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Maintenant, lorsqu’il est question de la plupart des éléments transuraniens, on n’a affaire ni à des kilos ni à des grammes. Même le milligramme est une unité excessive.

Pour les éléments transuraniens il fallut inventer une nouvelle unité : le microgramme, millionième de gramme ou la millième partie d’un milligramme.

C’est ainsi que la quantité de neptunium obtenue lors de sa découverte était de dix microgrammes et celle de plutonium de vingt microgrammes. Quant à l’américium obtenu à l’origine, nous en connaissons déjà le poids indiqué sur le dessin. La quantité de curium isolé lors de sa découverte était du même ordre.

Pour les éléments berkélium et californium, même le microgramme est une unité trop grande. Leurs quantités obtenues à l’état isolé s’expriment en dixièmes, voire en centièmes de microgramme, c’est-à-dire des dix-millionièmes et cent-millionièmes de gramme !

Cependant tout ceci n’a nullement empêché l’étude détaillée des propriétés chimiques et physiques des éléments transuraniens. Bien plus, ces derniers ont soulevé un intérêt tel que leurs propriétés nous sont maintenant mieux connues que celles de certains éléments ordinaires.

J’ai en ce moment sous les yeux un livre rassemblant les résultats des recherches portant sur six éléments transuraniens (du neptunium au californium). C’est un gros in-folio de près de mille pages et ne pesant pas moins de deux kilos.

La branche de la chimie permettant l’étude des propriétés des corps disponibles en quantités infinitésimales a été nommée microchimie : en effet, pour observer les changements qui se déroulent dans les éprouvettes, le chimiste doit avoir recours au microscope.

Comme on le voit, l’une des difficultés principales de l’étude des éléments transuraniens — leurs quantités infinitésimales — a été surmontée avec succès.

Mais il n’est pas si simple d’être un alchimiste moderne ! Si la nécessité de recourir aux méthodes de la microchimie constituait l’unique difficulté de l’étude des éléments transuraniens, il n’y aurait encore que demi-mal ou même, pour être plus exact (et la chimie est une science exacte !), que quart de mal. Supposons que nous obtenions d’abord 10 microgrammes, puis une quantité égale une seconde fois, ensuite une troisième, une quatrième, une cinquième… Nous aurions ainsi rapidement un dix-millième de gramme, puis un dixième de gramme, quantité déjà fort appréciable !

La difficulté est ailleurs. Nous avons déjà signalé qu’à partir du polonium tous les éléments de la classification périodique sont radioactifs. Or, la radio-activité des éléments transuraniens est d’une intensité extrême.

Un microgramme de plutonium émet 140 000 particules alpha à la minute, ce qui est énorme. Un sel de plutonium, dissout dans l’eau, provoque la formation immédiate d’eau oxygénée : les particules alpha émises lors de la désintégration du plutonium déclenchent dans l’eau des processus chimiques complexes.

La radio-activité de l’américium est encore de plusieurs dizaines de fois supérieure. Un microgramme de cet élément émet 70 millions de particules alpha à la minute ce qui n’est pourtant rien en comparaison du voisin de l’américium, le curium, dont un microgramme émet dix milliards de particules alpha à la minute.

Cela signifie que si l’on dissout une quantité même infinitésimale d’un sel de curium dans l’eau, la température de la solution s’élève rapidement, atteignant bientôt la température d’ébullition. Le récipient contenant le sel en solution, placé sous une cloche de verre, dégage de la vapeur à profusion bien qu’il n’y ait aucune source de chaleur à proximité. La chaleur provient du curium lui-même ou, plutôt, des particules radio-actives qu’il émet. On ne réussira donc jamais à obtenir un morceau de curium métallique tant soit peu appréciable puisque son auto-échauffement provoque sa volatilisation immédiate.

La radio-activité intense des éléments transuraniens présente en outre l’inconvénient d’être extrêmement nocive. Plusieurs savants ayant manipulé des substances fortement radio-actives sans prendre les précautions indispensables ont succombé, victimes des graves maladies provoquées par les émissions radio-actives. De nos jours, la mort continue de frapper les habitants des villes japonaises de Hiroshima et Nagasaki irradiés lors du bombardement atomique de 1945.

Aussi les chercheurs qui étudient les éléments transuraniens sont-ils obligés de prendre des précautions particulières.

En général, les préparations radio-actives d’éléments transuraniens sont placées derrière un écran en matière plastique protégeant des émissions radio-actives le visage et le corps du chercheur qui porte en outre des gants spéciaux.

Cependant de telles mesures ne sont efficaces que si la quantité de substance radio-active est infime ou si l’intensité des radiations de l’élément étudié est faible. Lorsqu’il s’agit de quantités plus grandes, on utilise des « manipulateurs », pinces ou tenailles aux formes diverses fixées à un long manche. De cette façon, le chercheur peut se tenir à distance respectable de la substance radio-active.

Mais lorsqu’il s’agit d’éléments aussi radioactifs que l’américium ou le curium, les pinces dirigées à la main sont inefficaces. Il est alors nécessaire d’utiliser des instruments télécommandés. Quoique ne possédant que deux doigts, les « mains » du manipulateur représenté sur le dessin, dont le plus adroit prestidigitateur envierait sans aucun doute la dextérité, sont capables d’exécuter les opérations les plus délicates.

Comme on le voit, les savants ont également réussi à surmonter la seconde difficulté. Mais un troisième obstacle, beaucoup plus sérieux, vient encore entraver l’étude des éléments transuraniens.

Auparavant la tâche essentielle dans l’étude des propriétés d’un élément nouveau consistait à extraire des quantités plus ou moins appréciables de composés de cet élément. Nous savons déjà de quelles doses infimes durent se contenter les chimistes en déterminant la valeur absolue de ces « quantités plus ou moins appréciables ».

Dans le cas des éléments transuraniens, le problème de l’extraction se trouve relégué au second plan. Avant d’extraire ces éléments, il faut d’abord les obtenir. L’obtention des premiers éléments transuraniens fut relativement aisée, mais ensuite les difficultés s’accrurent.

C’est ici qu’intervient une valeur appelée période de demi-désintégration. Nous avons déjà eu l’occasion de recourir à cette notion : il s’agit du temps que mettent à se désintégrer la moitié des atomes d’un élément radio-actif donné. Les premiers éléments transuraniens sont assez stables : la période de demi-désintégration du neptunium s’exprime en millions d’années et celle du curium en dizaines de milliers d’années. La variété de plutonium la plus stable a même une période de demi-désintégration de plusieurs dizaines de millions d’années. Mais pour les éléments suivants, cette durée diminue rapidement. Le berkélium ne met que sept mille ans à « mourir » à demi et le californium seulement 400. Ensuite la période de demi-désintégration est bien plus courte, environ 300 jours pour l’einsteinium, 20 heures pour le fermium et quelques minutes seulement pour le mendélévium.

Des jours, passe encore, mais des minutes… Les opérations nécessaires à l’obtention, puis l’extraction d’un élément demandent en effet un certain temps. Or, il était cette fois nécessaire, en moins d’une minute, d’isoler un élément, de le concentrer et d’en étudier les principales propriétés chimiques et physiques. Il ne pouvait certes en être question, quelle que fût la fiévreuse diligence déployée par l’expérimentateur.