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Quant aux journaux italiens, ils parlaient de choses fort différentes : du concours des quatre Tarzans, de la prochaine tournée du divin chanteur Gigli, de l’éruption probable du Vésuve, bref de tout sauf de la remarquable découverte de leurs compatriotes.

Le nouvel élément avait été obtenu en bombardant du molybdène — élément 42 — par des atomes d’hydrogène. L’hydrogène a le numéro atomique 1. La somme des numéros de la « cible » et du « projectile » est justement égale à 43, c’est-à-dire le numéro de l’élément technécium. Ce nom, le premier représentant du quatuor mystérieux ne le reçut pas au hasard. Il s’agissait d’en souligner la provenance, « technikos » en grec signifiant « artificiel ».

Est-il nécessaire d’indiquer que les propriétés prévues du technécium coïncidaient en tous points avec celles qui furent observées expérimentalement par la suite ? Il est vrai que l’élément fut d’abord obtenu en quantité tellement infime que nulle balance, même la plus sensible, n’était capable d’en indiquer le poids.

Après qu’une brèche eut été faite dans le prétendu « mystère des quatre », les recherches s’accélérèrent. Un an après l’obtention du technécium, les chimistes du monde entier éliminèrent encore un autre point d’interrogation de leur tableau de la classification périodique et y inscrivirent le symbole Pm représentant le prométhium, élément 61, obtenu de la même façon que le technécium.

Si vous jetez un coup d’œil sur la classification périodique de Mendéléev, il vous sera aisé de deviner comment on y parvint. Avec, bien sûr, l’élément 60 — le néodyme — qui fut bombardé à l’aide d’atomes d’hydrogène !

L’élément 61 fut nommé « prométhium » en hommage au dieu de la mythologie, Prométhée, qui s’empara du feu du ciel pour le transmettre aux hommes. Comme on le sait, Zeus l’en punit par un supplice atroce : il l’enchaîna au sommet du Caucase et un aigle lui rongeait le foie qui repoussait sans cesse. En donnant ce nom au nouvel élément, les savants qui le découvrirent voulaient souligner la voie dramatique et pénible qu’il leur avait fallu suivre du point d’interrogation au symbole de l’élément chimique.

Nous aurons encore l’occasion de parler des propriétés des métaux groupés dans l’étonnante catégorie des terres rares, dont fait partie le prométhium. Nous nous bornerons pour le moment à souligner qu’en plein accord avec sa position dans la classification périodique, le prométhium s’avéra semblable aux autres représentants de cette catégorie.

Ce fut ensuite le tour de l’élément 87. Le point d’interrogation de cette case intriguait tout particulièrement les chimistes qui se demandaient avec une extrême curiosité quelles seraient les propriétés chimiques de l’élément 87. Dans le tableau de Mendéléev la case 87 figure dans le premier groupe et le même rang vertical que le lithium, le sodium, le potassium, le rubidium et le césium. L’ordre de cette énumération n’est pas arbitraire, l’activité chimique de ces éléments augmentant considérablement du lithium au césium. Ces métaux expulsent l’hydrogène de l’eau en formant des alcalis, d’où leur nom d’éléments alcalins.

Les métaux alcalins sont les plus actifs des métaux de la classification périodique, le césium étant le plus actif d’entre eux. Le lithium réagit faiblement avec l’eau mais si on jette du césium dans l’eau, la réaction ressemble à une véritable explosion.

L’élément inconnu 87, qui dans le tableau de Mendéléev se trouve placé au-dessous du césium, devait être encore plus actif que ce dernier. D’où l’intérêt des recherches afin d’obtenir cet élément : les suppositions allaient-elles se confirmer ?

L’élément en question fut découvert en 1939, d’une façon tout à fait inattendue, dans les produits de désintégration de l’élément radio-actif uranium. Quand on eut étudié les premières propriétés de cet élément appelé francium, on comprit pourquoi il s’était si longtemps dérobé aux recherches. Tout d’abord, comme tous les éléments d’un numéro supérieur à 83, le francium est radio-actif. Cependant, il diffère considérablement de ses « compagnons » par le fait qu’il se désintègre très rapidement. Sa période de demi-désintégration (c’est-à-dire le temps nécessaire à la désintégration de la moitié d’une quantité donnée de l’élément) n’est que de 22 minutes. Cela signifie que si nous prenons 1 gramme de francium, au bout de 22 minutes, il ne restera qu’un demi-gramme. Une heure plus tard, il n’y en aura plus qu’un huitième. A la fin de la quatrième heure, il ne restera plus de ce gramme de francium qu’une parcelle de deux dix-millièmes de gramme invisible à l’œil nu et une heure plus tard, il n’en subsistera plus qu’un « agréable souvenir » pour parler comme dans les romans anciens.

Cette faible durée de demi-désintégration ne constituait cependant pas la difficulté majeure pour isoler cet élément. Si les chercheurs avaient eu à leur disposition seulement un gramme de francium, ils auraient sans doute eu le temps, en deux heures, de se familiariser suffisamment avec ses propriétés. Mais pour se procurer ce gramme, il aurait été nécessaire de traiter — imaginez-vous ce chiffre ! — deux milliards et demi de tonnes d’uranium naturel.

— Halte ! dira le lecteur averti, cela ne veut-il pas dire que la teneur de l’uranium naturel en francium est de 4 • 10–16 gramme par gramme d’uranium ? Comment se fait-il alors qu’on ait réussi à déterminer une quantité de francium tellement faible qu’il est même difficile de l’exprimer ? Le nombre 10–16 n’a pas de nom spécial, 10–6 cela fait un millionième, 10–9, un milliardième, mais 10–16, on ne peut le désigner que par 10 puissances moins seize. Dans les chapitres précédents, il n’a pas été question de quantités aussi infimes. De quelles méthodes se sont servis les chimistes pour obtenir des quantités aussi impondérables, au plein sens du terme ?

La réponse sera fournie dans les chapitres suivants. Pour l’instant, pour en terminer avec le francium, nous dirons seulement que bien que personne ne l’ait encore jamais obtenu en quantité plus ou moins pondérable, nous en savons pas mal de choses. Cet élément est bien le métal le plus actif que l’on connaisse. C’est un conducteur d’électricité exceptionnel et, tout comme le mercure, il se présente à température ordinaire à l’état liquide.

Il serait prématuré de parler des applications pratiques de cet élément. On sait pourtant que si l’on injecte du sel de francium à un malade atteint de sarcome, le métal s’accumule tout entier dans la tumeur. Etant donné que le francium est radio-actif et que ses rayons exercent une action destructrice sur les tumeurs, on peut supposer que cette propriété trouvera son application en médecine.

Voilà à peu près tout ce que l’on peut dire du francium, le seul des quatre éléments mystérieux à avoir été découvert dans la nature et non pas obtenu artificiellement.

Le dernier à ôter son masque, de fort mauvaise grâce du reste, fut l’élément 85. En 1940, le point d’interrogation figurant dans cette case fut remplacé par le symbole At représentant l’astate. L’astate a également été obtenu « alchimiquement » par transformation artificielle d’éléments, en soumettant des atomes de bismuth au bombardement de noyaux d’hélium. Nous connaissons déjà l’aspect arithmétique du processus : le numéro d’ordre du bismuth est 83, celui de l’hélium, 2. D’où l’égalité a priori surprenante : bismuth + hélium = … astate.