A vrai dire, il serait difficile de trouver quelque chose d’alchimique à l’appareil construit en 1919 par le célèbre physicien anglais Rutherford. Cet appareil était muni d’un tube grossissant permettant l’étude des quelques éléments radioactifs connus à l’époque. Les émissions radioactives étaient détectées par l’apparition de lueurs fugitives sur un écran de sulfure de zinc. En effet, toute collision entre une particule en provenance d’un noyau d’élément radio-actif et des cristaux de sulfure de zinc provoque une faible lueur que l’on peut observer à l’aide d’un verre grossissant. Les préparations radio-actives étaient placées sur un support au centre même de l’appareil.
Ainsi donc, tout était assez simple et il n’y avait là rien d’étonnant pas plus que la découverte de Rutherford du fait que l’introduction d’une mince plaque de métal ou de mica empêchait les lueurs d’apparaître sur l’écran. Il était évident que les rayons radio-actifs étaient arrêtés par un tel obstacle.
Nul ne saurait dire ce qui incita un jour Rutherford à remplir son appareil d’hydrogène. En tout cas, il fut le témoin de phénomènes extraordinaires : malgré une plaque métallique placée entre la source d’émissions radio-actives et l’écran, les lueurs apparaissaient sur ce dernier exactement comme s’il n’y avait pas eu d’obstacle. Les lueurs disparaissaient dès qu’on évacuait l’hydrogène.
La cause du phénomène ne fut pas découverte immédiatement. Comme il arrive souvent, les idées les plus invraisemblables vinrent à l’esprit alors que, comme d’habitude, la solution était étonnamment simple et pourtant d’une importance considérable.
Les éléments radio-actifs naturels (en l’occurrence il s’agissait du polonium) émettent des rayons alpha, c’est-à-dire des noyaux atomiques d’hélium. Le poids atomique de l’hélium est 4, ses atomes étant 4 fois plus lourds que ceux de l’hydrogène de poids atomique 1. En heurtant les noyaux atomiques d’hydrogène (protons), les particules alpha leur transmettent leur énergie. La masse des protons étant faible par rapport à celle des particules alpha, les protons acquièrent une vitesse élevée qui leur permet de traverser l’obstacle.
Voilà pourquoi l’hydrogène rend la plaque métallique perméable aux rayons. N’est-ce pas simple ? Très simple ! Mais ce n’était pas encore là le plus intéressant. Quand on eut rempli l’appareil d’azote au lieu d’hydrogène, les lueurs continuèrent à apparaître sur l’écran exactement comme dans le cas précédent. Cette fois, on ne comprenait rien, les noyaux atomiques d’azote étant bien plus lourds que les particules alpha (de 3,5 fois plus) et la plaque étant imperméable à l’hélium, elle devait a fortiori l’être pour l’azote.
Dans ce cas, à quoi peut donc être due l’apparition des lueurs sur l’écran ? Comment les particules radio-actives peuvent-elles traverser un écran capable tout au plus de laisser passer les noyaux d’hydrogène ? De l’hydrogène était-il par hasard mélangé à l’azote ? On introduisit alors dans l’appareil de l’azote soigneusement débarrassé de toutes impuretés, notamment de l’hydrogène. Les lueurs n’en apparaissaient pas moins sur l’écran avec la même régularité.
Il restait une seule hypothèse : l’azote de l’appareil donnait naissance à de l’hydrogène sous l’effet de la radio-activité. Au début, elle parut invraisemblable, mais les expériences suivantes en prouvèrent le bien-fondé. La formation d’hydrogène dans l’appareil était indubitable.
Ainsi fut réalisée la première réaction nucléaire, qui, chez n’importe quel chimiste du siècle passé, aurait provoqué la plus profonde perplexité :
La charge du noyau atomique d’azote est 7, celle de la particule alpha (noyau atomique d’hélium), 2. Leur somme est donc 9 et la somme des noyaux atomiques О et H est également 9 (8 noyaux d’oxygène + 1 noyau d’hydrogène).
Telle fut la première des centaines de réactions nucléaires dans laquelle un élément se transformait en un autre, ce qui, comme on le sait, relève précisément du domaine de l’alchimie la plus authentique. Voilà donc expliqué le titre du présent chapitre « un rayon de lumière ».
Examiner en détail tous les procédés dont dispose à présent la science pour transformer certains éléments en d’autres nous écarterait trop de notre sujet.
Bornons-nous à indiquer que tous ces procédés sont basés sur le « bombardement » des noyaux atomiques des éléments soumis à la transformation par des « projectiles » : particules nucléaires constituées par les protons, neutrons et particules alpha.
C’est précisément cette nouvelle branche scientifique, nommée chimie nucléaire, qui a permis d’obtenir artificiellement les éléments que les chimistes n’avaient pas réussi à trouver dans la nature.
Les chimistes éliminent les points d’interrogation
La loi périodique de Mendéléev permettait aux chimistes de déterminer les propriétés des éléments figurant sous les numéros 43, 61, 85 et 87, tout comme s’ils avaient été directement en présence de ces éléments et de leurs composés. Mais cela ne leur conférait pas le droit d’enlever les points d’interrogation de ces cases, droit réservé à celui qui obtiendrait ne serait-ce qu’un centième, un millième ou même un cent-millième de gramme de l’un de ces éléments. Or, personne ne réussit à en produire même d’aussi faibles quantités. Nous savons maintenant que toutes les tentatives pour extraire les mystérieux éléments des minéraux ou des roches étaient vouées à l’échec car aucun d’entre eux ne se trouve dans l’écorce terrestre en quantité tant soit peu appréciable.
Il semblait souvent que le succès fût proche, qu’un élément inconnu avait enfin été obtenu. Il arrivait qu’obtenant un composé inhabituel à ses yeux, un chercheur pensait être en présence d’un élément nouveau. Il prenait alors précipitamment la plume et rédigeait une lettre, priant l’éditeur de quelque revue de chimie de « publier sans tarder l’annonce de la découverte d’un nouvel élément ». Evidemment, l’éditeur ne manquait pas de le faire, car qui aurait voulu se priver de la gloire d’avoir été le premier à communiquer un résultat aussi remarquable ? C’est ainsi que des dizaines de « nouveaux » éléments furent présentés .dans les publications de l’époque. Mais les communications concernant tous ces « masurium », « illinium », « florencium » et autres « moldavium » étaient invariablement contredites par les chimistes qui entreprenaient la vérification des données concernant le « nouvel » élément.
Peu à peu, le problème des « quatre cases » cessa d’étonner par son côté mystérieux car tout ce qui est étrange finit par devenir habituel. De plus, les conversations sur ces emplacements vides commençaient à n’être plus de mise. Les digressions sur les éléments restant à découvrir semblèrent du même ordre que l’invention du « mouvement perpétuel ».
Et voici qu’au milieu de cette accalmie éclata comme un coup de tonnerre l’annonce de la chute de la « forteresse des quatre » ! A vrai dire, tout se passa d’une façon on ne peut plus discrète. En 1937, le « Bulletin de l’Académie des Sciences d’Italie » publia une sobre et laconique communication sur la préparation artificielle de l’élément 43 par les savants Segré et Perrier. Cette communication ne dépassait pas une centaine de mots dont un quart se composait d’adverbes à sens vague tels que « éventuellement », « probablement », « peut-être », etc. Cependant, la découverte du nouvel élément ne faisait pas de doute !