi-même!

— Vous avez peut-être raison. Mais beaucoup de circonstances m’échappent, et je m’abstiens de me prononcer. Votre cas sera examiné à la prochaine séance du Conseil, Qui proposez-vous comme votre remplaçant, tout d’abord pour restaurer le satellite?

— Je ne connais pas de meilleur candidat que Dar Véter!

Le président approuva de la tête. Il dévisagea un moment l’Africain, comme s’il voulait ajouter quelque chose, puis il fit un geste d’adieu. L’écran s’éteignit à propos, car la tête de Mven Mas s’était brouillée.

— Informez Evda Nal de ma part,’ chuchota-t-il au directeur de l’observatoire qui se tenait à côté de lui. Il tomba, essaya en vain de se relever et ne remua plus.

La venue d’un homme de type mongoloïde, d’assez petite taille, au sourire gai et aux allures impératives, attira l’attention générale. Ses assistants lui obéissaient avec l’empressement joyeux des soldats de l’antiquité commandés par un grand capitaine. Mais le prestige. du maître n’annulait pas leur propre initiative. C’était un groupe uni de gens énergiques, prêts à combattre le pire ennemi de l’homme: la mort.

En apprenant que la fiche d’hérédité de Ren Boz n’était pas encore arrivée, Af Nout s’emporta; mais il se calma aussitôt, quand on lui dit qu’Evda Nal en personne s’était chargée de la remplir et de l’apporter.