Выбрать главу

La lecture du processus de la purification de l’eau a sans doute pris plusieurs minutes au lecteur. On peut donc aisément se représenter le temps nécessaire à l’exécution de ces opérations.

Et cependant, l’eau obtenue par les procédés ci-dessus n’est pas tellement pure. Pour s’en assurer il suffit d’y plonger des électrodes reliées à une source de courant électrique. L’aiguille de l’appareil indiquera que le courant électrique passe, ce qui ne devait pas se produire puisque l’eau n’est pas un électrolyte. Donc, nous n’avons pas réussi à éliminer toutes les impuretés. Sans doute la conductance de notre eau n’est-elle pas très élevée, de l’ordre de 10–6 mhos. Kohlrausch, lui, qui avait effectué des opérations de purification beaucoup plus poussées, avait réussi à obtenir une conductance cent fois moindre : son eau était donc beaucoup plus pure. Mais il suffisait de la laisser pendant quelques minutes dans un récipient ouvert pour que sa conductance augmentât rapidement car il s’y dissolvait du gaz carbonique de l’air.

Ce que je viens de dire à propos de l’eau concerne également n’importe quelle autre substance, dans la plupart des cas les opérations de purification étant encore plus longues et plus minutieuses que pour l’eau.

Les substances absolument pures n’existent pas dans la nature. Tout composé quel qu’il soit contient toujours des quantités plus ou moins importantes de substances étrangères. En fonction du perfectionnement des méthodes d’analyse, les chimistes sont en mesure d’obtenir des renseignements de plus en plus détaillés sur la quantité des impuretés présentes dans la substance étudiée et sur leur nature. Mais les éliminer est chose plus difficile.

Il convient d’ajouter que cela est d’ailleurs souvent inutile. A quoi bon recourir à de subtiles opérations, dépenser beaucoup de temps et de coûteux réactifs chimiques pour la seule satisfaction de dire qu’on a obtenu un composé d’une pureté de 99,999 au lieu de 99,99. Une décimale de plus n’en vaut pas vraiment la peine en l’occurrence.

Aussi aucun chimiste n’a-t-il jusqu’à présent cherché à obtenir des substances absolument pures. A ce propos le moment est venu de raconter une histoire qui fit sensation parmi les chimistes.

C’est ainsi que surgissent les problèmes…

Après avoir écrit le mot « sensation », je me suis demandé si ce terme était bien exact pour qualifier la façon dont la découverte fut accueillie dans les publications parues à l’étranger dans les années 20. Apparemment, oui. De même que toute sensation, après avoir commencé par susciter une agitation d’ailleurs assez considérable dans les milieux scientifiques et pseudoscientifiques, cette découverte sombra dans l’oubli avec une inconcevable rapidité et vingt ans après on n’en trouvait pas la moindre mention même dans les manuels les plus complets. Pourquoi ? Peut-être parce que les faits décrits dans quelques courts articles parurent par trop invraisemblables aux chimistes des années 20. La réputation des sérieuses revues scientifiques publiant ces articles forçait le respect mais la pratique séculaire des physiciens et chimistes les contraignait à se demander s’il ne s’agissait pas d’une mystification. Tout bien considéré, d’éminents professeurs en venaient à la même conclusion évidente : c’était à n’y rien comprendre. Et comme il arrive souvent, plutôt que de chercher à élucider les causes de ces faits étonnants, on préféra les oublier.

S’il est bien difficile de purifier soigneusement une substance, la conserver dans cet état est encore plus malaisé. Des ennemis la guettent de tous côtés : il peut s’y mêler une goutte d’un composé étranger, de la cendre tombant de la pipe du chercheur, du vernis à ongle de son assistante, du pollen pénétrant par la fenêtre ouverte et de quantité d’autres substances de toutes sortes. Il est particulièrement difficile de préserver les substances pures du contact de l’air et de l’humidité atmosphérique. Car l’air pénètre partout, il n’y a pas moyen de lui échapper !

Voilà pourquoi les substances purifiées sont conservées dans des récipients hermétiquement clos.

C’est ce que fit le chimiste anglais Baker lorsqu’en 1908 il résolut de conserver, dans un tube de verre, de l’anhydride azotique, liquide qui bout à une température de +3°,5, en y ajoutant du pentoxyde de phosphore. En effet, lors de l’obtention de l’anhydride azotique l’expérimentateur y avait accidentellement mêlé une certaine quantité d’eau. Or, le pentoxyde de phosphore a pour l’eau une affinité exceptionnelle. Peu de composés sont aussi avides d’eau que cette poudre blanche.

Cinq années plus tard, Baker se rappela avoir rangé un tube hermétiquement clos contenant de l’anhydride azotique car il en avait alors justement besoin pour quelque expérience. Le procédé qu’utilisent habituellement les chimistes pour purifier un liquide est la distillation. Pour séparer l’anhydride azotique du pentoxyde de phosphore, Baker versa le liquide dans un alambic et se mit à le chauffer.

…Ce jour-là, les passants de Slough lane purent voir un homme d’un certain âge sortir de l’institut en discutant avec animation avec lui-même, le visage empreint de la plus profonde perplexité.

Baker avait certes toutes les raisons d’être étonné ! Pour commencer tout se déroula normalement : le matras contenant l’anhydride et le récipient destiné à recueillir le distillât furent placés dans de la glace. Puis Baker attendit que l’anhydride fût porté à ébullition sous l’action de la température ambiante. Dix minutes se passèrent, puis vingt, mais la distillation ne se produisait pas. Tout en parlant à son collaborateur, Baker jeta machinalement un coup d’œil sur le thermomètre immergé dans le liquide et s’arrêta au milieu d’une phrase. Le thermomètre indiquait 20°, c’est-à-dire exactement la température ambiante. D’après tous les ouvrages existants, l’anhydride azotique aurait dû bouillir depuis longtemps, or le liquide n’avait pas changé d’aspect. Haussant les épaules en réponse à la muette interrogation de son assistant, Baker commença à chauffer le matras avec précaution. Rien n’y fit : le liquide bleu ne bougeait toujours pas.

30°… 35°… 40°… La distillation ne commença qu’à 43°. En dépit de tous les manuels, l’anhydride azotique se mettait à bouillir à une température de 40° supérieure à la normale.

« Je me suis peut-être trompé de substance », pensa Baker. Il en fit donc l’analyse sur-le-champ et dut se rendre à l’évidence : c’était bien de l’anhydride azotique absolument pur, 100% pur ! On procéda de nouveau à la distillation : 43°. C’était invraisemblable !

A la table voisine, l’assistant, dont le regard revenait constamment au mystérieux matras, préparait fiévreusement de l’anhydride azotique à partir d’acide azotique. Par son aspect, le liquide bleu bientôt obtenu ne se distinguait en rien de celui que contenait le matras voisin. Quelle en serait la température d’ébullition ? Le thermomètre indiquait 3°,5. C’était exact. On effectua de nouveau la distillation du premier liquide : 43°.

Baker pria son assistant de fermer hermétiquement les récipients contenant les deux liquides, s’habilla et sortit. Il ne pouvait plus rester dans son laboratoire face à cette inquiétante énigme.