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— Une rupture, dit Junius Ante de l’écran latéral. Je vous ai montré l’observation du mois dernier, enregistrée par les machines mnémotechniques. Je transmets à présent la réception directe.

Les étincelles et les lignes pourpres continuaient à se démener sur l’écran.

— Voilà qui est singulier! s’écria le physicien. Comment expliquez-vous cette «rupture»?

— Patience! L’émission reprend. Mais qu’est-ce que vous trouvez de singulier?

— La couleur rouge. Dans la spectre, la Nébuleuse d’Andromède se manifeste par un déplacement vers le violet, c’est-à-dire qu’elle doit se rapprocher de nous.

— La rupture n’a rien à voir avec Andromède. C’est un phénomène local!

— Vous croyez que c’est par hasard que leur poste d’émission est situé au bord de la galaxie, dans une zone encore plus éloignée de son centre que la zone du Soleil ne l’est du centre de notre Voie lactée?

Junius Ante toisa Ren Boz d’un regard sceptique.

— Vous ne pensez qu’à discuter, sans songer que la Nébuleuse d’Andromède nous parle à une distance de quatre cent cinquante mille parsecs!

— C’est vrai! fit Ren Boz confondu, elle est séparée de nous par un million cinq cent mille années-lumière. Le message remonte à quinze mille siècles.

— Et ce que nous voyons ici a été envoyé longtemps avant l’époque glaciaire et l’apparition de l’homme sur notre planète!

Junius Ante s’était visiblement radouci.

Les lignes rouges ralentirent leur mouvement, l’écran s’obscurcit et se ralluma soudain. Une plaine rase s’entre voyait à peine dans la pénombre. Des constructions bizar-res, en forme de champignons, y étaient éparpillées. Au premier plan, un vaste cercle bleu clair jetait un éclat métaïli que. Juste en son milieu, pendaient, l’un au-dessus de l’au tre, deux disques biconvexes. Non, ils ne pendaient pas, ils montaient lentement. La plaine disparut, il ne resta qu’un disque, plus bombé du côté inférieur, les deux faces marquées de grosses spirales en relief…

— Ce sont eux, ce sont eux! s’écrièrent les deux savants, frappés par la ressemblance de cette image avec les photographies et les dessins de l’appareil discoïde que la 37e expédition astrale avait découvert sur la planète de l’étoile de fer.

Nouveau tourbillon de lignes rouges, et l’écran s’éteignit, Ren Boz attendait, n’osant détourner son regard… Le premier regard humain qui eût effleuré la vie et la pensée d’une autre galaxie! Mais l’écran ne se rallumait pas. Junius Ante reprit la parole.

— Le message est interrompu. On ne peut dépenser l’énergie terrestre à attendre la suite. Toute la planète sera en émoi! Il faut demander au Conseil de l’Economie de doubler’ la fréquence des réceptions hors programme, mais vu les dépenses nécessitées par l’envoi du Cygne ce ne sera possible que dans un an. Nous savons maintenant que l’astronef dé l’étoile de fer vient de là-bas. Sans la trouvaille d’Erg Noor? nous n’aurions rien compris à la vision.

— Ce disque serait parti d’Andromède? Combien de temps a-t-il donc volé? questionna Ren Boz, comme s’il se parlait à lui-même.

— Il a erré après la mort de l’équipage, pendant près de deux millions d’années, à travers l’espace qui sépare les deux galaxies, répondit Junius Ante d’un ton austère, jusqu’à ce qu’il eût échoué sur la planète de l’étoile T. Ces astronefs doivent atterrir automatiquement, alors même qu’aucun être vivant n’eût touché aux leviers de commande depuis des milliers de millénaires.

— Et si leur vie était très longue?

— Elle ne peut toutefois durer des millions d’années, car ce serait contraire aux lois de la thermodynamique, répondit froidement Junius Ante. Et malgré ses dimensions colossales, le disque n’était pas en mesure de contenir toute une planète d’hommes. , d’êtres pensants… Non, pour le moment les galaxies ne peuvent ni s’atteindre les unes les autres ni même échanger des messages…

— Ce sera bientôt possible, dit Ren Boz, péremptoire. Il prit congé de Junius Ante et regagna le terrain du cosaioport d’où le Cygne venait de s’envoler.

Dar Véter, Véda et Mven Mas se tenaient un peu à l’écart de la foule. Toutes les têtes étaient tournées vers le bâtiment central. Une haute plâ’te-forme passa sans bruit, accueillie par des gestes de salut et des acclamations: chose qu’on ne se permettait que dans les cas exceptionnels. Les vingt-deux membres de l’équipage du Cygne se trouvaient dessus.

La plate-forme aborda l’astronef. Devant le haut ascenseur ambulant se massaient des hommes en combinaison blanche, le visage blême de fatigue: vingt membres d’une commission spéciale, composée essentiellement d’ingénieurs-ouvriers’ du cosmoport. Au cours des dernières vingt-quatre heures, ils avaient vérifié, à l’aide de machines de contrôle, tout l’équipement de l’expédition et s’étaient assurés une fois de plus du bon état du vaisseau au moyen des appareils tensoriels.

Selon le règlement institué à l’aube de l’astronautique, le président de la commission fit son rapport à Erg Noor, réélu chef de l’expédition d’Achernard. D’autres membres de la commission signèrent sur une plaque en bronze où étaient marqués leurs portraits. Après l’avoir remise à Erg Noor, ils prirent congé et se retirèrent. Alors, la foule afflua. On se rangea en bon ordre devant les partants, laissant à leurs proches l’accès du petit palier de l’ascenseur. Les opérateurs de cinéma fixèrent les moindres gestes des astrenau-tcs: c’était le dernier souvenir qui resterait d’eux sur la planète.

Erg Noor aperçut de loin Véda; il fourra le certificat de bronze sous la large ceinture de l’astronavigateur et s’avança en hâte vers la jeune femme…

— Que c’est bien d’être venue, Véda!

— Pouvais-je faire autrement?

— Vous êtes pour moi ie symbole de la Terre et de ma jeunesse!

— La jeunesse de Niza est avec vous, pour toujours l

— Je ne dirai pas que je ne regrette rien, ce serait un mensonge. J’ai pitié de Niza, de mes camarades, de moi-même… La perte est trop grande. Depuis mon dernier retour j’ai appris à aimer la Terre pius fort, plus simplement, avec abnégation…

— Et vous partez néanmoins?

— J’y suis forcé. En refusant, j’aurais perdu non seulement le Cosmos, mais aussi la Terre.

— L’exploit est d’autant plus difficile que l’amour est plus grand?

— Vous m’avez toujours bien compris. Tenez, voici Niza… Je viens d’avouer ma tristesse à Véda…