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L’astate est le dernier en date du groupe des halogènes. Les anciens membres de ce groupe — fluor, chlore, brome et iode — nous sont très familiers. Il n’en était que plus intéressant d’apprendre quelles seraient les propriétés du « nouveau-né ».

Comme on le sait, les halogènes sont les métalloïdes par excellence. Seul l’iode possède à un degré restreint des propriétés métalliques : l’éclat caractéristique du métal, la faculté de conduire le courant et d’engendrer des sels (azotates, chlorures, etc.).

L’astate est déjà un métal typique dont on connaît beaucoup de choses : ses degrés d’acidité en solution aqueuse, la composition de ses sels et même le fait qu’il se dissout facilement dans le chloroforme. Une seule chose reste inconnue, sa couleur, car personne n’est encore parvenu à obtenir de l’astate en quantité suffisante pour pouvoir juger de sa couleur. Mais, pour pouvoir observer la couleur d’une substance, il faut en avoir une quantité pondérable et ce n’est pas le cas.

Il est intéressant d’observer que pour les premières recherches sur les propriétés chimiques de l’astate, on se servit de solutions d’une molarité de 10–13, ce qui revient à dire qu’un litre de solution contenait deux cent-milliardièmes de gramme de cet élément.

Ainsi prit fin la « Grande Guerre » contre les points d’interrogation de la classification périodique des éléments. Ce fut une lutte pleine de péripéties dramatiques ce qui est le propre de toute investigation véritablement scientifique, lutte pour obtenir ce qui, auparavant, était considéré comme la manifestation de mystérieuses « forces de la nature », lutte qui permit au mot « alchimie » de devenir un terme scientifique moderne.

Après quoi, les mystères du système périodique étant, semblait-il, éclaircis, les chimistes devaient pouvoir pousser un soupir de soulagement. Mais la véritable science peut-elle se reposer sur ses lauriers ? S’il n’y avait plus de mystères à l’intérieur de la classification périodique, il pouvait y en avoir, ou plutôt il devait y en avoir hors d’elle. Aussi les recherches se poursuivirent-elles…

92 ? Et pourquoi pas davantage ?

Il existe dans la classification périodique des éléments curieux au plus haut degré. L’un se distingue par son aptitude à entrer en réaction ; tel autre, au contraire, peut se vanter qu’aucune force n’est capable de l’obliger à se combiner avec d’autres éléments ; un troisième est remarquable par son point de fusion très élevé et, donc, une liquéfaction très difficile : un quatrième possède la particularité d’être très malaisé à faire passer de l’état gazeux à l’état liquide. Bref, le tableau contient bon nombre d’éléments qui peuvent s’enorgueillir de telle ou telle propriété curieuse. Mais parmi eux il y en a un qui, sans contredit, les surpasse tous : l’uranium. Aucun élément sur terre n’a un poids atomique plus élevé. Voilà pourquoi pendant de nombreuses années, ce fut l’uranium qui, de droit, ferma la marche des éléments de la classification périodique.

Les chimistes s’étaient accoutumés au fait que l’uranium était le dernier élément. Leurs recherches portaient sur les éléments à découvrir qui se trouvaient au milieu du tableau : entre l’hydrogène et l’uranium. Quant à l’uranium, il était destiné à rester le dernier. Ainsi s’habitue-t-on au poêle dans sa chambre, ou à l’armoire, n’imaginant même pas qu’ils puissent être déplacés.

Mais, parmi les savants, il se trouva un « fauteur de troubles » qui clama : « Permettez, mais pourquoi la classification périodique doit-elle absolument se terminer par le numéro 92 ?

Pourquoi ne peut-il y avoir un 93e élément, un 94e et ainsi de suite ? »

« En effet ! — s’étonnèrent beaucoup d’autres. Pourquoi n’y aurait-il pas un 93e élément ? Pourquoi ne pas le rechercher ? »

Cette idée mûrit vers le début des années 30. C’est alors que commencèrent les recherches. Les fièvres de « l’or » et du « diamant » qui agitèrent le monde à diverses époques n’étaient rien en comparaison aux passions que déchaîna le problème des éléments transuraniens (éléments pouvant suivre l’uranium).

Cette passion fut peut-être due au fait que si personne n’avait de doute sur l’existence des éléments 43, 61, 85 et 87, la découverte ne serait-ce que d’un seul élément transuranien représentait par contre pour la science un intérêt de principe.

Peut-être aussi les chercheurs commençaient-ils à se trouver à l’étroit dans ces quatre cases de la classification périodique encore non « démasquées » à l’époque et éprouvaient-ils l’envie, timide d’abord puis de plus en plus forte, de s’évader de ce cadre.

Il en est apparemment toujours ainsi : tout ce qui se trouve au-delà de quelque limite, le pôle d’inaccessibilité, la Lune, ou les mystérieux éléments chimiques, est particulièrement attirant. Voilà pourquoi les éléments intermédiaires à découvrir étaient recherchés avec ténacité mais sans passion. On se trompait, on se corrigeait poliment l’un l’autre, on se tançait avec bonhomie, on louait avec complaisance, on se moquait sans acrimonie. Quant aux éléments situés au-delà de la limite — les éléments transuraniens — on les cherchait avec frénésie. On se disputait, on discutait, on hurlait — si tant est qu’on puisse hurler dans les colonnes d’une revue — on démentait, on portait aux nues, on critiquait.

Chaque année, le monde scientifique était secoué par une « grande » et une bonne demi-douzaine de « petites » découvertes du 93e élément, auxquelles on n’accordait pas grand crédit.

Il suffit de rappeler une seule de ces nouvelles sensationnelles. Le célèbre physicien italien Enrico Fermi émit un jour la supposition que le 93e élément s’était peut-être (peut-être !) formé au cours d’une de ses expériences.

Fermi ne prévoyait rien de bien précis, mais sa déclaration fut présentée d’une tout autre manière par la presse à sensations. Un journal, dépassant toutes les bornes, alla même jusqu’à inventer et décrire une réception au palais royal au cours de laquelle Fermi aurait lui-même présenté à la reine un petit flacon du 93e élément.

Il suffit de feuilleter n’importe quelle collection de revues de vulgarisation scientifique des années 30 pour y trouver l’annonce régulière, deux ou trois fois par an, de la découverte du nouvel élément 93, annonces qui étaient inévitablement démenties avec la même régularité.

Il devint bientôt évident que les éléments à numéro atomique supérieur à 92 ne pouvaient se trouver dans l’écorce terrestre. L’explication en était simple et, comme nous allons le voir, absolument correcte. Nous avons déjà noté que les éléments de la classification périodique à partir du polonium (84) sont tous radio-actifs. En d’autres termes, ils sont instables et se désintègrent au bout d’un certain temps, en se transformant en éléments à numéro d’ordre inférieur, lesquels à leur tour… et ainsi de suite jusqu’à ce qu’on obtienne des éléments chimiques stables, le plomb par exemple. Les éléments devant suivre l’uranium avaient dû très vraisemblablement faire partie de l’écorce terrestre il y a des millions et des millions d’années, peut-être même des milliards. Mais, avec le temps, ces éléments s’étaient désintégrés, volatilisés. Et sur terre il n’y en avait plus.

Mais l’époque où les chimistes se contentaient de ce que la nature avait mis à leur disposition était révolue. Cependant, le vieil arsenal dont disposaient les savants n’était pas assez puissant pour investir la forteresse dans laquelle s’abritait la solution de ce problème.